Un petit coin de campagne pour l'inspecteur 5

Un petit coin de campagne pour l’inspecteur 5,
Et l’inspecteur commença par la tournée des cafés, belle occasion pour lui de se jeter un petit noir au passage et de récolter peut-être de bons tuyaux. Il n’était pas impossible que la jolie dame ne fut rentrée dans un bistrot en charmante compagnie. Et il avait de quoi prospecter : la place était bourrée de bars en tous genres. Cela allait du pub irlandais au salon de thé, en passant par de simples buvettes et brasseries. Le zinc ici avait pignon sur rue et ce serait bien la malchance s’il n’obtenait pas un renseignement intéressant. Au bout de quelques réponses négatives, l’inspecteur était très mécontent. De plus il se sentait fiévreux et à bout de souffle. Sans doute l’orage de la veille l’avait-il fatigué, peut-être couvait-il une angine car il s’était réveillé avec de violents maux de gorge. Mais il ne se laisserait pas abattre, non, pas avant d’avoir les renseignements nécessaires pour débloquer son enquête. Il jeta finalement son dévolu sur le pub irlandais, un des derniers à prospecter : après, il faudrait aviser une autre approche.
Et bien lui en prit. Il se trouvait que la serveuse avait vu cette dame un mois plus tôt en compagnie d’un homme plus âgé qu’elle. Ils s’étaient assis à la terrasse et avaient passé commande de deux Kilkenny, bières irlandaises par excellence et pratiquement la seule servie en France. Deux fins connaisseurs de la culture et des habitudes irlandaises, à n’en pas douter. D’après ses dires, la victime était grande, bien proportionnée, très élégamment vêtue et peu maquillée : elle lui fit penser au premier abord à un mannequin tellement elle était belle. Quant à l’homme, il était de type oriental, plus petit qu’elle, massif, très peu souriant, une voix forte et d’ailleurs ils se disputaient ce soir-là. Ils étaient en désaccord à propos d’un enfant, une petite fille lui semblait-il et la jeune femme était en pleurs. C’était les seuls clients du bar vu l’heure tardive alors forcément, nul n’était besoin de tendre l’oreille pour entendre leur conversation. D’ailleurs, la serveuse était gênée de leur discussion houleuse à sa terrasse ; c’était peu commercial pour les affaires. Elle se souvint même de leurs prénoms respectifs : Carlotta et Omar. Ils étaient partis vers deux heures du matin, laissant un généreux pourboire. Ils étaient montés dans une luxueuse voiture noire genre Bentley avec chauffeur, se rappelait-elle : c’était si peu courant qu’elle ne pouvait l’oublier. Elle se rappela même partiellement du numéro d’immatriculation du véhicule, une plaque helvétique V…70…2.
La serveuse semblait avoir tout dit, du moins ce qu’elle se souvenait et c’était déjà un bon début pour l’inspecteur. Il se sentit ragaillardi et laissant une petite gratification, il la salua et partit sur le champ voir ses collègues au commissariat pour les informer de ses trouvailles. Il leur demanderait un coup de pouce pour accélérer l’enquête. Il ferait appel au service des cartes grises de la préfecture de police suisse, en l’occurrence, pour retrouver le propriétaire de la voiture dans l’espoir que ce fut Omar en personne.
Le vent qui soufflait en bourrasques fut vivifiant pour l’inspecteur. Il recouvrit minutieusement sa gorge endolorie, remonta le col de son trenchcoat et tenant son chapeau pour qu’il ne s’envolât sous les rafales, prit le chemin de la table d’hôte : un bon déjeuner devait l’y attendre déjà et il avait l’estomac dans les talons.
Lucienne le 26.02.2016