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| La poésie Gourmande | |
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Auteur | Message |
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André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: La poésie Gourmande Lun 24 Oct - 13:00 | |
| Albert SAMAIN (1858-1900)
LA CUISINE
Dans la cuisine où flotte une senteur de thym, Au retour du marché, comme un soir de butin, S’entassent pêle-mêle avec les lourdes viandes Les poireaux, les radis, les oignons en guirlandes, Les grands choux violets, le rouge potiron, La tomate vernie et le pâle citron. Comme un grand cerf-volant la raie énorme et plate Gît fouillée au couteau, d’une plaie écarlate. Un lièvre au poil rougi traîne sur les pavés Avec des yeux pareils à des raisins crevés. D’un tas d’huîtres vidé d’un panier couvert d’algues Monte l’odeur du large et la fraîcheur des vagues. Les cailles, les perdreaux au doux ventre ardoisé Laissent, du sang au bec, pendre leur cou brisé ; C’est un étal vibrant de fruits verts, de légumes, De nacre, d’argent clair, d’écailles et de plumes. Un tronçon de saumon saigne et, vivant encor, Un grand homard de bronze, acheté sur le port, Parmi la victuaille au hasard entassée, Agite, agonisant, une antenne cassée. __________________
Charles MONSELET
LA TRUITE
Dans une agape bien construite Envisagez assurément L'apparition de la truite Comme un joyeux événement.
Quelques-uns la demandent cuite, Avec maint assaisonnement Pris aux recettes qu'on ébruite. Je la veux frite simplement.
Truites blanches ou saumonées, D'Allemagne ou des Pyrénées, poissons charmants, soyez bénis !
Mais je sais les roches hautaines où se cachent vos souveraines; Salut, truites du Mont-Cenis ! _________________
À SUIVRE...
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| | | fripou Admin
Messages : 3365 Date d'inscription : 17/10/2010 Age : 60 Localisation : Gironde
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Lun 24 Oct - 14:50 | |
| Voila qui ouvre l'appétit... | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Lun 24 Oct - 18:26 | |
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Lun 24 Oct - 22:31 | |
| Bravo pour les poèmes et la cuisine, on attend des recettes | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 25 Oct - 12:27 | |
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 25 Oct - 12:40 | |
| Emilie BERNARD
BOUILLABAISSE
Si tu veux du soleil au creux de ton assiette Fais une bouillabaisse. En voici la recette : D’un demi-verre d’huile arrose en ton faitout
Un peu d’ail écrasé (quatre gousses en tout) Trois oignons émincés et divers aromates En hachis sans pépins deux pulpes de tomates Thym, fenouil et persil, laurier, zeste d’oranges Les tronçons de poissons qu’artistement tu ranges (Grondins, crabe ou langouste, et rascasse et vive) - Recouvre d’eau bouillante et cuis à flamme vive Tout saupoudré de sel, de poivre et de safran.
Le mélange a bouilli 5 minutes durant, Quand sous l’ardente flamme, il prend déjà de l’âme Ajoute aussi longtemps : loup, saint-pierre et merlan Puis sur tranches de pain, passe le jus brûlant
Tandis que sur un plat, tout le poisson se dresse. Ton chef d’œuvre est fini : c’est une bouillabaisse. __________________
Georges FOUREST
TERRINES DE CANARDS
Si les Rouennais sont fiers de Boïeldieu, Corneille, Ils n'ont pas moins au coeur un gourmet qui sommeille Et, malgré leur amour des lettres et des arts, Ils ont au plus haut point le culte des canards !
Vous savez les honneurs qu'on leur rend en cuisine ; Hânni vient aujourd'hui les offrir en terrine. Puis, pour les parfumer, avec art il y joint La truffe et le foie gras, ce succulent appoint.
Et sur sa chair rose, Exquise volupté, La truffe se repose
Comme un grain de beauté. Lorsque sa renommée aura conquis le monde, Que de canards auront les terrines pour tombe ! __________________
Georges FOUREST
LA RECETTE DU BOUDIN
Préparez des oignons hachés menus, menus, Qu'avec autant de lard sur un feu doux l'on passe Les tournant tant qu'ils soient d'un beau blond devenus Et que leur doux arôme envahisse l'espace...
Mêlez le tout au sang, puis bien assaisonnez, De sel, poivre et muscade, ainsi que des épices, Un verre de cognac; après, vous entonnez Dans les boyaux du porc, dont l'un des orifices
Est d'avance fermé, et dès qu'ils sont remplis, Ficelez l'autre bout, et dans l'eau frémissante, Plongez tous les boudins ! Ces travaux accomplis, Egouttez-les après vingt minutes d'attente. __________________
À SUIVRE...
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| | | fripou Admin
Messages : 3365 Date d'inscription : 17/10/2010 Age : 60 Localisation : Gironde
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 25 Oct - 16:48 | |
| Je crains que la recette du boudin ne donne des boutons à notre Flamme préférée Si tu trouves quelques légumes en chemin... | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 25 Oct - 18:30 | |
| - fripou a écrit:
- Je crains que la recette du boudin ne donne des boutons à notre Flamme préférée
Si tu trouves quelques légumes en chemin... Je m'en voudrais de provoquer poussée de boutons à notre Chère FLAMME. Et pourtant, Jules RENARD, en fin connaisseur, disait à ce propos : “Quel animal admirable que le cochon ! Il ne lui manque que de savoir faire lui-même son boudin. ” Je vais faire en sorte de ménager autant les végétariens que les autres amateurs de bonne chère.
Aussi, et avant de poster la "soupe à l'oignon" demain, voici le charmant "sonnet de l'Asperge", de Charles MONSOLET :
Charles MONSELET
LE SONNET DE L'ASPERGE
Oui, faisons lui fête ! Légume prudent, C'est la note honnête D'un festin ardent.
J'aime que sa tête Croque sous la dent, Pas trop cependant. énorme elle est bête.
Fluette, il lui faut Plier ce défaut Au rôle d'adjointe,
Et souffrir, mêlé Au vert de sa pointe, L'or de l'oeuf brouillé. ________________
DE GROS À VOUS DEUX DE NOUS TROIS.
Douce soirée.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mer 26 Oct - 12:31 | |
| Raoul PONCHON
LA SOUPE À L'OIGNON
Quel est ce bruit appétissant Qui va sans cesse bruissant ? On dirait le gazouillis grêle D’une source dans les roseaux, Ou l’interminable querelle D’un congrès de petits oiseaux. Mais cela n’est pas. Que je meure Sous des gnons et sous des trognons, Si ce ne sont pas des oignons Qui se trémoussent dans du beurre !
Hein ! qu’est-ce que Bibi disait ? Et ce bruit sent bon – qui plus est. C’est à vous donner la fringale. Traitez-moi de syndic des fous, Je n’en connais pas qui l’égale. « Et pourquoi faire – direz-vous – Met-on ces oignons dans le beurre ? > Pourquoi faire ?... triples couyons, J’espère... une soupe à l’oignon. Vous allez voir ça tout à l’heure !
Je m’invite, n’en doutez pas. Et j’en veux manger, de ce pas, À pleine louche, à pleine écuelle... Ne me regardez pas ainsi, C’est ma façon habituelle. La soupe à l’oignon, Dieu merci ! Ne m’a jamais porté dommage. Ainsi, la mère, encore un coup, Insistez, faites en beaucoup, Et n’épargnez pas le fromage.
Elle est prête ?... Alors, on s’y met. Ô simple et délicat fumet ! Tous les parfums de l’Arabie Et que l’Orient distilla, Ne valent pas une roupie De singe, auprès de celui-là. Et puis !... quel fromage énergique ! File-t-il, cré nom ! file-t-il ! Si l’on ne lui coupe le fil, Il va filer jusqu’en Belgique !
On me dirait dans cet instant : La Fortune est là qui t’attend. « Laisse-là ta soupe et sois riche. » Que d’un cran je ne bougerais. Qu’elle m’attende, je m’en fiche ! En vérité, je ne saurais, Quand elle passerait ma porte, Manger deux soupes à la fois, Comme celle-ci. Non, ma foi. Alors, que le diable l’emporte !
Assez causé. Goûtons un peu Cette soupe, s’il plaît à Dieu ! Cristi ! Qu’elle est chaude, la garce ! Autant pour moi ! Où donc aussi, Avais-je la cervelle éparse ? Sans doute entre Auteuil et Bercy... Elle ne m’a pas pris en traître Sais-je pas sur le bout du doigt, Que toute honnête soupe doit Être brûlante ou ne pas être ?
Qu’est-ce à dire ? Je m’aperçois Que j’en ai repris quatre fois. Parbleu ! je n’en fais point mystère. Mais j’en veux manger tout mon soûl, Quatre fois ! peuh ! la belle affaire ! J’en reprendrais bien pour un sou. Dussé-je crever à la peine, Je n’aurai garde d’en laisser. Et ne croyez pas me blesser, En m’appelant « vieux phénomène »...
Allons, bon !... Il n’en reste plus ! Et bien, alors, il n’en faut plus. Ayons quelque philosophie. Une soupe se trouvait là,.. Elle n’est plus là... C’est la Vie ! Que voulez-vous faire à cela ? La soupe la plus innombrable Finit tôt par nous dire adieu. Et je ne vois guère que Dieu, Finalement, de perdurable. __________________
Charles MONSELET
LES VINS DE FRANCE
Il est une heure où se rencontrent Tous les grands vins dans un festin, Heure fraterneIle où se montrent Le Lafite et le Chambertin. Plus de querelles, à cette heure, Entre ces vaillants compagnons ; Plus de discorde intérieure Entre Gascons et Bourguignons. On fait trêve à l'humeur rivale, On éteint l'esprit de parti. L'appétit veut cet intervalle, Cette heure est l'heure du rôti. Comme aux réceptions royales Que virent les deux Trianons, Circulent à travers les salles Ceux qui portent les plus beaux noms. A des gentilshommes semblables Et non moins armoriés qu'eux, Les grands vins, aux airs agréables, Echangent des saluts pompeux. Ils ont dépouillé leurs astuces, Tout en conservant leur cachet, - Passez, monsieur de Lur-Saluces ! - Après vous, mon cher Montrachet. Pommard, en souriant, regarde Glisser le doux Brame-Mouton, Nul ne dit à Latour : " Prends garde !" Par même le bouillant Corton. Volnay raconte ses ruines Au digne Saint-Emilion, Qui l'entretient de ses ravines Et des grottes de Pétion. Jamais les vieilles Tuileries Dans leurs soirs les plus radieux, Ne virent sous leurs boiseries Hôtes plus cérémonieux. On cherche le feutre à panache Sur le bouchon de celui-ci, Et, sous la basque qui la cache, L'épée en acier aminci. Voici monsieur de Léoville Qui s'avance en habit brodé, Et qui, d'une façon civile, Par Chablis se voit abordé. Musigny, que d'orgueil on taxe, Dit à Saint-Estèphe : " Pardieu ! J'étais chez Maurice de Saxe Quand vous étiez chez Richelieu !" " Moi, sans que personne s'en blesse, J'ai, dit monsieur de Sillery, Conquis mes lettres de noblesse Aux soupers de la Du Barry !" " Sans chercher si loin mon baptême, Prophète chez moi, dit Margaux, A la duchesse d'Angoulême J'ai fait les honneurs de Bordeaux." Le jeune et rougissant Montrose, Ayant quitté pour un instant Le bras de son tuteur Larose, Jette un regard inquiétant, Et cherche, vierge enfrisonnée, Rouge comme un coquelicot, Mademoiselle Romanée Auprès de la veuve Clicquot. Certaine d'être bien lotie, Malgré son air un peu tremblant, Dans un coin, la Côte-Rôti Sourit à l'Ermitage blanc ; Il en est du temps des comètes, Qui, dépouillés, usés, fanés, Sont dans des fauteuils à roulettes Respectueusement traînés. Un tel souffrant qu'on le décante Fat dans sa fraise de cristal : "Ah ! dit-il, plus d'une bacchante M'aima dans le Palais-Royal !" A ce rendez-vous pacifique Aucun ne manque ; ils sont tous là. O le spectacle magnifique ! O le resplendissant gala ! Et quel bel exemple nous donnent Ces vins dans leur rare fierté Qui s'acceptent et se pardonnent Leur triomphante égalité ! __________________
Charles MONSELET
LES ESCARGOTS DE BOURGOGNE
Je t'estime et je t'aime,escargot de Bourgogne Pour ta sage lenteur et ce goût du foyer Qui te fait transporter ta maison sans ployer, Vagabond méthodique et cornu sans vergogne.
Mais je bénis surtout Marton dont la besogne Autour de ton corps gris consiste à marier Si bien le beurre et l'ail en un fumet princier Que la truffe en pâlit au fond de la Dordogne!
Viens, je veux te saisir brûlant entre mes doigts, Avec les précieux égards que je te dois. Mon appétit robuste au voyage t'invite.
Pour mieux fuir le regret du vignoble doré, Tu glisses vers ma panse, ô doux invertébré, Et je crois que jamais tu n'as marché si vite! ___________________
Charles MONSELET
LA CHOUCROUTE
Et pourquoi pas ? bien macérée. Avec des grains de poivre rond, Pour mainte poitrine altérée Elle est un solide éperon.
Durant tout un mois préparée Par le genièvre fanfaron, Mince et discrètement dorée, Telle elle plaît au biberon.
Au terme d'une longue route, Heureux qui trouve la choucroute Aux douces pâleurs d'albinos, Fumante, et parfumant l'auberge, Et se serrant, comme une vierge, Contre son compère le moos. __________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Jeu 27 Oct - 12:54 | |
| Madeleine DOUCET
CUISINER LE SANGLIER
Cuisiner le Sanglier, ou le marcassin, Rien n'est plus facile, c'est un régal, c'est divin. Ouiller la viande, en piquant celle-ci, ici, là, Recouvrez ensuite, de vin rouge dans le plat.
Coupez un oignon en plusieurs petits morceaux, Ajoutez thym, laurier, clous de girofle, pas trop Deux ou trois, seront largement suffisants, Cela donnera un goût exotique, épatant.
N'oubliez pas, quelques brins de simple persil, Poivrez, laissez dans le frigo toute une nuit, Le lendemain, égouttez votre marcassin, faites-le dorer dans la cocotte, ce sera bien.
L'huile d'olive, mieux qu'autre chose est conseillé, Flambez, sitôt que le rôti sera doré. Un bon cognac, un armagnac est le bon choix, Et tout à l'heure, vous goûterez un plat de Roi.
De suite, après, aspergez d'un peu de farine, Tournez, ajouter le vin, c'est de la cuisine ! Voilà un rôti qui sera bien apprécié, Salez, laissez cuire une heure et dégustez. __________________
Emile VERHEAREN
LA CUISSON DU PAIN
Les servantes faisaient le pain pour les dimanches, Avec le meilleur lait, avec le meilleur grain, Le front courbé, le coude en pointe hors des manches, La sueur les mouillant et coulant au pétrin.
Leurs mains, leurs doigts, leur corps entier fumait de hâte, Leur gorge remuait dans les corsages pleins. Leurs deux doigts monstrueux pataugeaient dans la pâte Et la moulaient en ronds comme la chair des seins.
Le bois brûlé se fendillait en braises rouges Et deux par deux, du bout d’une planche, les gouges Dans le ventre des fours engouffraient les pains mous.
Et les flammes, par les gueules s’ouvrant passage, Comme une meute énorme et chaude de chiens roux, Sautaient en rugissant leur mordre le visage. ___________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Dim 30 Oct - 12:12 | |
| Albert SAMAIN
LA CUISINE
Dans la cuisine où flotte une senteur de thym, Au retour du marché, comme un soir de butin, S’entassent pêle-mêle avec les lourdes viandes Les poireaux, les radis, les oignons en guirlandes, Les grands choux violets, le rouge potiron, La tomate vernie et le pâle citron. Comme un grand cerf-volant la raie énorme et plate Gît fouillée au couteau, d’une plaie écarlate. Un lièvre au poil rougi traîne sur les pavés Avec des yeux pareils à des raisins crevés. D’un tas d’huîtres vidé d’un panier couvert d’algues Monte l’odeur du large et la fraîcheur des vagues. Les cailles, les perdreaux au doux ventre ardoisé Laissent, du sang au bec, pendre leur cou brisé ; C’est un étal vibrant de fruits verts, de légumes, De nacre, d’argent clair, d’écailles et de plumes. Un tronçon de saumon saigne et, vivant encor, Un grand homard de bronze, acheté sur le port, Parmi la victuaille au hasard entassée, Agite, agonisant, une antenne cassée. __________________
Charles MONSELET
LE COCHON
Car tout est bon en toi: chair, graisse, muscle, tripe ! On t'aime galantine, on t'adore boudin Ton pied, dont une sainte a consacré le type, Empruntant son arôme au sol périgourdin,
Eût réconcilié Socrate avec Xanthippe. Ton filet, qu'embellit le cornichon badin, Forme le déjeuner de l'humble citadin; Et tu passes avant l'oie au frère Philippe.
Mérites précieux et de tous reconnus ! Morceaux marqués d'avance, innombrables charnus! Philosophe indolent qui mange ce que l'on mange !
Comme, dans notre orgueil, nous sommes bien venus A vouloir, n'est-ce pas, te reprocher ta fange ? Adorable cochon ! animal roi- Cher ange ! __________________
Charles MONSELET
L’ANDOUILLETTE
Dédaignons la mouillette Et la côte au persil. Crépite sur le gril, O ma fine andouillette !
Certes, ta peau douillette Court un grave péril. Pour toi, ronde fillette, Je défonce un baril.
Siffle, crève et larmoie, Ma princesse de Troyes Au flanc de noir zébré !
Mon appétit te garde Un tombeau de moutarde De Maille ou de Vert-Pré. __________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Lun 31 Oct - 18:26 | |
| Raymond FÉVRIER
BRANDADE DE MORUE
Afin que cette chair exquise ne vous leurre, Au mortier pilez-là, d'abord, d'un long travail. Peinez debout, comme un pilote au gouvernail, Dans un effort de bras et sans souci pour l'heure.
Puis, mêlez à la pâte une huile, la meilleure, Et chauffez en virant. Râpez un soupçon d'ail ; Saupoudrez de persil ; enfin, simple détail, Servez avec croûtons frits et passés au beurre.
À vos palais gourmands, oh ! le mets onctueux !... Rien, ni le caneton, ni le paon fastueux, Ni la grive en salmis, ni la fine pintade,
Ni la truffe embaumant la dinde ou le levraut, Rien, vous dis-je, non rien à la bouche ne vaut Le doux velours d'une morue à la brandade ! _________________
Charles MONSELET
LA SEMOULE
D’aspect simple, n’ayant rien de primesautier, La bourgeoise Semoule appelle la faïence, La soupière massive arrondissant sa panse. Où reluit l’art naïf du Rouen ou du Moustier.
Céréale modeste, ange de bienfaisance. Elle répand ses dons parmi le monde entier. L’oncle qui s’en nourrit, trompant mainte espérance, Refait son estomac et nargue l’héritier.
Robuste au grand parent et légère à l’adulte. Dans toutes les maisons elle est l’objet d’un culte. En fait-on des gâteaux, il faut voir les babys,
Devant ce panthéon spongieux ébaubis, Battre gaiement des mains près de leur mère heureuse ! Acte de Florian ! Intérieur de Greuzeî. __________________
Charles MONSELET
LE HOMARD
LE homard, compliqué comme une cathédrale, Sur un lit de persil, monstre rouge, apparaît. En le voyant ainsi, Janin triompherait, Car il a revêtu la pourpre cardinale ! Et c’est le Borgia des mers. Il a l’attrait Des scélérats déçus dans leur ruse infernale. Héraut des grands festins, avec pompe il étale Son cadavre éventré dans l’office en secret.
Jamais plus fier vaincu n’eut plus beau flanc d’albâtre ! Décoratif et noble, il gît sur son théâtre. Jusques après la mort refusant d’abdiquer,
Il se cramponne aux doigts qui veulent l’attaquer. Et si quelque imprudent cherche à briser sa pince : « Prends garde ! lui dit-il, je suis encore un prince ! »
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Sam 5 Nov - 11:09 | |
| Alfred de MUSSET
À MADAME Cne T.
Dans son assiette arrondi mollement, Un pâté chaud, d’un aspect délectable, D’un peu trop loin m’attirait doucement. J’allais à lui. Votre instinct charitable Vous fit lever pour me l’offrir gaiement.
Jupin, qu’Hébé grisait au firmament, Voyant ainsi Vénus servir à table, Laissa son verre en choir d’étonnement Dans son assiette.
Pouvais-je alors vous faire un compliment ? La grâce échappe, elle est inexprimable ; Les mots sont faits pour ce qu’on trouve aimable, Les regards seuls pour ce qu’on voit charmant ; Et je n’eus pas l’esprit en ce moment Dans son assiette. __________________
Emile VERHAEREN
LA CUISINE
Au fond, la crémaillère avait son croc pendu, Le foyer scintillait comme une rouge flaque, Et ses flammes, mordant incessamment la plaque, Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu.
Le feu s’éjouissait sous le manteau tendu Sur lui, comme l’auvent par-dessus la baraque, Dont les bibelots clairs, de bois, d’étain, de laque, Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu.
Les rayons s’échappaient comme un jet d’émeraudes, Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d’émail,
A voir sur tout relief tomber une étincelle, On eût dit – tant le feu s’émiettait par parcelle – Qu’on vannait du soleil à travers un vitrail. __________________
Charles MONSELET
LE GODIVEAU
QUAND j’étais tout petit, j’aimais les godiveaux, Où, modeste traiteur, souvent tu te révèles. A présent que je vais aux recettes nouvelles, Et que mon appétit vole aux gibiers nouveaux.
Je me souviens. Malgré grives et bartavelles, Je regrette le temps où, fou de maniveaux, Je dévorais la croûte où nageaient les cervelles Et les crêtes de coq, avec les ris de veaux.
Ces godiveaux, orgueil des bourgeoises familles, Étaient en ce temps-là pareils à des bastilles ; La salle s’imprégnait de leurs puissants parfums ;
Et, jeune âme déjà conquise à la cuisine, J’oubliais de presser le pied de ma cousine. — Et je pleure en songeant aux godiveaux défunts. __________________
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| | | Lucienne MARTEL
Messages : 3013 Date d'inscription : 14/10/2015 Age : 70 Localisation : LIMOUX
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Sam 5 Nov - 11:24 | |
| Excellents ces poèmes culinaires, au sens propre comme au sens figure mais mon faible revient au deuxième. j'ai horreur des abats dans mon assiette : j'en ai trop mangé quand j'étais pitchoune car le prix en éétait plus qu'abordable pour une grande famille Merci de nous délecter ainsi de ces grands poètes Belle journée à toi Gros bisous Lucienne | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Sam 5 Nov - 12:00 | |
| - Lucienne MARTEL a écrit:
- Excellents ces poèmes culinaires, au sens propre comme au sens figuré mais mon faible revient au deuxième. j'ai horreur des abats dans mon assiette : j'en ai trop mangé quand j'étais pitchoune car le prix en éétait plus qu'abordable pour une grande famille
Merci de nous délecter ainsi de ces grands poètes Belle journée à toi Gros bisous Lucienne Que du bonheur de lire un tel commentaire, Chère LUCIENNE ! Moi aussi, je n'aime pas les abats (à part des gras doubles, dont curieusement, je me délecte.) Promis, il y en aura pour tous les goûts et même les végétariens y trouvent, je pense leur compte. Tiens, pourquoi pas parler d'un bon gratin, avec Maurice CHAMPAVIER.
Passe un excellent week-end. DE GROS du marseillais.
Maurice CHAMPAVIER
LE GRATIN
Un gratin cuit à point est un régal suprême, En pays dauphinois, c’est un plat vénéré, L’aliment familial si souvent savouré, Mets d’été, mets d’hiver et même de carême!
La recette est facile et simple en est le thème : Dans un plat peu profond, coupez, à votre gré, Quelques pommes de terre, et puis, sans rien d’outré, Ajoutez œufs, sel, ail, beurre et lait riche en crème.
Au vrai, cela suffit pour faire un bon gratin. Toutefois, quel sera l’artiste assez certain De son art pour mener à bien l’œuvre modèle ?
Choisissez une femme, une femme de goût, Belle, libre de soin, dauphinoise avant tout Et, si vous le pouvez, tâchez d’être aimé d’elle. _________________
Léontine DESBOUCHAGES
Les RAYOLES
Avec de la fleur de farine, Eau, beurre, œuf, quelques grains de sel, Faites une pâte très fine ; Étendez ; c'est l'essentiel. Découpez beaucoup de rondelles, Prenez un verre pour compas, Et, pour bien garnir ces parcelles, Écoutez..., et ne riez pas !...
Écrasez un peu de citrouille ; Hachez des épinards blanchis ; Garnissez : que votre doigt mouille La pâte autour du hachis ; Pliez d'un coup de main habile ; Joignez les bords en les pressant ; Dans l'eau qui bout, mettez, agile, Cuire un instant chaque croissant.
Pilez des noix. Râpez ensuite, Du bon fromage à votre choix. Sur un plat, superposez vite Un lit de pâte, un lit de noix, Un lit de fromage et de beurre. Voilà le chef-d'œuvre requis. Couvrez et laissez un quart d'heure Près du feu. Goûtez : c'est exquis !... __________________
Dernière édition par André Laugier le Jeu 10 Nov - 9:56, édité 2 fois | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 8 Nov - 19:18 | |
| ANONYME
L'APÉRITIF DANS LA FORET
SANS souci de la muse verte, A l'heure de l'apéritif, Le cou tendu, la jambe alerte, Déployant mon nerf olfactif,
Je fais de longues promenades Dans les sentiers de la forêt; — J'en choisis un sombre et discret, Où les pins forment des arcades —.
Quelles odorantes senteurs On y puise à pleines narines ! Ce parfum de bois et de fleurs Dilate et gonfle les poitrines.
Pour terminer l'apéritif, Je débouche en pleine lumière, Dans un Paradis suggestif, Où, dans la mousse et la bruyère, Se dressent aux yeux étonnés, Les rochers aux décors rustiques Dessinant grottes ou portiques Par le hasard échelonnés.
Là, grimpé sur une éminence, Dominant les verts horizons, C'est le nectar des floraisons Que je bois dans la coupe immense ! __________________
Charles BAUDELAIRE
L'ÂME DU VIN
Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles : « » Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de lumière et de fraternité !
Je sais combien il faut, sur la colline en flamme, De peine, de sueur et de soleil cuisant Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ; Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,
Car j’éprouve une joie immense quand je tombe Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux, Et sa chaude poitrine est une douce tombe Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux. Entends-tu retentir les refrains des dimanches Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ? Les coudes sur la table et retroussant tes manches, Tu me glorifieras et tu seras content ;
J’allumerai les yeux de ta femme ravie ; A ton fils je rendrai sa force et ses couleurs Et serai pour ce frêle athlète de la vie L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.
En toi je tomberai, végétale ambroisie, Grain précieux jeté par l’éternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poésie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! __________________
SAINT AMANT
LE MELON
C’en est fait, le voilà coupé Et mon espoir n’est point trompé. Ô dieux ! que l’éclat qu’il me lance M’en confirme bien l’excellence ! Qui vit jamais un si beau teint ! D’un jaune sanguin il se peint ; Il est massif jusques au centre, Il a peu de grains dans le ventre, Et ce peu-là, je pense encore Que ce soient autant de grains d’or ; Il est sec ; son écorce est mince ; Bref, c’est un vrai manger de prince. Mais, bien que je ne le sois pas, J’en ferai pourtant un repas
Non, le coco, fruit délectable, Qui lui tout seul fournit la table De tous les mets que le désir Puisse imaginer et choisir,
Ni le cher abricot, que j’aime, Ni la fraise avecque la crème, Ni la manne qui vient du ciel, Ni le pur aliment du miel, Ni la poire de Tours sacrée, Ni la verte figue sucrée, Ni la prune au jus délicat, Ni même le raisin muscat (Parole pour moi bien étrange), Ne sont qu’amertume et que fange Au prix de ce melon divin, Honneur du climat angevin. _________________
APOLLINAIRE
Te souviens-tu mon Lou de ce panier d’oranges Douces comme l’amour qu’en ce temps-là nous fîmes Tu me les envoyas un jour d’hiver à Nîmes Et je n’osai manger ces beaux fruits d’or des anges
Je les gardai longtemps pour les manger ensemble Car tu devais venir me retrouver à Nîmes De mon amour vaincu les dépouilles opimes Pourrirent J’attendais Mon cœur la main me tremble !
Une petite orange était restée intacte Je la pris avec moi quand à six nous partîmes Et je l’ai retrouvée intacte comme à Nîmes Elle est toute petite et sa peau se contracte.
Et tandis que les obus passent je la mange Elle est exquise ainsi que mon amour de Nîmes Ô soleil concentré riche comme mes rimes Ô savoureux amour ô ma petite orange !
Les souvenirs sont-ils un beau fruit qu’on savoure ? Le mangeant j’ai détruit mes souvenirs opimes Puissé-je t’oublier mon pauvre amour de Nîmes ! J’ai tout mangé l’orange et la peau qui l’entoure
Mon Lou pense parfois à la petite orange Douce comme l’amour le pauvre amour de Nîmes Douce comme l’amour qu’en ce temps-là nous fîmes Il me reste une orange Un cœur un cœur étrange __________________
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 8 Nov - 20:16 | |
| Bien agréable à lire toutes ce poésies gourmandes ; merci André ! | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mer 9 Nov - 18:44 | |
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mer 9 Nov - 19:00 | |
| Georges FOUREST
SARDINES À L'HUILE
Dans leur cercueil de fer-blanc plein d’huile au puant relent marinent décapités ces petits corps argentés pareils aux guillotinés là-bas au champ des navets ! Elles ont vu les mers, les côtes grises de Thulé, sous les brumes argentées la Mer du Nord enchantée… Maintenant dans le fer-blanc et l’huile au puant relent de toxiques restaurants les servent à leurs clients ! Mais loin derrière la nue leur pauvre âmette ingénue dit sa muette chanson au Paradis-des-poissons, une mer fraîche et lunaire pâle comme un poitrinaire, la Mer de Sérénité aux longs reflets argentés où durant l’éternité, sans plus craindre jamais les cormorans et les filets, après leur mort nageront tous les bons petits poissons !… Sans voix, sans mains, sans genoux sardines, priez pour nous !… _________________
Albert SAMAIN
LE REPAS PRÉPARÉ
Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine ; Le maître va rentrer ; sur la table de chêne Avec la nappe neuve aux plis étincelants Mets la faïence claire et les verres brillants. Dans la coupe arrondie à l’anse en col de cygne Pose les fruits choisis sur des feuilles de vigne : Les pêches que recouvre un velours vierge encor, Et les lourds raisins bleus mêlés aux raisins d’or. Que le pain bien coupé remplisse les corbeilles, Et puis ferme la porte et chasse les abeilles… Dehors le soleil brûle, et la muraille cuit. Rapprochons les volets, faisons presque la nuit, Afin qu’ainsi la salle, aux ténèbres plongée, S’embaume toute aux fruits dont la table est chargée. Maintenant, va puiser l’eau fraîche dans la cour ; Et veille que surtout la cruche, à ton retour, Garde longtemps glacée et lentement fondue, Une vapeur légère à ses flancs suspendue. __________________
Marc-Antoine-Madeleine DÉSAUGIERS
CHANSON À MANGER
Aussitôt que la lumière Vient éclairer mon chevet, Je commence ma carrière Par visiter mon buffet ; À chaque mets que je touche, Je me crois l’égal des dieux ; Et ceux qu’épargne ma bouche Sont dévorés par mes yeux.
Boire est un plaisir trop fade Pour l’ami de la gaieté : On boit lorsqu’on est malade, On mange en bonne santé. Quand mon délire m’entraîne, Je me peins la Volupté Assise, la bouche pleine, Sur les débris d’un pâté.
À quatre heures, lorsque j’entre Chez le traiteur du quartier, Je veux toujours que mon ventre Se présente le premier. Un jour, les mets qu’on m’apporte Sauront si bien l’arrondir, Qu’à moins d’élargir la porte Je ne pourrai plus sortir.
Un cuisinier, quand je dîne, Me semble un être divin Qui, du fond de sa cuisine, Gouverne le genre humain. Qu’ici-bas on le contemple Comme un ministre du ciel, Car sa cuisine est un temple Dont les fourneaux sont l’autel !
Mais sans plus de commentaires, Amis, ne savons-nous pas Que les noces de nos pères Finirent par un repas ? Qu’on vit une nuit profonde Bientôt les envelopper, Et que nous vînmes au monde, À la suite du souper ?
Je veux que la mort me frappe Au milieu d’un grand repas, Qu’on m’enterre sous la nappe, Entre quatre larges plats.... Et que sur ma tombe on mette Cette courte inscription : Ci-gît le premier poète Mort d’une indigestion. __________________
FRANC-NOHAIN
LE BABA ET LES GÄTEAUX SECS Ce qui caractérise le baba, C'est l'intempérance notoire. A-t-il dans l'estomac Une éponge ? On le pourrait croire, Avec laquelle on lui voit boire, — En quelle étrange quantité — Soit du kirsch, de la Forêt-Noire Soit du rhum, de première qualité. Oui, le baba se saoule sans vergogne Au milieu d'une assiette humide s'étalant, Tandis que près de lui, dans leur boîte en fer-blanc De honte et de dégoût tout confus et tremblants, Les gâteaux secs regardent cet ivrogne. « Voyez, dit l'un des gâteaux secs, un ancien — à ce point ancien qu'il est même un peu rance — Voyez combien l'intempérance nous doit inspirer de mépris Et voyez-en aussi les déplorables fruits : Victime de son inconduite, Sachez que le baba se mange tout de suite. Pour nous qui menons au contraire une vie réglée, austère on nous laisse parfois des mois. » Cependant, une croquignole, jeune et frivole, et un peu folle, Une croquignole songe à part soi : — On le mange, mais lui, en attendant, il boit. Je connais plus d'un gâteau sec Dont c'est au fond l'ambition secrète Et qui souhaite d'être baba. __________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Jeu 10 Nov - 10:40 | |
| Louise L'HERMITTE
Prenez, d'abord, de Parmentier L'exquise vitelotte. Coupez-là, par rond, ou quartier, Dans une brune cocotte. Ajoutez-y beurre et lardons, Laurier, thym, sel et poivre ; Si gousses d'ail, et leurs tronçons, Sans que l'odeur vous navre. Puis, le jus d'un gigot rôti, Baignez d'un peu d'eau pure, Faites cuire, à feu tout petit, Sans que le temps vous dure. Une heure au plus devra compter, Pour que le plat mijote ; Maos gardez-vous bien de l'ôter Du fond de la cocotte. Portez-là triomphalement Au milieu de la table, Et régalez-vous promptement De ce mets délectable. _________________
Georges VICAIRE
PIGEONNEAUX INNOCENTS AUX CREVISSES
Innocentes petites bêtes, Vous périssez par le tranchant, Et de votre cage, en sortant, On vous saigne à la tête.
Dépouillez-les de leur plumage, Les videz, troussez rondement, Mettez-les dans l'eau chaudement, Faites donc ce ménage.
Ces pigeonneaux ont les fricasse, Ris de veau, crêtes, mousserons ; Le coulis de veau et jambon Convient dans cette place.
Les écrevisses sont pilées : Mitonnez-les dans du bouillon, Joignez-y du pain qui soit bon. Que toutes soient passées.
Le coulis en rouge couleur, Incorporez dans le ragoût ; Assaisonnez-le de bon goût, Il n'est sauce meilleure. _________________
HENRI CHANTAVOINE
LA POTÉE BOURGUIGNONE
Prenez un bon morceau de salé, tendre et rose. Un plus gros de jambon, un plus petit de lard ; Tous les trois ont leur prix, mais le secret de l'art Est de savoir régler exactement la dose.
Coupez un chou, deux choux, trois choux, York ou Milan, Pour remplir jusqu'aux bords, devant la cheminée, Le Pot où réduira, toute la matinée, "La Potée", au nom simple et gras, mets succulent.
Enfoncez dans le pot, bourré comme un cratère, De frais haricots verts et des pommes de terre, Des carottes et des navets de saison.
Et servez chaud, très chaud, afin que la fumée Eveille l'appétit, rien qu'à l'exhalaison Du grand plat dont la salle est toute parfumée. __________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 15 Nov - 19:24 | |
| Raoul PONCHON
SONNET DE LA SALADE
Je sais très peu de gens faisant bien la salade. D'aucuns croient qu'il suffit d'y répandre par hasard Huile et vinaigre, et poivre et sel sans tact sans art, Et qu'ils s'arrangeront comme Oreste et Pylade.
D'autres ne veulent point qu'une herbe s'y ballade, Non plus que tout autre ail, qu'ils trouvent abusard. Tel la fait en cinq secs, et tel autre busard Va te la fatiguer à s'en rendre malade.
Celui-ci mettra l'huile en premier, celui-là Le vinaigre - croyant indifférent cela ! - Ou, Paul la noiera d'huile et Pierre de vinaigre.
Parbleu, me direz-vous - je te trouve charmant... Mais, comment la fais-tu toi-même, pauvre nègre ? - Oh ! mais moi, je la fais supérieurement. _________________
Henri CHANTAVOINE
LES GRIVES
Les grappes vont mûrir et les premières grives Perchent sur les sapins qui bordent les côteaux ; Elles volent par ci, par là, maigres et vives Et cherchent les grains noirs dans les raisins nouveaux.
Quelquefois le chasseur qui revient au village Avec ses chiens courants qui marchent sur ses pas, Espère les surprendre et les guette au passage, Mais la grive est légère et le chasseur est las.
Elle a vu le fusil, de loin, la vendangeuse, Elle est sur le qui-vive, et rapide et moqueuse, Elle tire de l'aile avec son cri léger...
Le coup part...elle est sauve... Alors, levant la tête, Les chiens suivent le vol de la petite bête Et le chasseur déçu se remet à songer. _________________
Henri CHANTAVOINE
LA PERDRIX AUX CHOUX
Prenez une perdrix vieille et grasse, bardée De lard et mettez-là cuire sur un feu doux, Entre deux matelas, faits du plein cœur de choux Tout frais cueillis, après une légère ondée.
Les choux ne sont jamais trop gras ; en supplément, Un fin bout de salé n'est pas pour leur déplaire. Tout peut tenir dans la marmite circulaire Qu'embaumera le lard savoureux et fumant...
Avez-vous deux perdrix : elles seront heureuses De voisiner encor sous leurs couches moelleuses ; L'une à côté de l'autre, elles "rappelleront".
Surtout, poivre ou piment, proscrivez les épices. Mais, sur le flanc des choux ou les bords du plat rond, Égrenez simplement de petites saucisses. _________________
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mer 16 Nov - 7:54 | |
| J'aime bien Ponchon C'est tout un art de préparer une bonne salade, il dit vrai. Le Chantavoine ne pense qu'à tuer et faire rôtir ...il est aussi vrai qu'un chasseur qui aime les bons repas ont ces 2 passions ! Cela n'enlève en rien le don du poète ! | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Ven 18 Nov - 20:55 | |
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Ven 18 Nov - 21:35 | |
| Henri CHANTAVOINE
LA DAUBE
C'est le vieux mot, le mots français, simple et commode, Ne daubez pas sur elle, avant d'avoir goûté De ce plat onctueux, modeste et velouté, Que les restaurateurs appellent le bœuf-mode.
Mais ces restaurateurs, qui restaurent si mal, Gâtent la daube, après l'avoir débaptisée : La daube de chez nous, naturelle ou braisée, Est un plat de maison, qui n'a pas son égal.
Le bœuf entrelardé réduit à l'étuvée ; La carotte se renfle et se donne, abreuvée Par les sucs généreux qui sortent de la chair.
Tout dans la daube est bon, jus, carottes et viande, Et, quand elle apparaît sur nos table, l'hiver, L'odeur en est exquise et la saveur friande. __________________
Charles THURIET
LA CANCOILLOTTE
Dans un beau linge clair maillé Avec amour on emmaillotte Un gros amas de lait caillé ; Principe de la Cancoillotte . Quand bien comprimé bien tordu, Il ne reste plus une goutte Dans le résidu Dans un vase, non loin du feu A l' abri du chat on dépote Le blanc produit qui va sous peu Se transformer en Cancoillotte.
Sans trop vous impatienter Attendez que dame nature Ai fait doucement fermenter La savoureuse moisissure. Emiettez-la de temps en temps; Et quand chaque petite motte Jaunit comme le blé des champs Faites cuire la Cancoillotte.
Dernière préparation, Qui doit s'opérer juste à l'heure ; Mêler avec discrétion, En tournant, eau, sel, poivre, et beurre, et que plus un grumeau ne flotte ; Versez chaud votre contenu : Vous aurez fait la Cancoillotte... _________________
POÈTE ANONYME
LE GIGOT
J'aime mieux un tendre gigot, Qui sans pompe et sans étalage, Se montre avec un entourage De laitue ou de haricot. Gigot, recevez mon hommage : Souvent j'ai dédaigné pour vous, Chez la baronne ou la marquise, La poularde la plus exquise, Et même la perdrix aux choux. J'ai vu dévorer sans envie Et des pâtés de Périgueux, Et des coulis ingénieux Et la tête la mieux farcie. Heureux, et mille fois heureux. Quand un cuisinier trop barbare, Par un artifice bizarre. Ne vous cachait pas à mes yeux ! .Je le déclare sans mystère, .Je ne sais rien dire à demi : Oui, jusqu'au bout de ma carrière, Gigot, vous serez mon ami. __________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Lun 21 Nov - 19:49 | |
| Pierre de BÉRANGER
LE TOURNEBROCHE
Du dîner j’aime fort la cloche, Mais on la sonne en peu d’endroits ; Plus qu’elle aussi le tournebroche À nos hommages a des droits. Combien d’ennemis il rapproche Chez le prince et chez le bourgeois ! À son doux tic tac un jour les partis Signeront la paix entre deux rôtis.
Qu’on reprenne sur la musique Les querelles du temps passé ; Que par l’Amphion italique Le grand Mozart soit terrassé ; Je ne tiens qu’au refrain bachique Par le tourne-broche annoncé. À son doux tic tac un jour les partis Signeront la paix entre deux rôtis.
Lorsque la Fortune à sa roue Attache mille ambitieux, Les précipite dans la boue Ou les élève jusqu’aux cieux, C’est la broche, moi je l’avoue, Dont la roue attire mes yeux. À son doux tic tac un jour les partis Signeront la paix entre deux rôtis.
Une montre, admirable ouvrage, Des heures décrivant le cours, Règle, sans en charmer l’usage, Le cercle borné de nos jours ; Le tournebroche a l’avantage D’embellir des instants trop courts. À son doux tic tac un jour les partis Signeront la paix entre deux rôtis.
Ce meuble, suivant maint vieux conte, A manqué seul à l’âge d’or ; C’est l’amitié qui, pour son compte, Dut en inventer le ressort. Vivent ceux que sa main remonte ! Mais gloire à celui du trésor ! À son doux tic tac un jour les partis Signeront la paix entre deux rôtis. Vous avez aimé cette œuvre classique, partagez. __________________
Joseph BERCHOUX
L'ESPRIT OBLIGE
Mettre au rang des beaux-arts celui de la cuisine. D'un utile appétit munissez-vous d'avance. Préludez doucement au plaisir du repas. Que j'aime cependant l'admirable silence Que je vois observer quand le repas commence. Jouissez lentement et que rien ne vous presse. Souvenez-vous toujours, dans le cours de la vie Qu'un "dîner sans façon" est une perfidie. Hélas, nous n'avons plus l'estomac de nos pères. Le ragoût le plus fin que l'art puisse produire S'il est froid et glacé ne saurait me séduire. Rien ne doit déranger l'honnête homme qui dîne. Qu'après le crépuscule un repas copieux Vous prépare au sommeil et vous ferme les yeux. Un poème jamais ne valut un dîner. (Salut, toi que décore un excès d'embonpoint !!) __________________
DE LA CRESPELLÈRE
L'ECOLE DU VIN
Le vin, cette boisson divine Qui réjouit notre poitrine, Foie, estomac, cœur et cerveau Qui nous fait un rouge museau Qui des sujets fait des Monarques Est toujours connu pour ces marques, La saveur et l'aimable odeur, Et la couleur et la splendeur.
Son odeur doit être agréable Elle aide à faire un sang louable; Donne au corps un bon aliment, Le fait agir plus rondement Réjouit et le cœur et l'Âme D'un pauvre diable qui se pâme, Remet les esprits languissants Et les rend forts et puissants; Mais elle entête en récompense Un homme qui par nonchalance Tous les jours dans le cabaret Boit trop de blanc et de clairet. Le vin dont l'odeur est mauvaise Met son buveur mal à son aise, Qui n'en doit boire aucunement, De peur d'accroître son tourment. La splendeur doit être éclatante Et claire et nette et transparente Signe que les esprits sont purs Subtils et nullement obscurs. _________________
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Lun 21 Nov - 19:54 | |
| Les bons repas sont toujours de grands plaisir pour nous tous ! Quand on devra prendre des pilules pour se nourrir ...on rigolera moins !!! J'espère que nous le verrons pas ! Bisous André et merci pour cette poésie gourmande. | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 22 Nov - 11:50 | |
| Raoul PONCHON
SONNET DE LA DINDE AUX MARRONS
Pour faire une dinde aux marrons, Prenez de préférence une oie. La dinde est une pauvre proie Même pour les estomacs prompts.
Autant vaut - nous le déclarons - Mordre dans du cheval ... de Troie. Quoi ! votre mâchoire la broie ? Allons donc, tas de fanfarons !
Et, tenez ... encore autre chose, Puisque de cette dinde on cause, Laquelle est donc une oie - Eh bien
Sachez donc, bougres de Tartuffes, Que cela ne gâterait rien Si les marrons étaient des truffes. _________________
Raymond FÉVRIER
BRANDADE DE MORUE
Afin que cette chair exquise ne vous l'eure, Au mortier pilez-là, d'abord, d'un long travail. Peinez debout, comme un pilote au gouvernail, Dans un effort de bras et sans souci pour l'heure.
Puis, mêlez à la pâte une huile, la meilleure, Et chauffez en virant. Râpez un soupçon d'ail ; Saupoudrez de persil ; enfin, simple détail, Servez avec croûtons frits et passés au beurre.
De vos palais gourmands, oh ! le mets onctueux !... Rien, ni le caneton, ni le paon fastueux, Ni la grive en salmis, ni la fine pintade,
Ni la truffe embaumant la dinde ou le levraut, Rien, vous dis-je, non rien à la bouche ne vaut Le doux velours d'une morue à la brandade ! __________________
Raoul PONCHON
LA BOUILLABAISSE
La France est un pays charmant. Et tu le dis excellemment Dans ta chronique, ô Debusschère ! Étant, au suprême degré, Le pays cent fois consacré Du vin et de la bonne chère.
Certe, on peut aller n’importe où, En France, il n’est si petit trou, Dans un coin perdu de province, Qui n’ait sa spécialité, Son mets favori, réputé, Digne de la gueule d’un prince.
Quant au vin, je n’en dirai rien. Si j’en parlais, Dieu sait combien Je tomberais dans l’hyperbole ! J’affirme néanmoins ceci : Que les vins, nés ailleurs qu’ici, Ne sont que de la rocambole.
C’est là ton avis, c’est le mien. Mais, où je ne comprends plus rien, C’est lorsque ta plume rabaisse, En des termes plutôt hardis, Au rang d’affreux salmigondis, L’incomparable bouillabaisse !
Je veux croire, mon pauvre ami, Que c’est un « lapsus calami ». Ou bien, c’est que ta cuisinière T’aura servi, sous ce nom-là, On ne sait quel sombre rata. Ah ! dame !... Il y faut la manière.
Salmigondis ! c’est bientôt dit. Vous l’entendez, gens du Midi ! Marius ! troun de l’air ! bagasse ! Parler avec un tel dégoût De ce chef-d’œuvre de haut goût ! Quoi ! faire fi de la rascasse !
Moi je dis que le cuisinier Qui sut mélanger le premier, Avec mesure, avec sagesse, Ces poissons et ces condiments, Enfin... les divers éléments Qui constituent la bouillabaisse,
Mérite une statue en or, Car il établit un record. C’était un homme de génie. Et j’estime, qu’à tout jamais. Par les véritables gourmets Sa mémoire sera bénie.
Oui, Debusschère que voilà, La bouillabaisse est un peu là, C’est une des moins contestées Culinaires combinaisons, Que l’homme ait jamais inventées, Esculente en toutes saisons.
Et les Provençaux n’ont pas tort, S’ils en hâblent, coquin de sort ! Sache bien, que moi qui te parle, Je la prise le même prix, Et je le dis sans parti pris, N’étant de Marseille ni d’Arles. __________________
Paul SCARRON
CHANSON À MANGER
Quand j'ai bien faim et que je mange Et que j'ai bien de quoi choisir, Je ressens autant de plaisir Qu'à gratter ce qui me démange. Cher ami tu m'y fis songer : Chacun fait des chansons à boire, Et moi, qui n ai plus rien de bon que la mâchoire Je n'en veux faire qu'à manger. Quand on se gorge d'un potage Succulent comme un consommé, Si notre corps en est charmé, Notre âme l'est bien davantage. Aussi Satan, le faux glouton, Pour tenter la femme première, N'alla pas lui montrer du vin ou de la bière, Mais de quoi branler le menton. Quatre fois l'homme de courage En un jour peut manger son saoul ; Le trop-boire peut faire un fou De la personne la plus sage. A-t-on vidé mille tonneaux ? On a bu que la même chose ; Au lieu qu'en un repas on peut doubler la dose De mille différents morceaux. Quel plaisir, lorsqu'avec furie, Apres la bisque et le rôti, Un entremet bien assorti Vient réveiller la mangerie ! Quand tu mords dans un bon melon, Trouves-tu liqueur qui le vaille ? O mon très cher ami, je suis la mangeaille ; Il n'est rien de tel qu'un glouton. _________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mer 30 Nov - 19:04 | |
| FRANC-NOHAIN
LE BOUCHON ET LA BOUTEILLE DE CHAMPAGNE
De la bouteille de Champagne Le bouchon faisant le bouffon, Est-ce l'ivresse qui le gagne ? Pète et bondit jusqu'au plafond.
Une fois au plafond, il en faut redescendre, Hélas ! C'est la commune loi, Et si merveilleuse que soit La vertu des vins champenois, Notre bouchon ne peut prétendre Demeurer en l'air suspendu ; Bref, le voici redescendu, Qui roule à terre Dans la poussière, Sur le tapis Parmi Les miettes, Et les vieux bouts de cigarettes, Et autres rebutant débris.
Pour son rêve, Triste réveil : Lui qui voulait monter jusqu'au soleil pareil Au vin dont il se grise, ainsi que lui vermeil, Son exaltation fût brève.
Le mieux dit le bouchon, avant qu'on ne l'enlève, Est de regagner au plus tôt Le goulot De la bouteille chère à la veuve Clicquot !
Donc vers son asile ancien, Le bouchon penaud s'en revient. Mais c'est en vain Qu'il se comprime Pour réintégrer cet étui.
L'étui de verre Quelle affaire ! Est maintenant bien trop étroit pour lui, Tant, lorsqu'il se croyait son maître, Et du ciel rêvait la conquête, L'ambitieux s'était épanoui.
La Liberté donne des habitudes Auxquelles il est malaisé Par la suite de renoncer : Reprendre le carcan semble rude, Et l'on aura beau s'efforcer, On n'a plus le goût ni la mine De se laisser imposer Les anciennes disciplines. __________________
Emile GOUDEAU
ODE AU VIN
Ah ! si la Seine était de ce bon vin de Beaune Et que mon ventre fût large de plusieurs aunes, Je m'en irais dessous un pont, M'y coucherais tout de mon long. Et je ferais descendre La Seine dans mon ventre Et si le roi Henry voulait me la reprendre, Implorant ma pitié, plutôt que de la rendre, Je lui dirais : " Bon roi Henry Gardez, gardez votre Paris, Paris avec Vincennes... Mais laissez-moi la Seine." _________________
Raoul PONCHON
LES ALIMENTS PURS
A peine étais-je assis à table, Dans un cabaret confortable Assez connu pour son Vatel, Que surgit un maître d’hôtel, Bouche en cœur, avec le sourire, Et superbe, je dois le dire. Tout d’abord, il se crut tenu De m’exciter sur le menu, Sur des veloutés, des suprêmes, Des jus, des coulis et des crèmes Fort réputés dans la maison, - Disait-il, - mais dont le blason Fut toujours pour moi sans prestige. « Non, non. Pas de sauces, lui dis-je. Non plus de vos salmigondis…
Ecoutez bien : beurre et radis. Je dis beurre et non margarine Et autres, de même farine. Après cela, je mangerais Assez volontiers des œufs frais. J’appelle œufs frais, sans équivoque, Ceux-là que l’on mire… à la coque. Puis, ce sera des escargots En escargot de tout repos, Non en mou de veau qu’on maquille Et qu’on met dans une coquille. Ensuite… un rouget, - mais, pardon ! Que ce ne soit pas un gardon. Vous ferez suivre l’entrecôte, Avec quelques pommes pont-neuf. Mais, je le dis à voix bien haute : Une entrecôte est cette viande Prise entre deux côtes d’un bœuf, Selon une ancienne légende, Et non, si ça vous est égal, Dans la « culotte » d’un cheval.
Après… voyons… que mangerai-je ? Je m’appuierais bien un perdreau, S’il est assez frais et pas trop. Surtout, merci du privilège, Si vous me servez un corbeau N’ayant que les os et la peau. Qu’une salade l’enjolive, Si toutefois l’huile est d’olive, Comme le vinaigre de vin. Je veux bien, si je suis en verve, Pourvu qu’il ne soit de conserve, Un légume quelconque. Enfin, Je consens à quelque fromage, S’il n’a pas subi l’écrémage Et s’il ne marche pas tout seul, Bref, si ça n’est pas un aïeul…
Quant au vin que je compte boire, Qu’il soit simplement péremptoire, Voilà tout, en sa probité, Pur jus de raisin fermenté. Entremets… desserts, je m’en passe. Mais je veux une demi-tasse De café. J’appelle café, Vous savez, non du gland râpé, De la chicorée… aussi pire, Mais le seul café, je veux dire Des grains de café, quoi ! Sans plus, Torréfiés et bien moulus, Que dans l’eau, si je ne m’abuse, Très soigneusement on infuse.
Les liqueurs, je n’en parle pas. On n’en trouve plus ici-bas. Vous m’en donnerez tout de même ; Mon estomac, un vrai poème, Depuis longtemps, vous pensez bien, Ne va plus s’étonnant de rien. Je finirai par un cigare? Que s’il est en feuilles de chou, Vous pouvez le garder pour vous ; Mon goût, jusque-là, ne s’égare. J’aime les choux en tant que choux, Et non pas en tant que cigares. D’ailleurs, j’y puis mettre le prix. Ainsi donc, vous m’avez compris ? »
« Oui, me dit-il, je vous écoute. Mais monsieur veut rire, sans doute ? En vérité, si tous les gens Etaient à ce point exigeants, Ce serait notre mort subite, Nous aurions bientôt fait faillite. » _________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Lun 5 Déc - 18:13 | |
| Emile VERHAEREN
LA CUISINE
Au fond, la crémaillère avait son croc pendu, Le foyer scintillait comme une rouge flaque, Et ses flammes, mordant incessamment la plaque, Y rongeaient un sujet obscène en fer fondu. Le feu s’éjouissait sous le manteau tendu Sur lui, comme l’auvent par-dessus la baraque, Dont les bibelots clairs, de bois, d’étain, de laque, Crépitaient moins aux yeux que le brasier tordu. Les rayons s’échappaient comme un jet d’émeraudes, Et, ci et là, partout, donnaient des chiquenaudes De clarté vive aux brocs de verre, aux plats d’émail, A voir sur tout relief tomber une étincelle, On eût dit – tant le feu s’émiettait par parcelle – Qu’on vannait du soleil à travers un vitrail. __________________
Léon BOYER
BALLADE DE LA SOUPE AUX CHOUX
Sur feu de hêtre ou de noyer, Qui tremblote, fuse et crépite, Pansue et noiraude, voyez, Au creux de l'âtre qui s'effrite, Comme elle trône, la marmite Où bouillonne à larges remous Le mets que nul autre n'imite, La succulente soupe aux choux ! Lorsque droite y tient la cuiller, Oh ! par la salle décrépite, Tous les parfums éparpillés... Et, dans le bol plein, la subite Eclosion d'yeux où palpite L'âme fumante du saindoux, Et comme on la déguste vite, La succulente soupe aux choux ! A découvrir le lard, noyé Dans le coeur pommé qui l'abrite, L'appétit est tout égayé... Foin des ragoûts hétéroclites, Du mets savant qui débilite ! Rien ne vaut au corps comme au goût, Dut-on m'accuser de redite, La succulente soupe aux choux ! Prince qui soigne ta gastrite, Ce fumet t'a rendu jaloux... Goûte, crois m'en, selon le rite, La succulente soupe aux choux. __________________
Albert SAMAIN
LE PLAISIR DE LA TABLE
Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine ; Le maître va rentrer ; sur la table de chêne Avec la nappe neuve aux plis étincelants Mets la faïence claire et les verres brillants. Dans la coupe arrondie à l’anse en col de cygne Pose les fruits choisis sur des feuilles de vigne : Les pêches que recouvre un velours vierge encor, Et les lourds raisins bleus mêlés aux raisins d’or. Que le pain bien coupé remplisse les corbeilles, Et puis ferme la porte et chasse les abeilles. Dehors le soleil brûle, et la muraille cuit. Rapprochons les volets, faisons presque la nuit, Afin qu’ainsi la salle, aux ténèbres plongée, S’embaume toute aux fruits dont la table est chargée. Maintenant, va puiser l’eau fraîche dans la cour ; Et veille que surtout la cruche, à ton retour, Garde longtemps, glacée et lentement fondue, Une vapeur légère à ses flancs suspendue. __________________
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Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: La poésie Gourmande Mar 6 Déc - 16:10 | |
| J'aime bien Ponchon, comme d'habitude !!! Des vers simples, clairs et nets ! Merci André. | |
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| Sujet: Re: La poésie Gourmande | |
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| | | | La poésie Gourmande | |
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