L'inspecteur part en chasse 8

L’inspecteur part en chasse 8,
L’ancien commissaire le reçut très chaleureusement. A presque soixante ans aujourd’hui, il avait passé trente trois ans au sein de la police, d’abord dans la région parisienne puis en province. Il semblait en pleine forme, au point d’en paraître dix de moins. Une poignée de main ferme et rapide, une silhouette svelte, presque frêle, un regard clair, presque ingénu, Yves Martin n’avait rien de l’image que l’on pourrait avoir d’un cador de la sûreté. Et pourtant…
Né à Paris d’un père journaliste originaire de Suisse et d’une mère italienne, marié et père de trois enfants, Yves Martin avait traversé, comme il le disait avec le sourire dont il n’était pas avare, les deux plus grands séismes que la police avait connus au cours des dernières décennies: L’arrivée de l’informatique et l’utilisation de l’ADN, précisait-il. Il avait côtoyé deux générations de policiers totalement différentes, et était passé, au cours de sa carrière, de la police des Maigret à celle des Experts. Il avait écrit un livre sur les années passées dans la Grande Maison, comme il aimait l’appeler et il était devenu un spécialiste en informatique ainsi qu’un grand chasseur d’images. La retraite ne l’avait pas chamboulé, bien au contraire. Il n’avait pas assez de temps pour assouvir ses passions.
L’inspecteur lui raconta par le menu son enquête du moment sur les deux pédophiles qui sévissaient en ville dont un s’était pendu. Il était très inquiet pour le second, récidiviste et introuvable pour le moment. Il était certain que d’autres affaires l’impliquant allaient voir le jour. Il avait fait quadriller la ville, protéger les endroits sensibles et placarder des avis de recherche un peu partout. Il avait infiltré les réseaux sociaux pour le piéger au cas où il se servirait du net pour aborder ses victimes et il attendait impatiemment les résultats.
Le commissaire écoutait son ancien homologue mais ne disait mot. Il avait l’air de ne pas écouter et pourtant enregistrait tout, jusqu’au moindre détail, dans son esprit de policier chevronné. Et lorsque l’inspecteur arriva au signalement et à l’identité de l’individu, il eut un petit sursaut : il avait eu affaire à lui, il y avait six ans déjà : l’homme était taciturne, roublard mais très immature. Sa peine avait été assortie d’un suivi médical mais apparemment, il avait replongé. Il s’était alors fait prendre par une "cyber patrouille" : les gendarmes d'un service de surveillance des échanges de fichiers sur internet avaient été intrigués par cette "adresse IP" (qui identifiait chaque connexion) d'où étaient proposées des dizaines de milliers d'images pédopornographiques. La perquisition avait permis de découvrir sur ses disques durs plus de cinquante-cinq mille fichiers - photos ou vidéos - dont certains avaient pourtant été effacés. "Des images pornographiques très dures à regarder", précisa l’ex commissaire. Le pédophile s’intéressait plus particulièrement aux enfants entre  huit à quatorze ans.
L’inspecteur était très soucieux mais le commissaire le rassura. Avec la force employée par son service et les hommes sur le terrain, Marcel Duchamp ne pouvait pas aller bien loin. Il allait forcément se retrouver en situation de récidive et il était bon pour le flagrant délit d’agressions sexuelles sur mineurs. Le piège mis en place par le cyber gendarme de la pseudo Julie allait forcément fonctionné : l’individu devait être aux abois et il ne pourrait pas contrôler très longtemps ses pulsions sexuelles. Le loup allait sortir du bois : c’était une question de patience !
Il mit fin à l’entretien. Son collègue l’avait bien renseigné et surtout rasséréné. Après un dernier verre de brandy et un bon cigare offerts courtoisement par son hôte, ils se quittèrent sur le pas de la porte avec une franche et chaleureuse poignée de main. L’inspecteur promit au policier retraité de le tenir au courant de son affaire et de son dénouement qu’il espérait proche.
Il repartit d’un bon pas à son bureau en espérant de bonnes nouvelles et qui sait, peut-être l’interpellation de Marcel Duchamp…
Lucienne le 21.02.2016