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| LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT | |
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Auteur | Message |
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André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Lun 20 Mar - 19:24 | |
| Raoul PONCHON
L'ILE AUX RICHES
Il est une île par le monde Où tant de confortable abonde Que c'en est vraiment dégoûtant. Elle est, cette île chimérique, Sise non loin de l'Amérique, Ce pays des orangs-outangs.
Ses habitants sont des compères Qui, toujours heureux et prospères, Dans les pétroles et les lards Ont fait, comme l'on dit, leur beurre Et qui jouissent à cette heure D'un nombre absurde de dollars.
C'est... Vanderbilt le magnifique... Mackay, la caisse apoplectique... Gould dont le nom signifie Or ; C'est ce cher Rockfeller encore Dit le Coffre-fort-qui-s'ignore... C'est l'âpre Cushing... c'est Astor !...
Loin de ces richards que l'or crêve Se chiffrant au delà du rêve Si l'on n'en dit que la moitié, Il parait que Rothschild lui-même N'est qu'un détestable bohème Dont la misère fait pitié.
Donc, en cette île fortunée, Pendant quelque mois de l'année, Tous ces nababs et ces Crésus Se retirent loin de l'Affaire... Je veux dire loin des affaires, Des mines d'or, des omnibus.
Ils habitent des palais rares Qui ne sont qu'onyx et carrares, Et réunissent à ce point Les derniers cris du confortable Que tu leur foutrais pour étable... Rambouillet, ils n'en voudraient point.
Et qu'y font-ils de leurs journées ? Les distractions sont bornées, Voire même en ce métier-là, Et sur cette terre promise. Que voulez-vous que je vous dise ?... Ils mènent un grand tralala...
Ils y virent et tournevirent, Pour avoir tout ce qu'ils désirent Leur suffit d'un geste - dit-on : Si même il leur prend fantaisie De faire de la poésie, Ils n'ont qu'à tourner un bouton.
Ils dorment, ils boivent, ils mangent... Se grattent où ça leur démange, Que diable vous faut-il de plus ? Ils fument d'énormes cigares, Probable, sans vous crier gare, Et chantent en choeur lanturlu.
Et pour ce qui est de la chose ?... Non. Point de femmes, et pour cause. Ils n'y pensent pas seulement. Car puisqu'ils viennent dans leur île Justement pour être tranquilles Ca ne serait pas le moment.
Leur exil point ne les empêche De recevoir mainte dépêche De temps en temps, qui parle d'or, Qui leur apprend que leur fortune, Pendant qu'ils bayaient à la lune Vient de fructifier encor.
Certains d'entre eux se réunissent ; Ca n'est pas qu'ils s'en réjouissent, C'est pour jouer au pick-pocker ; Et comme le seul but, je pense De ces messieurs est la dépense, Celui qui perd est le vainqueur.
Il en est d'autres plus moroses, Inaccessibles à ces proses. Assis à l'ombre d'un bouleau, Ils plongent de leurs mains distraites Dans un sac rempli de pépettes Et font des ricochets sur l'eau...
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mer 22 Mar - 17:01 | |
| une belle vérité sur ces riches dans leur île !!! Il est de quelle date ce poème de Ronchon ? On dirait qu'il vient de le créer ! | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mer 22 Mar - 18:48 | |
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| | | MOMO13
Messages : 1155 Date d'inscription : 08/02/2015
| | | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Jeu 23 Mar - 21:46 | |
| - MOMO13 a écrit:
AVAIT IL MAUVAIS CARACTERE ? mdr....
Je ne sais pas, MOMO, mais une chose est sûre c'est qu'il avait créé avec son Ami Jean RICHEPIN, le "Groupe des Vivants", qui s'opposait à celui des "Parnassiens". Il était connu pour son verbe haut, et aussi pour avoir le gosier en pente, témoignant d'une remarquable résistance aux ravages de l'absinthe. Sa verve populaire en a fait l'un des piliers du Cabaret "Le Chat Noir", à Paris. Une grande partie de ses poèmes sont consacrés à la cuisine, aux bistrots, aux boissons, au farfelu et à la politique de son époque dans des écrits à la fois humoristiques et grinçants. Il a eu une longue vie.
Bonne fin de soirée à toi Ami marseillais.
TOUTE MON AMITIÉ.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Ven 24 Mar - 12:02 | |
| François NANGAM
Un marin provençal, revenant d’Amérique, Et tout heureux, le soir, de regagner son lit, Fut soudain très marri d’y trouver une chique ! Aussitôt, bondissant vers sa femme, il lui fit Ce bref raisonnement, demeuré sans réplique : « Moi, ze ne sique pas ; toi, tu ne siques pas ; Qui tron de sort ! a mis cette sique là-bas ? » __________________
Antoine BERTIN
Nul ermite n'est préposé A la garde du tabernacle ; Le peuple, en tous lieux peuple, et toujours abusé, N'y court point engraisser quelque fripon d'oracle ; Mais le granit du seuil, par ses genoux usé, Voit tous les ans se faire un assez grand miracle ; Car la plus timide beauté Qui, dans cette solennité, De pourpre la joue un peu teinte, Et le scapulaire au côté, Trotte vers la demeure sainte, En jupon de laine écourté, Dans cet asile respecté Entre avec sa virginité, Et bientôt en revient enceinte. __________________
Raoul PONCHON
TROP DE POLITIQUE
La France est un pays charmant, - A l’instar de la Chine, - Il n’est pas de ciel plus clément Sur la ronde machine. On dit, et je le crois aussi, Qu’elle est la Benjamine De Dieu, dont c’est le seul souci De lui voir fraîche mine. Tout étranger qui la connaît Et la met en pratique, Affirme volontiers qu’il n’est Pays plus sympathique. Elle épanouit sous les cieux Ses collines riantes, Ses bois, ses vallons spacieux, Ses plaines verdoyantes. Elle offre aux baisers du soleil Ses guérets et ses vignes. On y boit un air sans pareil, Ses saisons sont bénignes. d’aise et de liberté A nulle autre seconde Elle est comme un grain de beauté Sur la face du monde. Elle a le cœur franc comme l’or Et l’âme harmonieuse Comme la Lyre. Et, sans effort, Elle est industrieuse. Elle a, plus nombreux que fourmis, Des savants, des artistes. Pourquoi nous faut-il, mes amis, Vivre des jours si tristes ? Elle joint au bon sens romain Une bravoure franque. Je ne sais, après examen, Vraiment ce qu’il lui manque. Hélas ! C’est que la France aussi, Aujourd’hui lunatique, Sans repos comme sans merci, Se rue en politique. D’un bout de l’an à l’autre bout, Voici qu’elle s’occupe De ce sport à dormir debout Et dont elle est la dupe. Hier, c’étaient les élections, Et ce sera la Chambre Demain, quoi que nous y fassions. De janvier à décembre, Tout un peuple discutera Les actes et les gestes De ses élus, et mâchera Leurs discours indigestes. Les journaux en seront remplis. Nous n’aurons, comme trêve Consécutive à nos conflits, Que la bombe ou la grève. N’allons-nous donc sortir jamais De cet affreux grabuge ? Nous faudra-t-il, sur les sommets, Enterrer un déluge ?… Ah ! si cela devait durer, O pays de Cocagne ! Que l’Art seul devrait illustrer, Tu serais tôt un bagne. Si tu ne veux pas voir un jour Gâté ton beau physique, O ma patrie ! ô mon amour ! Reste dans la… musique. __________________
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 28 Mar - 16:08 | |
| Jean RICHEPIN
FLEURS DE BOISSON
Dédié à Raoul PONCHON
Ouf ! j’ai soif comme si je mâchais de la laine… Allons ! donne l’avoine à mon gosier fourbu. Du vin ! nous faut du vin ! Je veux que mon haleine Suffise pour soûler ceux qui n’auront pas bu.
Je veux qu’en me voyant le Panthéon recule, Craignant d’être écrasé par mon choc, et je veux Faire ce soir le jour après le crépuscule, Grâce au soleil dont les rayons sont mes cheveux.
Tiens ! prenons l’omnibus, tout couvert de gens ternes Qui par mon flamboiement vont être illuminés. Le vieux cocher, prenant mes yeux pour ses lanternes, Allumera sa pipe aux braises de mon nez.
De l’Odéon pensif aux tristes Batignolles Nous irons. Telle va la comète qui luit ! Chez le mastroquet gras qui vend des attignoles Nous boirons du vin doux qui fait pisser la nuit.
Nous pisserons, très beaux, très heureux et très dignes, Nous appuyant du front au mur éclaboussé, Et les Batignollais verront un jour des vignes Fleurir le long du mur où nous aurons pissé.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mer 29 Mar - 11:43 | |
| Jean RICHEPIN
À Raoul PONCHON
Tu sens le vin, ô pâte exquise sans levain. Salut Ponchon ! Salut, trogne, crinière, ventre ! Ta bouche, dans le foin de ta barbe, est un antre Où gloussent les chansons de la bière et du vin.
Aux roses de ton nez jamais l'hiver ne vint. Tu bouffes comme un ogre et pintes comme un chantre. Tous les péchés gourmands ont ton nombril pour centre. Dans Paris, ce grand bois, tu vis tel qu'un sylvain,
Sachant tous les sentiers, mais fuyant les fontaines, Flairant les carrefours, les ruelles lointaines, Où les bons mastroquets versent le bleu pivois.
Et j'aime ton plastron d'habit bardé de taches, Ton pif rond, tes petits yeux ronds, ta chaude voix, Et l'odeur de boisson qui fume à tes moustaches.
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Jeu 30 Mar - 10:57 | |
| Une amitié gaillarde !!! Bien amusant ce poème ! | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Lun 10 Avr - 19:21 | |
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Lun 10 Avr - 19:22 | |
| Raoul PONCHON
TROP DE POLITIQUE
La France est un pays charmant, - A l’instar de la Chine, - Il n’est pas de ciel plus clément Sur la ronde machine.
On dit, et je le crois aussi, Qu’elle est la Benjamine De Dieu, dont c’est le seul souci De lui voir fraîche mine.
Tout étranger qui la connaît Et la met en pratique, Affirme volontiers qu’il n’est Pays plus sympathique.
Elle épanouit sous les cieux Ses collines riantes, Ses bois, ses vallons spacieux, Ses plaines verdoyantes.
Elle offre aux baisers du soleil Ses guérets et ses vignes. On y boit un air sans pareil, Ses saisons sont bénignes.
Terre d’aise et de liberté A nulle autre seconde, Elle est comme un grain de beauté Sur la face du monde.
Elle a le cœur franc comme l’or Et l’âme harmonieuse Comme la Lyre. Et, sans effort, Elle est industrieuse.
Elle a, plus ombreux que fourmis, Des savants, des artistes. Pourquoi nous faut-il, mes amis, Vivre des jours si tristes ?
Elle joint an bon sens romain Une bravoure franque. Je ne sais, après examen, Vraiment ce qu’il lui manque.
Hélas ! C’est que la France aussi, Aujourd’hui lunatique, Sans repos comme sans merci, Se rue en politique.
D’un bout de l’an à l’autre bout, Voilà qu’elle s’occupe De ce sport à dormir debout Et dont elle n’est pas dupe.
Hier, c’étaient les élections, Et ce sera la Chambre Demain, quoi que nous y fassions. De janvier en décembre,
Tout un peuple discutera Les actes et les gestes De ses élus, et mâchera Leurs discours indigestes.
Les journaux en seront remplis. Nous n’aurons, comme trêve Consécutive à nos conflits, Que la bombe ou la grève.
N’allons nous donc sortir jamais De cet affreux grabuge ? Nous faudra-t-il, sur les sommets, Espérer un déluge ?
Ah ! si cela devait durer, O pays de Cocagne ! Que l’Art seul devrait illustrer, Tu serais tôt un bagne.
Si tu ne veux pas voir un jour Gâté ton beau physique, O ma patrie ! ô mon amour ! Reste dans la… musique.
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 11 Avr - 9:16 | |
| On ne changera pas !!! Il y a des poèmes qui ne vieillissent pas Je vote Ponchon encore un nom en on Bises André | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 11 Avr - 12:04 | |
| - Flamme a écrit:
- On ne changera pas !!! Il y a des poèmes qui ne vieillissent pas
Je vote Ponchon encore un nom en on Bises André Qui pourrait penser, en lisant son œuvre, souvent au vitriol, que PONCHON fut, à ses débuts, un employé de banque, ou plutôt de banques et d’assurances. Jugeant qu’il n’était pas fait pour la finance, il s’établit dans la bohème, et comme peintre, dans un premier temps. C'était une bohème "organisée" et "régulière". Il fréquentait les ateliers et salons de peinture et les cénacles littéraires, et il passa de nombreuses vacances dans la maison de RICHEPIN, en Bretagne. Il considérait la famille des RICHEPIN comme sa seconde famille, et il repose à côté de son ami JEAN au cimetière de Pléneuf-Val-André, dans les Côtes d’Armor. Il a été, lui qui était insensible aux honneurs, membre de l’académie GONCOURT à partir de 1924.
Il a été fait chevalier de la Légion d’honneur le 4 janvier de la même année 1924, comme son père qui l’avait lui obtenue pour raisons militaires.
GROS et une sereine journée, FLAMME.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 11 Avr - 12:09 | |
| Raoul PONCHON
L’ŒIL DE JULES
Un jour entre Tarbes et Chatou Floquet selon son habitude, Allait prendre l’air n’importe où Loin de la ville multitude. Et comme il ne pensait à rien, Cela va sans dire, majuscule Et reconnaissable combien Parut devant lui l’œil de Jule.
Il en eut la foire - six mois Tellement sa frousse fut grande. Il allait par jour plusieurs fois Sur ce pot qu’en chambre on demande Et bien, voilà ce qui confond Et semble tenir de la fable. Toujours l’œil regardait au fond Si la matière était louable.
Il guérit? On guérit de tout, Si l’on est pas une mauviette. Dès qu’il put se tenir debout, On lui permit, rompant sa diète, Un œuf dans un léger bouillon ! A peine, il goûtait ce potage Qu’il y vit, jaune barbillon Le même œil de Jule, à la nage.
Parbleu ! dit-il, c’est épatant. Ça tient de la sorcellerie ! J’aime mieux rire, mais pas tant, C’est assez de plaisanterie. Pourquoi, cet œil me poursuit-il ? - Mon ami, tu es ridicule, Disait sa femme, et puéril. Quel est cet œil ? - l’œil de Jule.
Là, tiens, avec des favoris Regarde, - disait-il, - regarde Je l’entends qui pousse des cris. - Elle disait : le Ciel te garde ! Cela sera passé demain. Ton pouls galope comme un lièvre. Y-a pas plus d’œil que dans ma main. Va, crois-moi, c’est un peu de fièvre.
- Non, cet œil ne me quitte pas, Il me hante, il me persécute ; Je veux fuir Paris de ce pas. - Alors sans perdre une minute, Il mit sa tête en son chapeau, Sa femme dans une valise, Demanda l’heure du bateau Et prit le train, l’âme Menuise.
Il fut dans tout le département Où le Général se présente Presser électoralement, Dans la Somme, dans la Charente. Mais en dépouillant le scrutin, Comme on fait en diligence, Cet œil sur chaque bulletin Lui rappelait sa conscience.
Quoi, toujours cet œil de requin ! Le diable attend il que je meure ? Je vais partir pour le Tonkin, Et pas plus tard que tout à l’heure. A peine avait-il débarqué Sur ce poétique rivage Que l’œil de Jules sur le quai Vint solliciter son bagage.
Alors, pâle comme un linceul, De l’Odéon, il prit la route. Au moins, dit-il, je serai seul Dans ce théâtre sans nul doute. Comme il venait de s’y caser, Il vit, - l’on à peine à le croire, Applaudissant à tout casser, L’Œil assis dans une baignoire.
Enfin, n’y pouvant résister, Il se fit sauter la cervelle. Puis il se mit à regarder Au fond de la nuit éternelle. - Ah ! s’écria-t-il, c’est trop fort ! Pourtant, je vois cet œil encor, Nom de Dieu ! l’âme est immortelle !
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Ven 14 Avr - 19:54 | |
| Raoul PONCHON
LES POIRES PRECIEUSES
Ce serait une erreur de croire Que dans notre belle cité Tout joaillier est une poire Arrivée à maturité.
Pourtant, en matière marchande, Il s’en rencontre parmi eux D’une ingénuité si grande Que l’on ne saurait trouver mieux.
Si, plus qu’en tout autre commerce, On les voit en proie aux voleurs, Je dis sans que je tergiverse Qu’ils y mettent un peu du leur.
Par exemple, une auto s’arrête Devant un joaillier fameux. Il en sort, portant haut la crête, Une manière de gommeux.
A voir la façon dont il tranche, Il a plutôt l’air d’un rasta, Mais peut-être a-t-il « de la branche » Et figure dans le Gotha…
Il voudrait pour sa fiancée, Dit-il, quelque bijou de prix ; Et rien qu’à sa seule pensée Il roule des yeux attendris.
Le marchand, ravi de l’aubaine, Ouvre ses écrins de velours, Et c’est une flore soudaine De perles et de joyaux lourds.
Et notre client perspicace Les prend dans ses doigts familiers, Mire les perles et tracasse Les pendentifs et les colliers.
« Excusez ma longue visite, Fait-il ; tant de chefs-d’œuvre aussi, Vous comprenez, font qu’on hésite… Dites-moi, combien celui-ci ? » . « Ah ! Celui-ci ! Je vous le laisse A quatre-vingt-dix mille francs. C’est un vrai collier de déesse. » « Parfait ! Dit l’autre, je le prends.
« C’est bien mon affaire. Mais comme Sur moi, vous le devez penser, Je n’ai pas une telle somme Je cours, de ce pas, la chercher,
« A bientôt. Il faut que je parte Ce soir par l’Orient Express. Tenez, voici toujours ma carte : Je suis le baron Périclès. »
Et ce joaillier phénomène, Hypnotisé par ce « bristol », Connaît au bout de la semaine Qu’il fut victime d’un vol.
Il a mis en l’air la police, Et par elle il apprend, hélas ! Que son baron en pain d ‘épice N’est qu’un échappé de Mazas !
O cambrioleurs frénétiques, Qui faites des trous dans les murs, Il est des moyens plus pratiques, Comme vous voyez, et plus sûrs
De vous procurer des richesses : Habillez-vous en grands seigneurs En barons, sinon en duchesses, Arborez quelque croix d’honneur,
Au besoin sur votre poitrine ; Et puis, le susdit joaillier Vous laissera dans ses vitrines Tout à l’aise farfouiller.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mer 26 Avr - 12:37 | |
| Raoul PONCHON
L’ŒUF AU RIZ
Ah ! Mes pauvres enfants ! Tout de suite, qu ‘apprends-je Comme je sors d’ici ? Une chose incroyable, absurde autant qu’étrange. Ecoutez bien ceci :
Croulerions-nous sous les désastres Peu nous chaut, et qui s’en soucie Désormais, puisqu’un médicastre, Tous, nous invite à l’euphorie…
Venez ça, petites chéries De lys et de rose pétries Laissez-vous déplacer mes mies Voici le temps de l’euphorie
Las, pauvre poète burlesque Tintamarro-funambulesque. Qu’est-ce que je viens faire ici ? Voici le temps de l’euphorie…
Qui de lui, de moi le plus saoul ? Aussi vrai qu’on me dit Raoul Ne voilà-t-il pas qu’un ivrogne Ayant sans doute mal compris, Au caboulot, le rire en trogne Commande au patron l’œuf au riz ?
L’Œuf au riz, je vous le demande Est-ce là plat que sur commande A mitonné le Paul Bocuse Maître queux à la science infuse ,
Ou bien, mais je n’en suis point sûr, De cette Nouvelle cuisine Sur laquelle, Mesdames, j’urine Sauf votre respect bien sûr ?
.Muse, dis-moi donc, je te prie, De quoi donc est fait l’œuf au riz Ce régal qui n’a pas de prix Et qui nous met en euphorie.
Et si c’est un plat rationnel Pour l’enfançon qui sur la paille Avec un âne et des volailles Est né le beau jour de Noël.
Mais soudain un doute m’effleure Moi qui, du vin, cherche la fleur. L’oeuf, au dire des spécialistes, Fait de tout nectar un vin triste, Un pissat d’âne, un reginglard Un tord-boyaux. Est-il si tard, Sommelier, pour qu’on ne nous porte Ce vin qui ouvre les portes De cette euphorie, justement ? Foi de Noë, de Saint Amand.
Foi de Ponchon, et que ce vin Descendant au profond ravin Qui est notre gosier grandiose Le fasse de pure métal rose…
Ce bruit qui sent bon, que je meure Si ce n’est celui des oignons Qui se trémoussent dans le beurre. Prélude à la cuisson du riz? Cré nom, Par tous les gnons et les trognons, Un riz sans oignons n’est pas bon ! Et que la savante industrie Des Vatel de ma patrie Y ajoute un œuf qui soit frit A point, la voilà l’euphorie !
Mais si Bacchus trouvait en ses bouteilles La meilleure à ce plat reconnue, Je crierais « vive l’œuf au riz ! » Et sortirais de cette vie N’ayant que ma chemise au cul. Tant d’autres, mal buvant d’ailleurs, n’en ont pas plus !
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 2 Mai - 12:17 | |
| Raoul PONCHON
LES CASSEUSES DE SUCRE
Je vous jette par la fenêtre S'il vous arrive d'oublier, Jean, encore une fois de mettre Du sucre dans le sucrier ;
Hurlai-je à mon valet Baptiste Que j'ai déjà vingt fois chassé. A quoi cette fleur d'anarchiste Répondit : " Y en a plus d'cassé. "
- S'il n'y en a plus, qu'on en casse... Fais-en casser par l'épicier... Je ne puis, dans ma demi tasse, Fourrer un pain de sucre entier.
- Monsieur, ça n'est pas mon affaire ; Quant à l'épicier, il m'a dit Qu'il avait autre chose à faire. Ainsi me parla ce bandit.
- Mais, espèce de grande flemme, Qui me vaudras le Paradis, Dois-je donc le casser moi-même ? Lui dis-je, cochon, dis, dis, dis ?
Puis, me calmant un peu : Pécore, Explique-moi pourquoi celui Qui le cassait hier encore Ne le casse plus aujourd'hui ?
- Parce que ce sont des bergères Dont c'est proprement le métier De casser le sucre ; naguères, Elles le cassaient volontiers,
Or, en grève elles se sont mises Sans grand résultat pour l'instant ; Elles y perdront leur chemise... Leur procès peut-être... et pourtant,
Ont-elles rêvé la fortune En demandant à leurs patrons Un peu moins de travail et une Augmentation de deux ronds ?...
- Vraiment, cela vaut qu'on en glose ; Et ce métier m'étonne bien. On apprend toujours quelque chose : On croit savoir... on ne sait rien.
Ainsi, voilà des jeunes filles Qui, sans doute, ont moins de vingt ans Et que l'on veut croire gentilles, Cassant du sucre tout le temps.
Petites casseuses de sucre, Vous voilà sens dessus dessous ; Le patron qu'agite un vain lucre Fait des histoires pour deux sous !
Merde pour lui et pour son sucre ! Qu'il aille chier, le chameau : Sachez bien que casser du sucre Ca vaut vingt sous de l'heure, au bas mot.
Mais quittez ce métier morose ; Si vous tenez absolument, Chères, à casser quelque chose, Prenez-moi d'abord un amant,
Jeunes casseuses que vous êtes, Et parmi ses bras adorés, Tâchez de casser des noisettes Le plus longtemps que vous pourrez.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Jeu 4 Mai - 12:06 | |
| Raoul PONCHON
LES CIGARES DU ROI
Je lisais, l’autre jour, un journal visigoth Dans une tabagie, En tirant sans succès sur un affreux mégot Issu de la régie ;
Quand mes yeux tout à coup tombèrent par hasard Sur trois ou quatre lignes Desquelles il ressort que fume seul Edouard Des cigares insignes.
Ils lui coûtent cents sols - mettons quatre shillings Pour la couleur locale - Ils peuvent, à ce prix, n’être pas très vilains, Non plus qu’un chrysocale.
Mon Dieu, mes chers amis, je sais bien que le prix Ne fait rien à l’affaire ; Pourtant, même à cent sous, on ignore à Paris Le bon cigare à faire.
Or, tout en mâchonnant mon cigare odieux Informe et réfractaire, Je me représentais d’autant plus merveilleux Ceux du roi d’Angleterre.
C’étaient des « partagas » inouïs, des « conchas » Interdits aux profanes, Et des « régalias » les plus « britannicas », Fine fleur des havanes.
Je les voyais assez gros et longs, boudinés Comme des doigts de Carmes ; Humides un petit, noirs, au moins basanés, Et bagués à ses armes !
Ils ont en même temps de l’âme et du bouquet, Sont roulés à miracle ; La « tripe » en est choisie et savante à souhait, Sans possible débâcle…
Que s’ils sont autrement, il les garde pour lui, Je n’en ai nulle envie : J’aimerais mieux fumer à partir d’ aujourd’hui Du chou toute ma vie.
Et je voyais aussi les esclaves soumis Des Cubas des Florides, Dans les champs de tabac ainsi que des fourmis, Sous les zones torrides,
S’agiter nuit et jour, et trier avec soin Les feuilles capitales… Et les mille travaux, et tout le tintouin, Jusqu'aux bottes finales…
Ces boîtes débarquaient, sans passer à l’octroi, Aux quais de la Tamise ; Puis, elles s’entassaient peu après chez le roi, Dans une ample remise.
Mais tout d’abord il en ouvrait une par hasard, Et dans ses poches Il allait entassant ces cigares flambards, En donnait aux gens proches.
J’avais aussi ma part, me trouvant près de lui, La vision fut brève. Car je me retrouvais fumant, comme aujourd’hui, Un bon cigare - en rêve.
Et je me dis : qui sait s’ils sont si bons que ça, Les cigares qu’il fume ? Après tout, là-dessus qui donc se prononça ? Un simple gens de plume.
Un roi peut être un roi superbe de tout point, Un César des plus rares, Et faire le bonheur de son peuple, et ne point S’y connaître en cigares.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Ven 5 Mai - 19:50 | |
| Jean-Luc MOREAU
LE TIGRE ET LE CURÉ
Dans la jungle, un jour, s'aventure Un curé. Le tigre survient. " Prions ", se dit l'abbé. " Seigneur, je t'en conjure, Fais que ce tigre soit chrétien. " Comment le Très-Haut se débrouille, La chronique n'en parle pas. Le fauve en tout cas s'agenouille : " Seigneur, dit-il, bénissez ce repas. "
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 9 Mai - 19:24 | |
| Raoul PONCHON
QUESTION PERSONNELLE
Non, mon vieux Brisson, tu t’égares, Quand tu dis que je condescends A fumer de mauvais cigares A défaut d’autres plus puissants.
Non, non. Point de de mégots vulgaires De notre régie - oh surtout ! Quand je n’ai pas de bons cigares Je n’en fume pas, voilà tout.
Si tu avais lu mon volume Où Fescelle mis tous ses soins, Sur les cigares que je fume Tu serais averti, du moins.
J’ai plus d’une fois sur ma lyre Des havanes chanté le los ; Quel crétin a bien pu te dire Que j’admettais des crapulos ?
Moi qui prétends que le cigare N’existe que s’il est parfait, Qui me ferais plutôt Bulgare Que d’en fumer un sans brevet.
Crois que j’ai souvent dans ma vie Réduit les besoins de ma chair Pour satisfaire mon envie De quelque fin puros très cher.
Sache qu’il est en Amérique, Entre la Havane et Cuba, Un pays en or chimérique Où fleurit le plus beau tabac ;
Qu’une multitude d’esclaves Tournent des cigares avec, Et que ces cigares suaves Finalement sont pour mon bec ;
Sache qu’ils sont faits sur commande Selon mon goût, my dear child, Que je paye une forte amende Pour les fumer, comme Rothschild.
Qu’ils sont, comme bien tu présumes, Dignes de la gueule des dieux ; Qu’auprès d’eux tout ce que tu fumes Est conséquemment odieux,
Que malgré que je les approuve Et les estime fort plaisants, En vérité je ne les trouve Pas encore assez renversants ;
Et tu prétends que je m’attarde A des crapulons moi ; Raoul Pochon ! ô Brisson, regarde- Moi, voyons, suis-je donc saoul ?
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Sam 20 Mai - 11:37 | |
| Raoul PONCHON
TRIOLET
Nom d'un chien ! Dix mille cigares ! c'est bien beaucoup, en vérité. Ca doit remplir cinq ou six gares, Nom d'un chien ! Dix mille cigares ! Les Ordres dont tu me bigarres Sont moins nombreux, ô Majesté ! Nom d'un chien ! Dix mille cigares ! C'est bien beaucoup, en vérité.
Cà, que ta nourrice te donne Le sein tour à tour et le fouet, C'est bien. J'admets comme personne Ca que ta nourrice te donne Mais des mégots, elle est bien bonne ! Donne-les moi contre un jouet. Cà, que ta nourrice te donne Le sein tour à tour et le fouet.
A coup sûr, son zèle l'égare, Cet industriel Havanais. Tu te brûlerais comme Icare : A coup sur son zèle l'égare. Tandis que moi, mieux qu'un Bulgare En cigares je m'y connais. A coup sûr son zèle l'égare, Cet industriel Havanais.
Sachez ceci, petit têtard, J'aime les cigares humides. Je les fumerai sans retard, Sachez cela, petit têtard. Ils seraient bien trop secs, plus tard, - Tels des os d'anciens Numides. Sachez ceci, petit têtard, J'aime les cigares humides.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mer 24 Mai - 18:50 | |
| Raoul PONCHON
EXCELSIOR !
Les montagnes de la Suisse Sont trop hautes pour ma cuisse, Jungfrau, Mont-Rose ou Mont-Blanc... Trop hautes ou font semblant.
D'autre part, aller en Suisse, Se peut-il que je le puisse Sans escalader un pic ?... Mais lequel ? voilà le hic.
Ces diablesses de montagnes Furonclent sur les campagnes Au point qu'on ne trouve pas De plaine pour faire un pas.
Telle la sottise humaine Ne vous laisse aucune plaine : Comme on ne peut la tuer, Il faut s'y habituer.
Je résolus donc, en somme, De promener mon bonhomme Sur un de ces monts altiers. Or, pendant huit jours entiers,
A l'instar de Bonaparte, Je rêvai sur une carte Où l'on voyait en relief Jusqu'au mont le plus brief.
J'admirai, j'admire encore, Qu'afin que nul n'en ignore, Son ingénieux auteur Avait fixé leur hauteur.
Il était de ces montagnes Plus en l'air que des tours magnes Ou que des tours de Babel, Même que des tours Eiffel.
Il en était de plus basses Que des airs de contrebasses Gravissables à loisir ; L'embarras est de choisir.
Une me plut davantage A cause de son étage, Et dont le nom sans façon Était Dent de Merdasson.
Elle s'élevait à peine - Tel un étron sur la plaine - Et son nom indiquait bien Qu'elle était veule combien !
Voilà, dis-je, mon affaire : C'est l'ascension à faire ; Aussi bien, le lendemain, Mon Alpenstock à la main,
J'entrepris son escalade. Ce fut comme une ballade, Pour moi, cette ascension, Soit dit sans prétention.
Lorsque je fus à la cime, Je vis une rarissime Barbe, épaisse comme trois, Et j'entendis une voix
Qui sortait de cette barbe - Telle d'un mur la joubarbe, - C'était la voix du Bon Dieu : " - Que viens-tu faire en ce lieu
- Disait-elle - de vertige ? - Lieu, toi-même, répondis-je, Je viens justement te voir, Puisque tu veux le savoir.
- Apprends donc, pauvre imbécile, Que me voir n'est pas facile ; Il te faudrait faire un pas De plus. Car je n'aime pas
Les ambitions médiocres. Peut-on se contenter d'ocres Quand on voit mes firmaments Constellés de diamants ?
Vois-tu, pour être mon hôte, Il n'est de cime trop haute : Va, monte encore, et demain Je te donnerai la main. "
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Ven 26 Mai - 19:29 | |
| Raoul PONCHON
SOUVENIRS DE VOYAGE
Nous étions, une année, en Suisse, Un ami et moi, son complice, Ni plus ni moins que deux Anglais ; Quand il nous prit la fantaisie D’aller voir, en leur Valaisie *, Ces messieurs crétins du Valais.
Un jour, donc, par un temps propice, Nous dévalions à saint-Maurice. Sis entre deux monts sourcilleux, Et le chef-lieu du crétinisme, Si l’on en croit ceux du tourisme, Nous ne pouvions espérer mieux.
Nous gagnâmes une guinguette, Où déjà le patron nous guette, En nous souhaitant « bon matin » : « Ces messieurs dîneront, sans doute ?… » Nous l’interrompîmes : « Écoute ! Trouve-t-on ici des crétins ? »
Mais lui, fixant comme une cible Nos deux visages impassibles, Hésita, craignant de choisir La réponse définitive, Qui ferait de nous ses convives, Ou nous déciderait à fuir.
Enfin, avec un bon sourire, Il prit le parti de nous dire : « Non, messieurs, non. - C’est malheureux ! » Fîmes-nous. « Oui, c’est bien dommage, Car, désirant lui rendre hommage, Nous n’étions venus que pour eux. »
Voilà notre homme bien en peine, Mais, de peur de perdre une aubaine, « Quoi, messieurs ! C’est donc sérieux !… » Nous dit-il. « Eh bien ! Que je meure ! Si vous n’en voyez, tout à l’heure, Au moins un, des plus curieux ; »
Alors, nous nous mîmes à table. Et bientôt un être minable Entra, fichu comme Scarron, Torticol, et bigle et bancroche, En lequel absurde fantoche, Nous reconnûmes le patron…
Etant, ce jour-là, d’humeur tendre, Nous feignîmes de nous méprendre A cet artifice enfantin, Sans autrement lui chercher noise. Plus tard en réglant notre ardoise Nous lui dîmes : « Bravo, crétin ! »
Et lui : « Messieurs, point de colère ! Ce que j’en fis c’est pour vous plaire. Mais, si vous m’avez bien compris, Nous n’avons de crétins en Suisse, Non plus ailleurs qu’à Saint-Maurice, Que quand il en vient de Paris. »
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Jeu 22 Juin - 12:15 | |
| Paul VERLAINE à Raoul PONCHON
INVECTIVES
Ponchon, vous n’êtes pas raisonnable non plus, Écoutez ma semonce : Eh quoi ! vous vous rangez dans les gens dissolus Dont rougirait Alphonse,
Qui font la honte, ayant de l’esprit à gogo, De toute notre époque. Notre époque n’est plus celle du Père Hugo, — Encore un bon loufoque !
Ni même celle de Voltaire (Arouet), ni Celle du grand Monarque, Et vous voici parmi le nombre indéfini Des criminels de marque.
Quinze jours de prison pour outrages à la Sainte Magistrature… Mais je me trompe… à la morale, et me voilà Tout prêt à la rature.
Car je ne suis pas, moi, comme vous, bon Raoul, De l’opposante race, Et que me fait d’ailleurs que tel juge maboul Soit un doux pédérasse.
Tous les chasseurs à pied, tous les garçons baigneurs, Tous les télégraphistes Peuvent bien défiler devant ses yeux sans mœurs Et l’avoir sur leurs listes,
Je m’en fous, et je suis un trop bon citoyen Pour crier comme on beugle… Règle : vois si l’on veut, si l’on peut, c’est très bien, Mais être d’un aveugle !!
Et libre à tout un tribunal, s’il décida, Pour que rien ne se perde, En place de biftecks, au lieu de tel rata, De manger de la merde.
Qu’il mange de la merde ou non, dites un peu Si cela vous regarde ! Allons, faites vos quinze jours, et nom de Dieu ! Dieu vous ait en sa garde.
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 4 Juil - 19:41 | |
| Raoul PONCHON
BUVONS, C'EST L'HEURE !
« Bois pour oublier » - Dit le maître insigne - Telle est sa consigne A son écolier.
Si boire peut m’être D’un pareil secours, Les instants sont courts, Je vais tôt m’y mettre.
Oh oui ! que l’oubli Me berce et dorlote ! Bois donc, pauvre ilote, Ton verre est rempli,
Oublions la farce De nos jours ratés, Les lapins domptés, Notre vie éparse ;
Les ors pour lesquels Nous partions en guerre Jadis et naguère, Changés en nickels.
Oublions les heures Grosses de souci : Il en fut ainsi Même des meilleures.
Oublions aussi Le présent atroce ; Que n’est-il, la rosse, Déjà loin d’ici !
Pouvoir, ô merveille ! Fuir mon rêve d’hier Encore que fier ! Mes yeux de la veille !…
Oubli qui délivre Fais qu’au même instant J’ignore l’instant Que je viens de vivre !
Que je sois l’enfant Qu’aisément l’on trompe, Comme on fait la trompe D’un jeune éléphant.
Je bois, mais en vain, C’est pure sottise, Car, quoi que m’en dise Le maître divin,
Le passé persiste En son vieux décor Comme un son du cor Dans les bois, si triste !…
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| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mer 5 Juil - 19:25 | |
| Raoul PONCHON
SENSATIONS DE BRETAGNE
Donc, parmi les bretonnes Cités dont tu t’étonnes, Bonhomme Theuriet, Et que ta plume rude Sans préalable étude Hier inventoriait,
Avec transport tu cites Ce trou d’Amalécites Qu’on appelle Morgat ; Et de plaisir tu rotes En contemplant ses grottes : C’est vraiment d’un gaga.
Tu nous chantes ses grèves, Ses villas veules, brèves, Qui ne sont pas d’ici, Et qui n’ont pour tout ombre Que le feuillage sombre De trois brins de persil ;
Son hôtel confortable, Le menu de sa table Et son jardin anglais ; Ses massifs, jeux de quilles, Ses Hermann Paul familles Qui jouent à être laids.
Moi qui te croyais être Un artiste champêtre, Tomber dans ce panneau ! Pour un peu, Jean-Marie, Tu voudrais, je parie, Y voir un casino.
Ma foi, plus je t’écoute, Plus je n’y comprends goutte, Je te le dis sans fard ; C’est bien le plus - sans faute - Banal coin de la côte Comme le plus blafard.
Et, qui plus est, tu bêches Ce fier endroit de pêche, Notre Douarnenez, Cette perle tombée Tout au fond de la baie Si chère aux raffinés.
Et la belle couronne De bois qui l’environne N’est-ce point fabuleux ? Sa flotte qui radine Des pêcheurs de sardine Avec leurs filets bleus !
Ses environs sublimes, Ses vallons et ses cimes Et sa plage du Riz Et tel point de repère ; Tu sais, zut mon compère Pour Morgat et Paris !
Sans compter que les filles Y sont assez gentilles Avec de beaux nénais : En faut-il d’avantage Pour les ceuss de notre âge, Pour les hommes bien nés ?
Si Morgat a des sites Dont ses Amalécites Ont les yeux étonnés, Des Anglais et des grottes Douarnenez a des crottes Dont s’étonnent les nez.
Tout y est encor fruste, Simple, antique , robuste, U pue un peu, mais , quoi ? Si l’on craint ce parage Qui sent le moyen-âge, Il faut rester chez soi.
Bien sûr qu’un jour ou l’autre Il ne sera plus nôtre Ce pays fortuné ; On le striera de rues, Il y naîtra des grues : Pauvre Douarnenez !
Le progrès et le reste Gagnent comme la peste. Hélas ! Et, mon cher maître, Un temps viendra peut-être Où l’on le balaiera.
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Ven 7 Juil - 13:27 | |
| Ce R. Ponchon a des vers pour tout ce qu'il pense et pour tout ce qu'il dit, constate, entend, voit !!! Incroyable, tout l'intéresse et il fait d'un dialogue, fait divers, une quantité de poèmes comme s'il ne pouvait parler autrement qu'en vers ! Tu dois en avoir des recueils de lui André ! | |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Ven 7 Juil - 19:44 | |
| - Flamme a écrit:
- Ce R. Ponchon a des vers pour tout ce qu'il pense et pour tout ce qu'il dit, constate, entend, voit !!!
Incroyable, tout l'intéresse et il fait d'un dialogue, fait divers, une quantité de poèmes comme s'il ne pouvait parler autrement qu'en vers ! Tu dois en avoir des recueils de lui André ! Bonsoir Chère FLAMME,
En effet, je possède toutes ses œuvres ainsi que celles de son ami Jean RICHEPIN. Ce sont eux deux qui ont créé et animé le "groupe des Vivants" qui s'opposait directement à celui des "Parnassiens". PONCHON était un joyeux drille et un épicurien. Il avait le verbe haut et le gosier en pente, comme on dit. Tous ses poèmes font appel à la dérision, au persiflage et à la malice. Auteur prolifique et remarquablement résistant aux ravages de l'absinthe dans laquelle beaucoup des poètes de son époque avaient sombré, il a écrit trois ouvrages : "La Muse au cabaret" (1920), "La Muse gaillarde" (1937 et "La Muse vagabonde" (1937).
Quelle détente de lire ses poèmes ; il est dans la lignée des Alphonse ALLAIS, Maurice MAC-NAB, WILLY ou Jean GOUDEZKI. Une sacrée bande joyeux lurons et pièces maîtresses du fameux "Cabaret du Chat Noir" sur lequel ils écrivaient :
N'ayez cure d'escapades Vous qui commencez à déchoir, Car guéris sortent les malades Du gai cabaret du "Chat Noir".
Tous mes plus vifs remerciements pour l'intérêt que tu portes à ce topic, ainsi que pour tes très appréciés commentaires.
EXCELLENT DIMANCHE À VOUS DEUX.
UN TOURBILLON DE
| |
| | | André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mar 11 Juil - 12:45 | |
| Raoul PONCHON
LA MER ÉLÉGANTE
Un petit endroit Veule, maladroit, Où s’en va tout droit La plus haute gomme, Bref, ça que l’on nomme Généralement Un endroit charmant. Des hôtels hostiles Au premier abord, Au second rabord, Sous tous les rapports ; Des villas sans style - Tels des coffres-forts - Qui l’une sur l’autre, S’écroule, se vautre, Se prend corps à corps ; Une grande rue Qui sent la morue, Le musc, le cambouis, L’alcool de bouibis. Et dans cette rue, De pleins magasins De produits voisins Molletons, flanelles Conventionnelles, Sauces, caoutchoucs Et cannes en chous, Des saloperies, Des cochonneries, Corned-beef et gin… God save the queen !…
Ailleurs, vers le sable La gent haïssable Des totos, des tatas, Qui ne voient le sable Qu’en trous ou en tas ; Tout un déballage D’Anglais, de rastas, Gens de tout pelage Et de tout plumage ; Les jeux de la plage; Crockets, lawn -tennis, Joués par des miss Qu’a le cheveu jaune, La dent a tant l’aune ; Ragots et potins, Gogos et putains ? Jeunes gigolettes Changeant de toilettes Onze fois par jour, Vieux messieurs autour, Matrones fripées Et poires tapées Qui leur font la cour…
Une table d’hôte Où l’on a sans faute Des poissons pourris Retour de Paris. Des viande sans sexe, Légume connexe, Des fruits à l’instar, Du vin ? Un nectar Qui ferait, ma chère, Mieux dans ton derrière Comme lavement Que bu autrement. Ce n’est rien encore, Car ce qui décore Cet endroit chocno C’est le Casino ; Concert et théâtre Et petit chevaux, Amusoir des veaux ; Vieilles opérettes Depuis longtemps blettes. Opéras ridés Opérés par des M’as-tu-vu d’occase, Des ex du Gymnase, De sous-Galipaux, D’antiques Yvettes, De fausses divettes, Morts sous les drapeaux,
Mais m’allez-vous dire ; - Ca, c’est du délire ; C’est bien. Et la mer ? Quoi donc vous en faîtes ? - La mer ! Ah ! La mer ! C’est pour d’autres fêtes ! Ca, la mer ? ah ! mer…
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| | | Flamme Admin
Messages : 5250 Date d'inscription : 04/01/2011 Age : 77 Localisation : Près Bordeaux
| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT Mer 12 Juil - 13:27 | |
| Excellente critique de ces touristes qui vont dépenser plein d'argent pour avoir des mets pourris, et des vacances de même ! Il aime bien voir le verso des choses, notre ami Ponchon ! | |
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| Sujet: Re: LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT | |
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| | | | LES EXQUIS MOTS À LA RIME S'ARRIMENT | |
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