André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: L'isotopie (Prosodie) Sam 28 Mar - 10:06 | |
| PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
ISOTOPIE L'isotopie, qui provient du grec "isos" signifiant "égal en nombre, semblable, et "topos" qui veut dire "lieu, situation", a été introduit en sémantique par A.-J. Greimas. En matière d'analyse stylistique ou poétique, il désigne un réseau de signifiés beaucoup plus large qu'un champ sémantique, puisqu'il rassemble toutes les unités qui, dans un texte, renvoient, par dénotation, connotation, ou analogie, à un certain domaine de réalité, à une certaine "totalité de signification". Il faut que les catégories sémantiques soient redondantes pour que puisse être définie une "isotopie".
En cas d'ambiguïté, un même mot peut appartenir à deux isotopies différentes. Voici un exemple, pour mieux comprendre le phénomène. Dans les deux derniers quatrains du poème "Élévation" de Baudelaire, se rencontrent ainsi une isotopie de "l'oiseau" (aile, alouettes, essor, planer), et une isotopie de "la vie spirituelle" (les pensers, comprend) :
Derrière les ennuis et les vastes chagrins Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse, Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse S'élancer vers les champs lumineux et sereins.
Celui dont les pensers, comme des alouettes, Vers les cieux le matin prennent un libre essor, - Qui plane sur la vie, et comprend sans effort Le langage des fleurs et des choses muettes !
On peut donc dire que l'isotopie est une sorte de "faisceau redondant de catégories sémantiques", tout discours étant saisi comme un "tout" de signification. Le message devient alors plus efficace et gagne en homogénéité en évitant les ambiguïtés et les doubles-sens. En d'autres termes, l'isotopie à l'œuvre dans un discours, dans un poème, est une sorte de mécanisme régulateur de la cohérence de ce même discours, de ce même poème.
Ainsi, le lecteur attentif doit-il s'appliquer à résoudre toutes les ambiguïtés qu'il rencontre. Prenons un autre exemple ; dans un poème d'Apollinaire, se trouve cette expression : "Dieu que la guerre est jolie !". Apollinaire ne cherche pas à faire l'apologie de la guerre (comme pourrait le laisser croire une première lecture superficielle), mais, si on se livre à une lecture plus approfondie, tenant compte de l'isotopie, on s'aperçoit que cette phrase doit être attribuée à une "maîtresse infidèle" qui se réjouit du fait que son amant se trouve sur le front.
De même, la compréhension de l'image mallarméenne : - "Toute honte bue" constitue en elle-même un écart poétique, car le verbe "boire" se réfère en général à un "liquide" et non à une qualité abstraite. En produisant des "métaphores", la poésie transgresse l'utopie.
Outre l'histoire drôle, la poésie et la littérature, en général, jouent largement sur les ambiguïtés isotopiques. Mais il faut bien se garder de limiter la portée de la notion d'isotopie aux textes en écart, littérature, publicité, histoires comiques : on peut faire du fonctionnement isotopique un niveau essentiel de la cohésion sémantique de tout énoncé.
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