André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Le virelai (Prosodie) Sam 28 Mar - 10:01 | |
| LEXIQUE POÉTIQUE
LE VIRELAI
Le "virelai", qui vient du verbe virer, a désigné d'abord un "air de danse" au XIIIe siècle, puis une "chanson à danser", encore appelée "chanson balladée" (XIVe siècle). On trouve aussi : virelon, vireli, vireuli.
Le virelai est parfois considéré comme un poème à forme fixe du Moyen Âge, mais c'est plutôt un genre car on trouve sous cette dénomination des poèmes de structures différentes. Leurs caractéristiques communes semblent être l'utilisation de vers courts et le retour d'un refrain.
Les virelais d'Eustache DESCHAMPS sont des poèmes écrits en vers de sept et de trois syllabes sur deux rimes seulement, regroupés en strophes qui ne respectent pas toujours le même schéma. L'apparence écrite est celle du "lai" qui avait reçu le nom d'arbre fourchu, à cause du dessin des vers, qu'on les place tous commençant à gauche, comme jadis, où qu'on décale les vers courts comme aujourd'hui.
Exemple de virelai d'après Eustache DESCHAMPS :
VIRELAI
Tous cœurs tristes, douloureux, Amoureux, Langoureux, Mettez-vous sous ma bannière, Et allons cueillir bruyère, Car Mai ne m'est pas joyeux. Désire lieux ténébreux, Etre seulz* Sans clarté et sans lumière, Quand je suis par envieux, Comme un leux*, Chassé en mainte manière Du plaisant lieu gracieux, Savoureux, Et par ceux Qui me montrent belle chière*
* Seul. Un loup. Bon visage.
Cependant, l'un des plus célèbres virelais d'Eustache DESCHAMPS ne respecte pas cette alternance de vers de mètres différents; il est construit sur deux rimes et une troisième pour le refrain. Il apparaît comme une "chanson à danser", mais, en fait, c'est plus un rondeau qu'un virelai :
Suis-je, suis-je, suis-je belle ? Il me semble, à mon avis, Que j'ai beau front et visage doux Et les lèvres rouges ; Dites-moi si je suis belle.
J'ai les yeux vifs, les sourcils fins, Les cheveux blonds, le nez régulier, Rond le menton et blanche la gorge ; Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
J'ai la poitrine ferme et fière, Longs les bras, les doigts fins, Et la taille fine aussi ; Dites-moi si je suis belle.
J'ai une jolie courbe des reins, Le dos cambré, et le fessier avantageux, Cuisses et jambes bien faites ; Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
J'ai les pieds mignons et petits, Faciles à chausser, avec de beaux habits, Je suis gaie et insouciante ; Dites-moi si je suis belle.
J'ai des manteaux fourrés de gris, J'ai des chapeaux, de belles tenues Et plusieurs broches d'argent ; Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
J'ai des draps de soie et tabis, J'ai des draps d'or ou blancs ou bruns, J'ai mainte bonne chose ; Dites-moi si je suis belle.
Je n’ai que quinze ans, je vous le dis ; Mon trésor est vraiment joli, Je le garderai sous clé ; Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
Il devra être hardi Celui qui sera mon ami, Qui aura une telle jeune fille ; Dites-moi si je suis belle.
Et par Dieu je lui promets Que je lui serai très fidèle, Toute ma vie si je peux ; Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
S’il est courtois et généreux, Vaillant, habile et bien éduqué, Il me gagnera à sa cause ; Dites-moi si je suis belle.
C'est le paradis sur terre Que d'avoir pour toujours une dame, Aussi fraîche, et aussi jeune ; Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
Ne soyez pas peureux, Pensez à ce que j’ai dit ; Ici finit ma chansonnette ; Suis-je, suis-je, suis-je belle ?
Ce type de poèmes disparut à la Renaissance, quand les poètes de la Pléiade refusèrent les vieilles formes du Moyen Âge pour en utiliser une nouvelle : "le sonnet".
Cependant, à la fin du XIXe siècle, Théodore de BANVILLE entreprit de présenter les formes poétiques anciennes pour présenter le [i]"virelai". Ce fut une recomposition ingénieuse :
Barbanchu nargue la rime ! Je défends que l’on m’imprime !
La gloire n’était que frime ; Vainement pour elle on trime, Car ce point est résolu. Il faut bien qu’on nous supprime : Barbanchu nargue la rime !
Le cas enfin s’envenime. Le prosateur chevelu
Trop longtemps fut magnanime. Contre la lyre il s’anime, Et traite d’hurluberlu Ou d’un terme synonyme Quiconque ne l’a pas lu. Je défends que l’on m’imprime.
Fou, tremble qu’on ne t’abîme ! Rimer, ce temps révolu, C’est courir vers un abîme, Barbanchu nargue la rime !
Tu ne vaux plus un décime ! Car l’ennemi nous décime, Sur nous pose un doigt velu, Et, dans son chenil intime, Rit en vrai patte-pelu De nous voir pris à sa glu. Malgré le monde unanime, Tout prodige est superflu. Le vulgaire dissolu Tient les mètres en estime : Il y mord en vrai goulu ! Bah ! pour mériter la prime,
Tu lui diras : Lanturlu ! Je défends que l’on m’imprime.
Molière au hasard s’escrime, C’est un bouffon qui se grime ; Dante vieilli se périme, Et Shakspere nous opprime ! Que leur art jadis ait plu, Sur la récolte il a plu, Et la foudre pour victime Choisit leur toit vermoulu. C’était un régal minime Que Juliette ou Monime ! Descends de ta double cime, Et, sous quelque pseudonyme, Fabrique une pantomime ; Il le faut, il l’a fallu. Mais plus de retour sublime Vers Corinthe ou vers Solyme ! Ciseleur, brise ta lime, Barbanchu nargue la rime !
Seul un réaliste exprime Le Beau rêche et mamelu :
En douter serait un crime. Barbanchu nargue la rime ! Je défends que l’on m’imprime. | |
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