PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
LA RIME ÉQUIVOQUÉE (ou RIME ÉQUIVOQUE)
Dès le début du XVIe siècle, dans la tradition des Grands Rhétoriqueurs, cette rime était surtout destinée à démontrer l'habileté verbale dédiée au calembour. Il s'agissait de rapprocher des mots de sens différents mais de même sonorité, (comme l'effet de résonance dans la paronomase). Cette dextérité à jouer avec les mots et leur sens a inspiré bien des poètes, comme Clément MAROT pu encore CORNEILLE, dans on vers malheureux : "Sur le sein de l'épouse on écrase l'époux". Certes, si cette technique confinait de l'absurde chez bien des poètes, elle pouvait être amusante et fort savante chez les meilleurs.
Ce mot ÉQUIVOQUÉE provient du latin "oequivocus", qui signifie "à double sens". Autrement dit, il s'agit d'une sorte d'ambiguïté qui se manifeste par la possibilité de faire une double lecture d'un même énoncé. Ce sont les propriétés mêmes du signifiant qui permettent l'équivoque. Mais l'équivoque peut être exploitée à dessein, ce que n'ont pas manqué de faire les poètes modernes, principalement les Surréalistes et des poètes comme PRÉVERT, COCTEAU ou encore TARDIEU. Je cite, pour illustrer mon propos cette célèbre phrase de Jean COCTEAU : "Les miroirs feraient bien de réfléchir avant de nous renvoyer notre image". Il s'agit là d'une splendide et très spirituelle métaphore.
Pour revenir à Clément MAROT, voici un extrait de sa "Petite épître au Roi" (1518).
AU ROI
En m'ébattant je fais rondeaux en rime,
Et en rimant, bien souvent je m'enrime * ;
Bref, c'est pitié d'entre nous rimailleurs,
Car vous trouvez assez de rime ailleurs !
Et quand vous plaît, mieux que moi rimassez ;
Des biens avez et de la rime assez.
* Je m'enrhume.
Comme je le soulignais au début de cet article, l'équivoque peut donner lieu à des vers plaisants et satiriques aussi. Exemple ce distique de Clément MAROT à l'endroit de Jean SERRE :
Ci-dessous gît et loge en serre,
Ce très gentil fallot Jean Serre.
C'est le même jeu sur les mots qui inspira Jacques PRÉVERT dans son poème suivant :
Être ange
C'est étrange
Dit l'ange
Être âne
C'est étrâne
Dit l'âne...
L'histoire ne dit pas si Jacques a composé ce poème sur "un pré vert"
Les exemples seraient nombreux. Pour le plaisir, en voici quelques uns :
L'enfant abdique son extase
Et docte déjà par chemins
Elle dit le mot : Anastase !
Né pour d'éternels parchemins
MALLARMÉ
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J'adore assez le grand Lama,
Mais j'aime mieux la Madelène.
Avec sa robe qu'on lama
J'adore assez le grand Lama.
Mais la Madelène en l'âme a
Bien mieux que ce damas de laine.
J'adore assez le grand Lama,
Mais j'aime mieux la Madelène.
Théodore De BANVILLE
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« Ci gît, repose et dort léans
Le feu évêque d'Orléans
Qu'il soit des fous maître passé :
Faut- il rire d'un trépassé ? »
Clément MAROT
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Le devancier de MAROT : CRÉTIN, s'était particulièrement adonné à ce genre. Clément MAROT désirant caractériser ce poète, avait écrit de lui :
« Le bon Crétin au vers équivoqué. » (sic).