L'inspecteur reprend du service 14

L’inspecteur reprend du service 14,
Et ce qu’il révéla dépassa les attentes de l’inspecteur. Il n’en crut pas ses oreilles.
En fait, ce couple n’en était pas un : ils étaient frère et sœur, vieux célibataires endurcis mais ils étaient vraiment cousins très éloignés de la jeune femme, de la branche maternelle. Canards boiteux de la famille, ils avaient été adoptés ainsi qu’un troisième frère par une arrière tante et c’était resté un secret de famille. Ce fut la raison pour laquelle Mademoiselle de Serreville ne les reconnut pas. Ils habitaient à l’autre bout de la France. Leurs parents adoptifs disparus très tôt dans un accident de voiture, ils avaient été écartés par la famille et avaient tous les trois très mal tourné. N’ayant pas fait d’étude, ils vivaient précairement de petits larcins, d’effractions, de cambriolages dans les maisons cossues de préférence, fruits qu’ils revendaient à des receleurs et des brocanteurs pas très regardants sur la marchandise. Ils se faisaient passer pour des ramoneurs ou des serruriers assermentés par les assurances et en profitaient pour jeter un œil averti sur les biens de valeur. Ne leur restait plus qu’à surveiller les allers et venues des propriétaires et attendre leur départ en vacances. Mais cette demeure n’avait pas été choisie au hasard. Ils l’avaient vue dans le vieil album de leurs parents et depuis lors, ils la briguaient comme leur appartenant de plein droit. Ils ignoraient qu’il y eut une propriétaire dans les lieux. Ils voulaient à tout prix la posséder pour y finir leurs vieux jours.
C’était sans compter le jardinier et le maître d’hôtel restés sur place pour l’entretien de la maison ils les neutralisèrent, l’effet de surprise aidant et les questionnèrent avec force violence pour les faire parler : c’est ainsi qu’ils apprirent l’existence de mademoiselle de Serreville, partie aux Etats-Unis pour monter un ballet. La situation ne tournait plus à leur avantage : il leur fallait éliminer les témoins gênants et c’est le troisième frère qui s’en chargea. Ancien commis boucher, il maniait le couteau à la perfection et n’hésita pas à les éliminer à tour de rôle. C’était un truand notoire et il avait déjà fait de la prison pour homicide par arme blanche. Il était en cavale depuis de nombreuses années, réfugié dans une vieille bicoque appartenant à son frère et à sa sœur.
Quand Mademoiselle de Serreville leur rendit visite, ils s’inquiétèrent aussitôt. Mais leur frère étant absent ce jour-là, ils la laissèrent repartir avec angoisse : eux n’étaient pas des criminels. Ils montèrent alors un scénario invraisemblable pour égarer les soupçons. Ils avaient peur qu’elle n’avertisse la gendarmerie. Aussi, leur frère cadet ressemblant un peu au jardinier, ils montèrent un plan machiavélique : l’enfermer dans l’appentis, mettre le désordre en conséquence, l’anesthésier en bonne et due forme pour faire croire à une séquestration et cela avait marché momentanément. L’inspecteur avait été grugé, le médecin légiste aussi.
Hélas, ils avaient tout prévu sauf la brigade cynophile et le flair incomparable des chiens policiers qui retrouvèrent très vite les deux corps enterrés dans le parc. Ils étaient pris dans les mailles du filet et décidèrent de s’accuser mutuellement pour faire durer l’enquête et permettre à leur frère de s’enfuir en toute impunité. La ruse avait fonctionné puisque que le faux jardinier avait été libéré et laissé sans surveillance.
L’inspecteur se sentit vexé de s’être ainsi fait duper mais il avait commis une faute professionnelle. Heureusement qu’il avait des ressources non négligeables dans la manche et qu’Interpol avait arrêté ce dangereux criminel récidiviste. Il l’attendait d’une minute à l’autre et sans nul doute que la confrontation serait tumultueuse entre les frères !
Justement, on tapa à la porte et deux fonctionnaires lourdement armés entrèrent avec le forcené dument menotté aux pieds et aux mains : deux précautions valaient mieux qu’une avec ce genre d’individu.
L’homme était hagard, le cheveu en bataille, les vêtements sales et déchirés, très amaigri et fatigué de ses nuits sans sommeil sans doute. Et quand il vit son frère, un rictus mauvais lui monta aux lèvres car il comprit que ce dernier avait avoué et qu’il était fait : il s’en prendrait pour trente ans et mourrait sans nul doute en prison.
L’inspecteur était satisfait de la tournure de l’affaire bien que mécontent de sa bavure : la jeune femme avait échappé à la mort de justesse par son manque de discernement.
Ce complot de famille avait failli lui couter sa carrière et sa réputation de fin limier.
Il fit ramener les coupables présumés en cellule et appela le Procureur de la République pour l’informer du dénouement de l’affaire, en prenant bien soin de ne parler de sa faute professionnelle.
Puis, il téléphona à la jeune femme et l’invita au restaurant du coin pour lui annoncer les dernières nouvelles en ce qui la concernaient. Il lui devait des explications et des excuses.
Il se changea rapidement, fit un brin de toilette et ressortit le chapeau de son carton : il se devait d’être élégant en compagnie d’une charmante demoiselle !
Lucienne le 06.02.201