L'inspecteur reprend du service 11

L’inspecteur reprend du service 11,
Pour l’heure, il la ferait poireauter une nuit entière en cellule. Il avait besoin de ce laps de temps pour préparer son plan et, surtout, prendre un repos bien mérité.  Il espérait ainsi qu’elle soit bien épuisée pour pouvoir lui tirer les vers du nez. Et puis, il avait besoin des informations de l’expert sur les documents retrouvés dans la demeure pour étayer son enquête et des résultats de l’autopsie. Cela ferait une charge de plus à lui soumettre. Il devait absolument savoir par qui le coup de couteau fatal avait été porté.
Il fit appeler le planton pour lui donner ses ordres : interdiction formelle de rapprocher les époux de quelque manière que ce soit et ne leur servir pour se sustenter que le strict nécessaire afin de les fragiliser encore si besoin était. Il se devait d’être malin car la femme était roublarde et chargerait certainement son faible mari pour tous ces méfaits qui leur étaient imputés. Il appela Mademoiselle de Serreville pour l’inviter au bistro du coin et lui raconter les derniers rebondissements de son enquête. Il lui recommanda d’apporter tous les papiers concernant sa propriété et les courriers échangés avec son jardinier. Il ne lui parla pas tout de suite de la séquestration de ce dernier ni de l’assassinat de son majordome : il préférait lui dire de vive voix devant un bon repas. Peut-être que ce serait moins douloureux ainsi présenté. Il lui restait une petite heure pour faire sa toilette et se raser de près : il se devait d’être le plus élégant possible pour dîner en tête à tête avec une dame. Il revêtit son plus beau costume, celui qu’il réservait pour les grandes occasions et mit son stetson tout neuf sorti du carton.
Quand il arriva sur place, la jeune femme était déjà là, installée confortablement à une table dans le fond de la salle de restauration, un verre à la main : elle avait la mine défaite, le regard perdu mais elle l’accueillit avec un grand sourire. Elle aussi manquait de sommeil, c’était évident. Il commanda un Charmer, un mélange de scotch whisky - curaçao bleu - vermouth sec (Martini dry) - bitter à l'orange sans glaçon. Elle avait apporté ses documents et l’inspecteur les examina avec attention avant d’émettre ses hypothèses. Mais le moment était venu de lui apprendre les dernières nouvelles qui allaient sans doute la secouer. Il le fit avec une grande délicatesse, sans trop rentrer dans les détails et la jeune femme s’effondra. Des larmes coulèrent soudain de ses splendides yeux, son beau visage devint livide et ses mains fines et parfaitement manucurées se mirent à trembler, à faire tinter les glaçons du verre qu’elle tenait. Elle comprit immédiatement qu’elle avait échappé à la mort de justesse.
Elle expliqua alors qu’en arrivant à la propriété, elle s’était vite aperçue du jardin en friche, de cette voiture qu’elle ne connaissait pas, de l’absence de son jardinier et de celle de son majordome : elle comprit immédiatement qu’il se passait quelque chose d’anormal. Elle avait posé les questions en conséquence mais ne reçut de réponse. Elle avait couru un grave danger sans le savoir. Mais pourquoi donc l’avait-il laissée partir ? Elle était désolée pour son majordome mais elle ne le connaissait que très peu : il était très discret et peu causant avec elle. Par contre, elle fut ravie d’apprendre que son cher jardinier était en vie mais se demanda pourquoi il avait été épargné lui aussi et mis sous séquestre. Mais l’inspecteur ne put répondre à toutes ses questions, lui-même n’en comprenait pas encore les tenants ni les aboutissants.
Elle esquissa un doux sourire malgré ces mauvaises nouvelles et ils entamèrent le repas en parlant d’autre chose que de l’enquête : il voulait la ménager pour la confrontation qu’il prévoyait avec les époux machiavéliques. Il était là son plan d’attaque pour ébranler ces personnages de bas étage. Ils auraient une belle surprise de savoir qu’elle les avait cernés et dénoncés à la justice.
Le repas terminé, ils prirent le chemin du retour et l’air du soir leur fit grand bien.
L’inspecteur lui donna rendez-vous le lendemain matin à neuf heures à son bureau pour la confrontation…
Lucienne le 06.02.2016