PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
LA SYLLABE
Si l'on se réfère à l'étymologie grecque, syllabe vient de "sun", qui veut dire avec, et "lambanein" qui signifie prendre. D'où "prendre ensemble". La syllabe se définit comme un groupe minimal de phonèmes pris ensemble, qui s'organisent autour d'un unique phonème vocalique. C'est, il me semble, la meilleure définition. La syllabe peut même, dans certains cas, être réduite à une voyelle.
Cette structure phonématique de la syllabe est déterminée par un ensemble de règles qui varient de langue à langue. Certains linguistes refusent toujours à la syllabe une identité physique, et ne lui attribuent qu'une existence psychologique et phonologique. D'autres, au contraire, comme R. Jakobson et M. Halle, attribuent à la syllabe une existence phonétique définie par certaines caractéristiques articulatoires et acoustiques. Autrement dit, une liaison plus intime et un degré de coarticulation plus "étroite" du centre de syllabe par rapport aux bords, dus à une augmentation de la fréquence du fondamental. J'avoue que cela est plutôt hermétique et, que, heureusement, les poètes ne se réfèrent guère à ces explications et à ces polémiques un peu rebutantes. En poésie, le principe s'appuie sur le fait que, dans notre langue française, les syllabes sont nettement distinctes. Sauf sur quelques points, dont la versification tire son profit pour introduire d'heureux dérèglements : faits d'élision, statut du "E"' muet, diérèses et synérèses... La règle première est que toutes les syllabes se comptent dans un vers. En les séparant par une barre oblique (/) on décompte ainsi, par exemple, cet octosyllabe de Victor Hugo (Hymne : Les chants du crépuscule, 1835) :
Gloi/re à/ no/tre/ Fran/ce é/ter/nel/le !
On peut résumer en disant que, dans le vers classique, le "E" muet est toujours pris en compte, sauf s'il se trouve en position de fin de vers ou devant une voyelle à l'intérieur du vers.
NOTE : Il convient d'ajouter à ces restrictions l'élision du "E" muet à l'intérieur d'un mot du tyle "avou(e)ra", ou encore "remerci(e)ment", etc. Ainsi que dans les terminaisons verbales en : "aient" ou "oient", comme : "chanterai(ent) ou encore "envoi(ent)".
Cette règle de la prononciation systématique du "E" muet entraîne plusieurs difficultés. Et d'abord pour les mots terminés sur une voyelle + "E" muet (du type : "amie", émue", Annie, etc.). S'ils apparaissent devant un mot à initiale vocalique, aucun problème, le "E" muet s'élide :
Le tonnerre est la plui(e)// ont fait un tel ravage.
(Baudelaire : In "L'Ennemi" : "Les Fleurs du Mal")
Par contre, s'ils se trouvent devant une initiale consonantique, il faut normalement prononcer le "E" muet. C'est, tout au moins, ce qui se passait jusqu'au XVIe siècle. Dans les sonnets dédiés à Marie, Ronsard écrivait, en 1555 :
Marie, qui voudroit vostre nom retourner,
Il trouveroit aimer ; aimez-moy donc, Marie.
Dans le second emploi de "Marie", à la rime, le "E" muet s'élide sans problème. Mais, au début du premier vers, il faut compter (et donc prononcer) le "E" muet : "Ma/ri/e/, sinon l'alexandrin n'aurait que onze syllabes et donc serait faux. Dieu merci, tout ceci n'existe plus de nos jours, et c'est pour résoudre ces difficultés nées des contraintes propres au "E" muet, que les poètes ont eu recours à des licences poétiques : c'est-à-dire à la transgression délibérée et réglée de certaines normes grammaticales ; normes de l'orthographe quand Baudelaire, dans l'exemple suivant, écrivait "encor" pour : "encore" :
Elle est bien jeune encor ! - Son âme exaspérée (...)
Cette licence continue a être pratiquée par les poètes modernes, lorsqu'ils tiennent à conserver la mesure du vers.
C'est pour cette raison, aussi, qu'on ne compte pas en pieds, mais en syllabes, car le pied est un terme métrique applicable seulement aux systèmes qui reconnaissent une opposition formelle entre voyelles brèves et voyelles longues (exemple : le latin et le grec), ou entre syllabes accentuées et syllabes inaccentuées (exemple : anglais et allemand). Longtemps, le mot pied a été confondu au sens de "syllabe" en versification française ; mais, dans un souci d'exactitude terminologique, les métriciens s'accordent désormais à ne lui donner que son sens strict..