PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
ENJAMBEMENT
Le verbe "enjamber" a été utilisé pour la première fois par RONSARD, dans le sens de "prolonger au-delà du vers", tandis que le nom "enjambement", en versification, date, lui, du XVIIe siècle.
Il se produit un "enjambement" lorsque le sens du poème exige qu'on poursuive sans coupure la lecture d'un vers sur le suivant, malgré la rime qui marque la fin du vers. Autrement dit, on "enjambe" la barrière (si légère soit-elle, mais bien réelle) de la rime.
L'enjambement oppose deux systèmes : celui de la versification et celui du sens. D'un côté la syntaxe du français exige que certains éléments ne soient pas séparés (le sujet et le verbe ; ou bien l'article et le nom, par exemple) ; d'un autre côté, le système syllabique de la versification française traditionnelle nécessite que survienne de façon plus ou moins régulière une rime suivie d'une pause, même à peine perceptible. Bien entendu, comme toutes les règles, celle-ci fut transgressée dès les origines, ou du moins peu après. En voici quelques exemples :
...
Et comme le noble Roman
De la Rose dit et confesse
En son premier commencement
...
François VILLON (Le Testament)
...
Et ce bel Art nous sert d'escalier pour monter
À Dieu, quand du nectar nous désirons goûter.
...
Vauquelin de la FRENAYE (Art poétique, publié en 1605)
Au XVIIe siècle, MALHERBE et BOILEAU proscriront l'enjambement. En revanche, les Romantiques le remettront à l'honneur. Et le grand Victor HUGO se servira du procédé pour tirer parti d'étonnants effets stylistiques. Ainsi, peut-on découvrir dans son poème "Le Mendiant", ces vers créant un effet de surprise et renforçant la valeur symbolique que le poète souhaite donner non seulement à cette appellation inattendue, mais, emblématiquement, au poème tout entier :
Je lui criai : "Venez vous réchauffer un peu.
Comment vous nommes-vous ?" Il me dit : "Je me nomme
Le pauvre. Je lui pris la main : "Entrez, brave homme."
Victor HUGO (Les Contemplations)
Un autre exemple de La FONTAINE, cette fois :
Je me dévouerai donc, s'il le faut ; mais je pense
Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi.
Jean de la FONTANE. (Les animaux malades de la peste).
On pourrait constituer un véritable florilège de l'enjambement qui fut pratiqué aussi bien par les Parnassiens que par les Symbolistes et leurs successeurs, au nombre desquels on peu citer José Maria de HEREDIA, Jean de La Ville de MIRMONT, Stéphane MALLARMÉ, etc.
Les poètes contemporains pratiquent largement l'enjambement dans leur oeuvres et savent en tirer des effets tout à fait remarquables :
Sois tranquille, cela viendra ! Tu te rapproches,
u brûles ! Car le mot qui sera à la fin
du poème, plus que le premier sera proche
de ta mort, qui ne s'arrête pas en chemin.
Philippe JACCOTTET. (L'Effraie)
Sources : Dictionnaire de poétique, de Michèle Aquien. (Livre de poche. 1993)
Dictionnaire de la poésie française, de Jacques Charpentreau (Fayard. 2006)
Dictionnaire de poétique, de Michel Pougeoise. (Ed. Belin 2006).