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 LA DIGRESSION (Prosodie)

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AuteurMessage
André Laugier

André Laugier


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LA DIGRESSION  (Prosodie) Empty
MessageSujet: LA DIGRESSION (Prosodie)   LA DIGRESSION  (Prosodie) EmptyJeu 23 Juil - 19:56


PETIT LEXIQUE POÉTIQUE

LA DIGRESSION


La digression, du latin digredi qui signifie "s'éloigner", appartient essentiellement à l'art du conteur qui paraît abandonner son sujet principal pour parler de tout autre chose, mais qui sait, habilement, y revenir de façon qui paraît "naturelle". On retrouve généralement la digression dans des poèmes assez longs pour rapprocher les contes des récits. Ce fut souvent le cas dans de longs poèmes de l'époque romantique.

Il est remarquable de constater que certaines digressions constituent à l'intérieur du poème une partie suffisamment originale et complète pour être citée seule, et le lecteur non spécialiste ignore qu'il s'agit, souvent, d'une digression extraite d'un ensemble. C'est ainsi qu'on trouve, par exemple, dans le poème "Rolla" d'Alfred de Musset (1838), la célèbre apostrophe commençant par :


"Dors-tu content, Voltaire, et ton hideux sourire
Voltige-t-il encor sur tes os décharnés ?"


De même l'évocation du "jeune aiglon" dont les sept vers sont souvent détachés de l'admirable ensemble de "Rolla". On connaît, également, dans "Les Nuits" de Musset, des passages devenus célèbres séparément. Ainsi celui où la Muse paraît s'écarter du sujet principal, la douleur du poète, pour lui raconter un apologue :

"Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans le brouillard du soir retourne à ses roseaux..."

La Nuit de Mai (1835)


On trouve aussi de semblables digressions apparentes dans les longs poèmes de Lamartine. Ainsi, dans "Jocelyn" (1836), superbe roman en vers, les descriptions de la nature, les méditations sur la destinée, les interrogations sur la divinité, l'invocation à la beauté, l'exaltation du monde, l'évocation de la caravane humaine... Tout peut être ici qualifié de digression - et rien ne l'est, puisque tout participe aux changements de l'âme de "Jocelyn".

De même, dans "La légende des siècles" de Victor Hugo, trouve-t-on des poèmes entiers qui constituent des digressions par rapport à l'ensemble du recueil.

En fait, de nos jours, les poèmes étant plus courts, nous n'avons plus le loisir de nous immerger dans ces grands fleuves de vers qui emportent lentement une poésie pourtant prenante. Ce qui nous apparaît comme une digression n'est souvent, dans ces textes, qu'une étape dans le cheminement dont nous n'épousons plus le rythme.

La véritable digression, en poésie, se trouve paradoxalement dans des textes plus proches de nous quand apparut la liberté de s'exprimer davantage par des associations d'images, d'idées, de mots, de sonorités, que par un récit platement linéaire. La digression fait alors partie du poème proprement dit, dont elle est un élément essentiel. Ainsi, le poème de Jacque Prévert, "Dans ma maison" commence-t-il et finit-il par une invitation d'amour, mais il s'interroge en cours de route sur l'arbitraire des mots, en une digression devenue célèbre par son humour et par sa verve :

Dans ma maison

Dans ma maison vous viendrez
D'ailleurs ce n'est pas ma maison
Je ne sais pas à qui elle est
Il n'y avait personne

...

Comme c'est curieux les noms
Martin Hugo Victor de son prénom
Bonaparte Napoléon de son prénom
Pourquoi comme ça et pas comme ça
Un troupeau de bonapartes passe dans le désert
L'empereur s'appelle Dromadaire
Il a un cheval caisse et des tiroirs de course

...

Dans ma maison tu viendras
Je pense à autre chose mais je ne pense qu'à ça.


Source : "Dictionnaire de la poésie française", de Jacques Charpentreau.
Fayard. 2006.
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