Le singe et le renard

Le singe et le renard


Un singe et un renard, marchant de compagnie,
Faisaient, en cheminant, état de leur fratrie.
Et chacun se vantait d’ancêtres ou d’aïeux
En remontant les ans jusqu’à l’ère des Dieux !
« Moi, disait le renard, je suis de ces lignées
Dont l’origine fuit au fin fond des nuées.
Il y a trois mille ans un vieil ancêtre à moi
Sous Ulysse et Priam, fit la Guerre de Troie ! »
Le gibbon ne dit rien, mais, passée la rivière,
Leur chemin les mena tout près d’un cimetière.
Le singe, arrivé là, pleura en gémissant.
Le renard, fort surpris de ce si gros tourment,
Lui demande pourquoi cette alarme subite.
Le singe, en grimaçant, justifie sa conduite,
La voix pleine de trémolos
À grand renfort de gros sanglots.
« Je pleure comme il faut servantes et nourrices
Qui, en mon âge tendre, ont chéri mes caprices,
Tous les maîtres d’hôtel, valets et chambellans
Qui étaient à l’affut de mes désirs d’enfants.
Parce que, dans les tombeaux de tout ce cimetière
Gisent tous les valets esclaves de mes pères ! »
Le renard, indigné, que l’on puisse ainsi
Dire n’importe quoi et se moquer de lui,
Se rebiffe soudain et dit avec rudesse :
« Tu es un grimacier de la plus belle espèce !
Tu as très bien choisi, les témoins de ton rang.
Aucun ne va sortir pour dire que tu mens ! »
« Et toi, dit le gibbon, il m’étonnerait fort
Qu’Achille vienne ici pour te porter du tort,
Que Priam ou Énée sortent de l’Iliade
Pour arriver ici démentir tes bravades. »

Beaucoup de charlatans se donnent un faux air
Et se disent sortis du front de Jupiter,
Du ventre de Venus, des forges de Cyclope,
Des œuvres de Circé ou bien de Pénélope.
Mais je n’ai jamais vu encor dans mon salon
Venir le Roi des Dieux pour leur donner raison.


4/01/2020

Alain Gurly