L'inspecteur à la ferme 11

L’inspecteur à la ferme 11,
A l’effet de faire parler son suspect peu enclin à coopérer, l’inspecteur exagéra délibérément les présomptions de culpabilité qui pouvaient être reconnues contre lui. Ainsi, il lui laissa entendre qu’il était entièrement responsable des faits incriminés pour amener son interlocuteur à faire l’aveu de ses activités illicites mais réelles dans le but d’encourir une peine moins lourde.
L’inspecteur, fort de cette nouvelle façon d’enquêter, refusa la demande de pause. Néanmoins, il lui fit servir un café noir très serré et profita de ce qu’il était devenu plus éloquent pour lui poser les questions qui le titillaient. Qui était la jeune fille sur la photo et quels liens avait-elle avec Georges ? Quelle était son identité et son lieu de vie ? Pourquoi ces sommes d’argent énormes retrouvées chez Sylvain ? Comment se faisait-il que son téléphone portable fut entre leurs mains ? Depuis quand trafiquaient-ils dans la contrebande d’alcool ? Ils risquaient pour ces malversations plusieurs années de prison et une forte amende.
L’homme qu’il avait en face de lui semblait soudain abattu. Il se recroquevillait sur la chaise, ses mains trapues et rougeaudes commençaient à trembler, son visage cramoisi par de longues années de tord-boyaux virait au livide, ses gros yeux injectés de sang sortaient presque de leurs orbites : à l’évidence, le suspect était pris de panique et d’incertitudes. Il avait perdu de son arrogance et de sa superbe. Le prévenu, se sentant acculé, fit mine de se trouver mal mais l’astuce ne marcha pas aux yeux de l’inspecteur. Il lui tendit un mouchoir en papier pour s’essuyer le front en sueur et lui fit apporter un verre d’eau. Assisté par son avocat, le vieil homme fort usé se montra plus communicatif. Il raconta, à la virgule près ce que son fils avait dit aux officiers : à croire qu’ils s’étaient préparés et entraînés à un éventuel interrogatoire policier. L’inspecteur le laissa parler, le coupant quelles que fois pour des questions anodines et qui ne semblaient pas en rapport avec son enquête mais c’était juste pour le déstabiliser et l’embrouiller dans ses mensonges. Il était patient et savait que le temps jouait en sa faveur : l’individu commençait à perdre pieds. Ce n’était plus qu’une question de persévérance et d’obstination. Il ne fallait surtout pas le malmener mais l’appréhender avec douceur et doigté. Il présentait déjà les symptômes de sevrage alcoolique : presque dix-huit heures qu’il en était privé et il était en état de manque. L’inspecteur lui reposa les questions d’usage, refit minutieusement toute l’enquête depuis le début pour fatiguer un peu plus le présumé coupable, l’interrogea de nouveau sur la jeune fille et au bout d’une heure de pression, le prévenu sembla céder du terrain et avoua qu’il connaissait la jeune fille en tant que petite amie de son fils depuis plus de quinze jours. L’inspecteur avala sa salive, surtout ne pas le brusquer ni le pousser dans ses retranchements. C’était déjà un début d’aveu, spontané ou presque, obtenu sans manipulation ni violence. Et le vieil homme continua sur sa lancée. Elle s’appelle Mélissa Duroit, habite à côté de Pontarlier, elle a vingt ans. En fait, c’était la copine de mon stagiaire mais leur histoire d’amour était finie. Elle travaille dans une supérette et mon fils veut l’épouser. Mais l’inspecteur ne crut pas un instant ses mensonges. Il ne voyait pas une jolie fille de la ville s’accoquiner avec un fermier inculte et lourdaud et qui avait presque le double de son âge. La ficelle était un peu trop grosse et Mélissa n’avait plus donné signe de vie depuis déjà trois semaines d’après les informations qu’il avait pêché sur internet : c’était à vérifier de très près. En ce qui concernait le trafic d’alcool, l’idée était de lui pour arrondir ses fins de mois difficiles. Il avait commencé en toute légalité, pour son besoin quotidien mais le bouche à oreille avait fonctionné et il avait des commandes et des clients venus de l’étranger pour profiter de cette manne. Il avait été dépassé par les évènements et ne pouvait plus s’arrêter de fournir cet alcool qui était prohibé dans d’autres pays. La ferme ne représentait plus qu’une couverture. Et la venue du stagiaire dans ses locaux lui posa des complications inattendues et très embêtantes. Sylvain, à force de fouiner dans la ferme et ses dépendances, avait découvert le pot aux roses et il lui avait donné de grosses sommes d’argent pour acheter son silence. Mais l’inspecteur voulait des aveux complets, pas de l’approximation…
Lucienne le 17.02.2016