L'inspecteur n'est pas au bout de ses peines 12

L’inspecteur n’est pas au bout de ses peines 12,
Pour le suspect, l’interrogatoire devenait stressant et usant d’un point de vue psychologique et moral. Pour les policiers, il devenait difficile de rester calme et serein. L’inspecteur choisit de cibler les questionnements afin qu’ils coïncident avec le mode opératoire et les rituels du présumé coupable. Comme il n’arrivait pas à le faire parler sur ces crimes, il décida de toucher le point sensible et l’interrogea sur les relations avec sa fille. Et là, le détenu se redressa vivement sur sa chaise, son visage s’empourpra, ses mains tremblèrent fortement, sa voix se gonfla et ses yeux pétillèrent soudain.
« Je me suis battu pour elle, Monsieur l’inspecteur. Elle avait une maladie orpheline très handicapante que nous n’arrivions pas à guérir, le syndrome de Smith-Magenis. C’est une maladie génétique qui se manifeste par un déficit intellectuel, des troubles du comportement et des troubles du sommeil. Un accompagnement précoce et pluridisciplinaire aurait été nécessaire pour en diminuer l’impact mais à l’époque, nous n’avions pas les moyens financiers pour la faire suivre médicalement au quotidien.
Je lui disais tous mes secrets. Je me blottissais contre elle quand elle en ressentait le besoin. Je lui racontais des histoires, le soir avant de s’endormir. Quand elle eut l’âge de rentrer à l’école maternelle, je dus la scolariser à la maison, elle ne pouvait pas aller dans une école publique à cause de sa maladie. Ma femme ne s’occupait pas beaucoup d’Emilie. Elle était trop souvent absente de la maison. Nous nous disputions sans arrêt pour cela. Je lui reprochais de ne pas aimer notre petite Emilie si fragile. C’était l’époque où elle fit une dépression nerveuse grave au point de faire une tentative de suicide. Et quand elle est partie pour trois mois à la clinique psychiatrique, je me suis occupé seul de ma fille. J’étais son papa le plus beau, le plus fort. Je dormais avec elle et nous nous faisions plein de câlins. Dès son plus jeune âge, je provoquai chez elle un éveil plus rapide, une sociabilité plus ouverte, une maîtrise de langage plus précoce. Je la réconfortais en permanence et la stimulais par tous les moyens. Elle avait très tôt attribué à sa mère les prohibitions, les interdits, les obligations et les ordres. Les rôles s’étaient peu à peu inversés. J’étais devenu le papa poule, la mère de substitution. Nous étions fascinés l’un par l’autre, Monsieur l’inspecteur. Nous ne faisions rien l’un sans l’autre.
Puis, j’ai fini par disjoncter à cause de sempiternelles disputes avec mon épouse. Je ne sais pas ce qui me prit ce soir là, mais je l’ai frappée de toutes mes forces, à plusieurs reprises.
J’avais sans doute trop bu, monsieur l’inspecteur et je ne supportais plus ses absences du domicile conjugal et ses remontrances envers notre fille. Elle est allée à la gendarmerie déposer plainte pour coups et blessures. Je suis passé en jugement et j’ai été condamné à trois ans de prison avec sursis. Elle en profita pour demander le divorce et m’enlever la garde de mon enfant, ma jolie et tendre Emilie tellement fragile. Je ne m’en suis jamais remis totalement et je la cherchais de partout : dans les rues, aux abords des écoles, dans tous les lieux fréquentés par les enfants. je voulais la voir, l’embrasser, lui parler, lui dire que je l’aimais, qu’elle me manquait atrocement, que je n’étais plus rien sans elle, que ma vie n’avais plus de sens … »
L’inspecteur était satisfait de ces déclarations. Elles collaient parfaitement à l’enquête de profilage. Il ne lui restait plus qu’à lui soumettre les photos des victimes et les empreintes ADN pour qu’il s’écroule complètement. L’homme semblait à point pour avouer ses crimes de fillettes qui ressemblaient fortement à la sienne…
Lucienne le 21.03.2016