Noël d’un inspecteur 10

Noël d’un inspecteur 10

- Je sais, Monsieur l’Inspecteur, je sais, mais plus rien n’a d’importance, dorénavant. Je vivais pour ma femme, pour la soigner et entretenir sa beauté et si vous me l’enlevez, je suis un homme fini : je n’y survivrai pas. Mon projet était de m’allonger, auprès d’elle, comme avant et de m’endormir pour ne plus me réveiller, en lui tenant la main : rejoindre mon amour, c’était mon ultime rêve.

C’est ce que je voulais dire à ma petite fille : lui demander si elle pouvait m’aider à finaliser notre départ et je n’en ai pas eu le temps. Je commence à accuser les ans, Monsieur l’Inspecteur et j’ai contracté une maladie incurable qui me laisse très peu d’espoir de survie : l'arthrite ! Elle a envahi mon corps.
Elle s'infiltre progressivement dans mes articulations et chacun de mes mouvements devient une véritable souffrance. Alors, je savais que, tôt ou tard, je ne pourrais plus m’occuper de Déborah. C’est pourquoi j’étais si heureux d’accueillir Priscilla : elle aurait fermé la boucle et hérité de tous nos biens et patrimoine. Elle nous aurait fait inhumer dans le caveau de famille.

- Je l’entends bien, Monsieur le Curé et j’ai de bonnes nouvelles : le résultat des autopsies et des analyses est tombé ! Tout ce que vous m’avez dit s’avère vrai et le bûcheron est mort d’un infarctus, suite à trop d’agitation. On a retrouvé ses empreintes sur la hache et son ADN est en cours d’analyse : dans sa lutte, il s’était coupé à la main, et ça, vous ne le saviez pas.
Je vous demande de rester à ma disposition pour boucler cette enquête et veuillez m’excuser de vous avoir soupçonné mais je n’avais pas le choix. Le corps de votre femme va vous être rendu : veillez, tout de même, à faire le nécessaire pour qu’elle soit inhumée dans les plus brefs délais et de façon légale, cette fois !
Et, vu que vous avez joué le jeu et que vous ne m’avez pas menti, je veux bien vous faire une dernière faveur : je ferme les yeux mais, virez-moi le plus rapidement possible votre alambic et le reste de fée verte qui pourrait encore traîner dans la maison, sinon je vous boucle pour fabrication illégale d’alcool.
Je vous souhaite un excellent Noël, Monsieur le Curé et vous rends à vos brebis !

- Oh, Monsieur l’Inspecteur, je ne sais que dire, je…

- Ne dites plus rien ou je vous boucle, l’abbé : joyeux Noël ! Et partez vite avant que je ne change d’avis ! Et surtout, n’oubliez pas de vous confesser ! Je pense que vous avez des révélations à vous faire pardonner par votre chef suprême.

- Merci de votre compassion, Monsieur l’inspecteur : Dieu vous le rendra !
L’inspecteur ne répondit pas. Il avait hâte de quitter ce bled pourri, qui lui avait gâché son Noël et il n’avait même pas de coupable à se mettre sous la main, histoire de se défouler !
Il sortit de l’église et rejoignit son équipe, heureux de retrouver le monde civilisé : la neige avait recouvert de son blanc manteau tout le village. L’ombre de la nuit commençait à s’affaiblir : c’était l’heure des matines pour le Curé et celle de dormir pour l’inspecteur.
Il fut bellement salué d’un : « Joyeux Noël, Monsieur l’Inspecteur » par ses subordonnés ce qui lui fit chaud au cœur.
Lucienne le 19.12.2015