Le Capitaine Tracasse et la demoiselle 10

Le Capitaine Tracasse et la demoiselle 10

Le Capitaine n’était pas très content de ses hommes. Ils avaient profané cette tombe, sans prière au préalable. Il les tança vertement et tous se mirent à genoux pour rendre hommage à ce marin disparu. Maintenant, il pouvait songer au partage. Il décida de laisser à son équipage tout le butin, excepté le grimoire et le poignard. Ces deux objets ressemblaient trop à ceux de son cauchemar, c’était un signe, il en était persuadé ! Il demanda à un de ces moussaillons, qui savait un peu lire, de lui déchiffrer l’écriture sur le manche et la réponse ne se fit pas attendre : Scrognus ! Etait-ce une coïncidence que ce marin s’appelât comme le Sage de ses rêves ? Ce pouvait-il que ce fut un nom si courant à l’époque de ce marin ? Mais, comment savoir ? Et après tout, que lui importait cette similitude. Il avait l’impression d’être sur un nuage comme ses hommes ! Tout ce petit monde était satisfait du partage et il fallait maintenant repartir au bateau,  réparer les avaries, charger le butin et reprendre le voyage vers un port marchand où ils pourraient jeter l’ancre définitivement et monnayer leur trésor. Ils cueillirent des noix de coco pour étancher leur soif, et pour le repas, pêchèrent des poissons arc en ciel d’une saveur incomparable. Il était temps pour eux de se mettre à l’ouvrage. L’équipage  s’occupa de toute la partie en bois, le mât, la coque, le pont, les cabines et le capitaine se chargea des voiles, du gouvernail, de l’ancre et de la logistique. C’était bien la première fois qu’ils travaillaient en si belle harmonie, le sourire aux lèvres, les cœurs emplis de rêves et les yeux d’étoiles. C’est que le jeu en valait vraiment la chandelle. Cependant, la besogne fut longue et laborieuse. Ils passèrent plusieurs jours à s’affairer, sans dormir, trop pressés de remettre à flot leur bateau et de repartir sur l’océan à la recherche de leur havre de paix. Pendant les quelques pauses, le Capitaine apprit à lire grâce au moussaillon qui avait déchiffré l’inscription sur le couteau ; c’était le seul de l’équipage qui était allé un peu à l’école et qui connaissait les chiffres et les lettres : mais, ce lui fut ardu! Le loup de mer n’était plus très jeune et avait du mal à mémoriser. Il pensait tellement à sa princesse. Néanmoins,  faisait des progrès et c’était un élève assidu : déjà, il savait lire et écrire Scrognus et Katouchkaline ! C’était les premiers mots qu’il tenait à lire et retenir. Il avait l’impression ainsi de se rapprocher d’eux. Il pourrait enfin décrypter le grimoire. Déjà il s’aperçut qu’il avait été écrit par une sorcière au drôle de nom de Kataros. Il y avait retrouvé les mêmes lettres que celles de ses amis des bois. Il était trop fier de lui, il saurait lire et écrire grâce à ce petit marin d’eau douce : mais, que lui importait, les connaissances se devaient d’être partagées, lui en retour lui offrirait son savoir.
Et, c’est par un beau jour de soleil et sous une légère brise qu’ils levèrent enfin l’ancre. Le bateau était devenu magnifique, les hommes d’équipage avaient fait un superbe travail ; le pont brillait, les couchettes sentaient bon la cire et le savon, le mât était plus grand et plus costaud que le précédent et la cabine du Capitaine resplendissait de mille feux tant ses cuivres avaient été astiqués. Le temps étant au beau fixe, le vieux loup de mer décida de payer une tournée à ces hommes : ils l’avaient bien mérité. Sans jamais se plaindre ni faire défaut, ils s’étaient attelés à la tâche et avaient fait un sacré beau boulot ! Il mélangea du lait  de noix de coco avec le peu de rhum qu’il restait en cale, rajouta quelques rondelles de citrons juteux cueillis sur l’île et décora le tout d’une magnifique et odorante fleur  de vanille : il était temps pour eux de faire une pause. Il accompagna ses cocktails de quelques crevettes et poissons grillés avec deux ou trois bâtonnets de légumes et appela ses matelots. Le pont était en effervescence: ils n’avaient jamais vu leur Capitaine en pareille disposition, le sourire aux lèvres, le verbe clair et le regard rêveur.
Le repas terminé, le Capitaine alla sur le pont, s’assit sur un cordage enroulé, prit son grimoire et commença à le feuilleter. Les images défilaient devant ses yeux. Mais, la fatigue le gagna et il s’endormit, serrant dans ses mains son trésor …

Lucienne le 17.12.2015