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 LA CHEVILLE (Prosodie)

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AuteurMessage
André Laugier

André Laugier


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Localisation : Marseille

LA CHEVILLE (Prosodie) Empty
MessageSujet: LA CHEVILLE (Prosodie)   LA CHEVILLE (Prosodie) EmptyVen 14 Aoû - 17:17

PETIT DICTIONNAIRE DE PROSODIE

LA CHEVILLE

On désigne ainsi, dans la prosodie classique, un ou plusieurs mots qui semblent inutiles au sens du texte, et ne sont là que pour donner à un vers le nombre de syllabes ou la structure qui conviennent. On ajoute, par exemple, un "et" qui ne sert logiquement à rien.

Le mot "cheville" vient du latin populaire "cavicula", de "clavicule", petite clé. Comme ce mot l'indique, la "cheville" poétique est bien souvent un "bouche-trou", elle est aussi une clé d'assemblage et, à ce titre, on aurait tort de la mépriser.

Jouant sur l'analogie des pièces de bois de son métier manuel quotidien et des pièces de vers, Adam BILLAUT, "menuisier de Nevers", publia un recueil de chansons à boire intitulé : "Chevilles de maître Adam" (1644)

Une "cheville" extrêmement visible est désagréable pour l'amateur de beaux meubles comme pour l'amateur de beaux poèmes, surtout si elle est placée à la rime, où elle rejoint la tristesse du couple amour/toujours. Un orfèvre aussi exigeant que Théodore de BANVILLE affirmait "qu'il y a toujours des chevilles dans tous les poèmes". Le véritable artiste s'arrange pour qu'on ne les voit pas. On oublie trop souvent que le poète est un artisan, fabriquant ses meubles versifiés à l'unité, réunissant ses lattes de bois ou ses vers un par un, chevillant de telle sorte que "l'ensemble se tient" avec, parfois, une agréable désinvolture :


À l'image Monsieur Saint Jacques,
Qui n'a d'autre rime que Pâques ;
Si d'autres rimes, je savais,
Très volontiers j'en userais,
Car quelqu'un, pour faire habile,
Dira que c'est une cheville ;
Et moi point n'y contredirai,
Car fort peu je m'en soucierai.

Paul SCARRON (1642)


Il est parfois bien difficile de distinguer la "cheville" véritable de son imitation. On peut se demander, par exemple, s'il n'y a pas quelque intention parodique dans des vers que Raymond QUENEAU avait composés pour commenter un film d'Alain RESNAIS consacré à la fabrication des objets en matière plastique en 1958 :


L'éthylbenzène peut - et doit même éclater
Si la température atteint certain degré.
Quant à l'éthylbenzène, il provient, c'est limpide,
De la combinaison du benzène liquide
Avecque l'éthylène, une simple vapeur.

Raymond QUENEAU. (Le chant du styrène. 1969)


On a, ci-dessus, au moins trois exemples caractéristiques de "chevilles" : la "cheville de la rime" avec c'est limpide, d'une assez affligeante banalité ; "la cheville" remplaçant probablement des syllabes trop nombreuses, avec certain ; la "cheville" permettant de compter une syllabe de plus grâce à la vieille licence avecque".

On peut dire, cependant, que dans tout poème d'un vrai et grand poète, la "cheville" n'existe pas, parce qu'il fait en sorte qu'on ne la voit plus. Autrement dit, la difficulté qu'il a rencontrée lui a donné une nouvelle occasion d'inventer ce qui lui manquait. La "cheville", alors, joue son vrai rôle : faire tenir ensemble de beaux éléments, sans être visible.

ANDRÉ





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