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 Les siècles de la poésie (Étude)

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André Laugier

André Laugier


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MessageSujet: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyVen 5 Juin - 12:14



LES SIÈCLES DE LA POÉSIE (1)


La poésie française a une longue, une très longue histoire, et se confond, en quelque sorte, avec l'histoire de la poétique, si on entend par là, au sens strict, l'ensemble des procédés et des techniques qui entrent dans l'élaboration d'un poème.

Aristote, fut le premier à avoir analysé le langage propre de la poésie, à en avoir distingué les genres et les formes dans son essai : "La poétique", écrit vers 340 av. J.C. Il a, le premier, établi la différence entre la poétique, art de composer des vers, et la rhétorique, art de persuader, de convaincre par l'expression et la pensée. La poésie est un langage à part, sans être pour autant une infraction de la langue. La langue parlée ordinaire est donc considérée, déjà à cette époque, comme un instrument pratique. La compréhension est son terme.

"L'usage poétique est dominé par des conditions "personnelles", par un sentiment musical conscient, suivi, maintenu." Tel l'a affirmé, par la suite, Valéry qui trace très nettement la frontière.

Le premier texte "poétique" connu, en langue française, est "La Séquence de Sainte Eulalie", que l'on date de 880. On peut donc affirmer que la poésie française s'étend sur douze siècles. Mille et plus de cent ans de liberté suprême du langage.



LE MOYEN ÂGE
(842 – 1328)



Ce sont, précisément, les Humanistes de la Renaissance, à la fin du XVe et au début du XVIe siècles qui octroyèrent le vocable de "Moyen Âge" à une époque intermédiaire entre la destruction de ce qui subsistait de l'empire romain au Ve siècle, et les temps "modernes", c'est-à-dire la Renaissance.

Cette longue période de l'histoire de la poésie fut quelque peu discréditée, et Ronsard n'hésitera pas à la comparer à "un vilain Monstre d'ignorance", suivi, en cela, par Boileau pour qui la poésie commençait avec Villon. Rien de plus faux, en réalité, rien de plus injuste que cette idée préconçue qui va s'installer pour longtemps dans les esprits de l'époque. Il faudra attendre le XIXe siècle et la révolution des "Romantiques" pour que soit rendue justice, ou peut s'en faut, à la diversité et à la richesse inouïe de ces siècles passés. C'est le mépris des poètes de la "Renaissance", puis des "Classiques", qui a nivelé ces siècles oubliés. L'ombre de la destruction de l'Empire pèsera sur la civilisation qui en est issue, de façon paradoxale. Ce Moyen Âge, pourtant nourri d'antiquité, portera la responsabilité de la barbarie aux yeux des "Humanistes" qui ne sauront voir, dans leur engouement pour les lettres antiques, la profonde originalité de ces siècles, dont la période fut immense, non moins par ses gestations que par ses performances. "C'est là ce qu'on appelle encore parfois les ténèbres du Moyen Âge, où je ne vois qu'éblouissantes clartés d'aube et d'aurore" s'exclamera Gustave Cohen dans son livre intitulé : "La Grande Clarté du Moyen Âge".

Il faudra attendre le Xe siècle pour qu'apparaisse un texte hagiographique "La Cantilène de Sainte Eulalie". On ne sait qui la composa. Mais ce poème suffira à attester l'existence d'une langue dont procèderont, plus tard, les parlers de France.

De longs "romans" en vers, consacrés aux exploits de personnages historiques ou légendaires : "Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem" (vers 1060), "La chanson de Roland" (vers 1080), ou encore "La vie d'Alexandre", d'Albéric de Briançon (vers 1100), "Le roman de Troie", de Benoît de Saint- Maur (vers 1165), ainsi que des hagiographies versifiées, comme "La vie de Saint Léger" (seconde moitié du Xe siècle), sont les premiers monuments de notre poésie. C'est avec "le roman d'Alexandre" , d'Albéric de Briançon, qu'apparaît le vers dit "alexandrin" qui, même de nos jours, demeure la référence et l'élément de base de la prosodie française.

Pour être complet, citons, parmi les poètes les plus célèbres du Moyen Âge : Guillaume d'Aquitaine (1070 – 1127), Jaufré Rudel (XIIe siècle), Marcabru (XIIe siècle), Bernard de Ventadour (XIIe siècle), Marie de France (XIIe siècle), Chrétien de Troyes (XIIe siècle), Châtelain de Coucy (fin du XIIe siècle), Jean de Brienne (1148 – 1237), Conon de Béthune (mort vers 1220), Thibaut de Champagne (1201 – 1253), Jean Bodel (fin du XIIe, début du XIIIe siècle), Colin Muset (XIIIe siècle) Rutebeuf, Adam de la Halle (1235 – 1287 et Peire Cardenal (mort en 1306)

Sources : Dictionnaire de poétique, de M. Aquien. Librairie Générale Française. 1993.

Mille et cent ans de poésie française. De Bernard Devaille. Robert Laffont. 1991.
Anthologie de la Poésie Française. De Jean Orizet. Larousse. 1988.



LES SIECLES DE LA POESIE (2)

Le déclin du Moyen Âge
(1328 – 1498)


À la grande époque du Moyen Âge, caractérisée par la fertilité des XIIe et XIIIe siècles, succéda une ère qui inscrivit dans les esprits le souvenir pénible de ces "siècles grossiers". Avec l'arrivée du XIVe siècle, s'instaura une période sombre de décadence dont les facteurs furent nombreux, et de diverses origines, tous concourant à la confusion dans tous les domaines.

Il y eut, bien entendu, les causes politiques comme la guerre de Cent Ans, et tous les évènements qui s'enchaînèrent : Conflits intérieurs, affaiblissement du pouvoir pontifical, aboutissant au Grand Schisme ainsi qu'une faillite de la théocratie. Les catastrophes naturelles telles que la Peste Noire, qui ravagea l'Europe, en 1347, et l'extraordinaire mutation de la langue française, rendirent pratiquement illisibles aux contemporains de Jeanne d'Arc mes textes des "Grands classiques" des XIIe et XIIIe. Dans un tel climat ne pouvait guère s'épanouir le développement d'une grande littérature, et les quelques rares œuvres que suscita cette époque est bien représentative de l'état d'esprit engendré par la surenchère de telles catastrophes.

Cette situation de calamité atteignit son paroxysme en 1420, quand le Traité de Troyes proclama le roi d'Angleterre souverain du pays. Il semblait alors que l'on fût parvenu au comble du désastre quand le futur Charles VII reprit la lutte contre les anglais, et que Jeanne d'Arc les chassa d'Orléans en 1429, mais échoua devant Compiègne….

Si la guerre ne prit pas fin pour autant, le relèvement fut assez sensible car le repli des anglais s'effectuait, et c'est sous le règne de Charle VII, surnommé "le Victorieux", que la guerre de Cent Ans s'acheva.

Et la poésie, la littérature en cette sombre période ?

Pendant près de deux cents ans, l'expression littéraire connaît un repli : peu d'œuvres majeures émergent en ces temps de confusion. Quelques noms, cependant, apparaissent, tels des phares au milieu des tempêtes. Les poètes furent les premiers à se manifester en reprenant les thèmes de l'allégorie, chère au "Roman de la Rose", pour, ensuite, s'écarter de la réalité afin de se livrer au culte de la "perfection formelle". Ainsi naît, au milieu du XIVe siècle ce que l'on appela une nouvelle "rhétorique", dont l'influence s'exercera jusqu'à la Pléiade. Le grand artisan de ce renouvellement fut, sans conteste, Guillaume de MACHAUT, considéré comme un maître, tant par les poètes que par les musiciens de son temps. Il fut le grand initiateur de la "métrique" française car, pour le musicien qu'il était, le rythme musical procédait du rythme poétique. Le Maître eut de nombreux disciples parmi lesquels se distinguèrent Eustache DESCHAMPS ou encore Jean FROISSART. Puis vinrent Christine de PISAN et Alain CHARTIER. Ce n'est véritablement qu'au XIVe siècle que naquirent la notion de style et le métier d'écrivain. En effet, la grande originalité des poètes du XIVe et XVe siècles a été la prise de conscience des pouvoirs de la langue et de sa facture.

Eustache DESCHAMPS, témoigne de cet intérêt dans son ouvrage "l'Art de dicter", suivi, en cet exemple, par "le Grand et vrai Art de pleine rhétorique", de Pierre FABRI, en 1521, en passant par "l'Art de rhétorique" de Jean MOLINET.

Les traités de figures de style ou de métrique se multiplient du XIVe au début du XVIe siècle. Il convient de signaler que la conception du poème, à cette époque, sacrifiait à la sincérité de l'émotion, ne laissant apparaître que le jeu purement formel de la métrique où l'essentiel, pour le poète, paraît d'avoir vaincu les difficultés qu'il s'était imposé. C'est le reproche principal que fera la Pléiade aux Grand Rhétoriqueurs.

Les Grands Rhétoriqueurs furent, en quelque sorte, à la poésie ce que le gothique flamboyant fut à Notre-Dame de Paris. Les tendances du lyrisme courtois, en pratiquant tous les jeux de la rime, du rythme, de l'allégorie et de la mythologie, jonglaient avec la virtuosité plutôt qu'avec l'inspiration profonde.

On peut s'interroger : Où finit, en France, le Moyen Âge et où commence la Renaissance ?
Il n'y eut pas de changement notoire dans les goûts, pas plus que, du jour au lendemain, d'instauration d'une écriture nouvelle. On peut considérer que la période qui s'étale entre 1480 et 1515 est, en fait, une période de transition, à l'instar de la génération des poètes à cheval sur deux siècles. Guillaume CRETIN (1461 – 1525), Jean MAROT (14L3- 1523) précédèrent la génération de RABELAIS, né en 1494, ou MELLIN de Saint GELAIS, né en 1491, poète officiel jusqu'en 1558.

Citons quelques poètes parmi les plus célèbres de cette époque :


Guillaume de MACHAUT (1300-1377)
Eustache DESCHAMPS (1346-1406)
Jean FROISSART (1337-1405)
Christine de PISAN (1364-1431)
Alain CHARTIER (1385-1433)
Charles d'ORLEANS (1394-1465)
Jean MESCHINOT (1421-1491)
Arnoul GREBAN (1420-1471)
François VILLON (1431 –après 1463)
Jean MOLINET (1435-1507)



LES SIECLES DE LA POESIE (3)
L'épanouissement poétique de la Renaissance
(1498 – 1572)


Cette période de la Renaissance s'instaure à partir de la célèbre date de 1515, et fut promue par l'apparition de la génération des "Humanistes". En fait, que signifie "renaissance" sinon, comme son nom l'indique : "nouvelle naissance". Autrement dit, celle de la culture antique, et par le mot "humaniste", celui qui puise sa connaissance dans cette culture. S'il est indéniable que "la nouvelle génération", née un peu avant 1500, puisa un profond et fécond intérêt dans la connaissance des œuvres poétiques de l'Antiquité, on ne peut, par contre, affirmer qu'il s'agit d'une découverte, ni d'une attitude inédite.

En effet, l'Antiquité est restée une référence constante pendant environ mille ans. Il s'agit, comme on peut le constater, d'une vaste période au cours de laquelle il fut plus ou moins possible de réaliser, dans la culture, l'héritage de cet âge d'or. La deuxième moitié de IXe siècle, et surtout le Xe siècle plongent l'Occident dans l'obscurité la plus totale, ceci étant lié par la structure même de l'Etat carolingien qui n'a pas permis, sans doute à cause de son émiettement consécutif à sa nature, que s'instaure une renaissance durable et ce, malgré, sur le plan des lettres, d'un authentique renouveau grâce à l'action d'un ALCUIN (735 environ – 804), dont le rayonnement favorisa l'Empire de CHARLEMAGNE.

Il fallut attendre, en fait, le XIIe siècle, avec le règne de LOUIS VII, puis le siècle suivant avec l'éclat du règne de LOUIS IX, pour qu'une nouvelle renaissance eût lieu. Si la guerre de cent ans n'avait pas eu lieu, et à supposer que l'on puisse refaire l'Histoire (Ah ! Monsieur WELLS), il est probable que la France eût connu une renaissance un peu comparable à celle qui illumina l'Italie du Trecento. Il n'en fut rien ; peut-être à cause, aussi, en plus des guerres, de la misère et des épidémies, d'une mutation que connut la langue française à cette époque.

La Renaissance du XVIe siècle peut s'écrire avec un "R" majuscule, parce qu'elle inaugura de fait une époque fondamentale où plus rien, désormais, ne sera comme avant. Cette Renaissance est plus l'effet d'un concours de circonstances, historiques, scientifiques, techniques ou littéraires, que de la volonté affirmée d'un changement délibéré. Les consciences semblent plus mûres et aptes à se modeler sur ce qu'il est convenu d'appeler depuis : "l'aube des temps modernes".

Dès la fin du XVe siècle, en effet, commencent les "grandes découvertes". L'imprimerie, d'abord, dans le troisième quart du XVe siècle, permit, en France, de divulguer la culture, comme elle ne fut jamais. GUTEMBERG a vraiment permis là un changement radical dans la communication. Puis les conséquences de la découverte du "Nouveau Monde", et celle de COPERNIC (1473 – 1543). L'homme prit conscience de ce que Dieu ne l'avait pas même placé au centre de l'univers ; pis encore : il n'était pas le centre de son exil. De nombreux textes furent écrits, relatant ces découvertes. Il s'interrogea, les lut et les relut, bref, développa une conception nouvelle de la religion, de l'homme et de l'univers. C'est ainsi qu'il tenta, dans un premier temps, par une démarche qui semble assez logique, de revenir aux sources mêmes de la connaissance, c'est-à-dire aux textes grecs, latins ou hébreux, dont on parlait, mais qu'on ne lisait pas, faute, souvent, de pouvoir disposer des textes eux-mêmes. L'imprimerie remédia à cela…

On redécouvrit ARISTOTE, PLATON et EPICURE….

Les tris grands moments de la poésie, en cette période, peuvent se définir autour de Clément MAROT, de l'Ecole Lyonnaise et de la PLEIADE. Il s'agit d'un ensemble de poètes, et non de trois générations, qui vont témoigner de ce passage du Moyen Âge à la Renaissance, comme Lemaire de BELGES et surtout MAROT, puis de la Renaissance profondément marquée par le "pétraquisme", comme l'incarnent les disciples de Maurice SCEVE et, enfin, de son plein épanouissement avec l'intention d'une poésie, autour de RONSARD et de Du BELLAY. Désormais, RONSARD et ses compagnons d'écriture imposent un tournant décisif que l'on considère, à juste titre, comme le début des temps modernes.

Mais, dès 1572, le mouvement s'essouffle : Du BELLAY est mort âgé seulement de trente-sept ans, en 1560. Il restait encore RONSARD. JODELLE mourut en 1573, et BAÏF en 1589. RONSARD connut, à la mort de CHARLES IX, une certaine amertume. HENRI III eut pour favori un autre poète, plus jeune, nommé DESPORTES. Et pourtant ce dernier ne reniait pas l'héritage de ses aînés. Il fut disciple de RONSARD et de BAÏF . Son œuvre fut, cependant, de moindre qualité, et l'on s'orientait déjà vers le Baroque

Citons quelques poètes parmi les plus célèbres de cette époque :


Jean LEMAIRE De BELGES (1473 – 1525)
Jean BOUCHET (1476 – 1557)
MELLIN De SAINT-GELAIS (1487 – 1558)
Clément MAROT (1497 – 1544)
Marguerite De NAVARRE (1492-1549)
Jean DORAT (1508 – 1588)
Maurice SCEVE (1510 – 1564)
Pernette Du GUILLET (15320 – 1545)
Pontus De TYARD (1521 – 1605)
Pierre De RONSARD (1524 – 1585)
Louise LABE (1525 – 1566)
Joachim Du BELLAY (1522 – 1560)
Rémy BELLEAU (1528 – 1577)
Olivier De MAGNY (1529 – 1561)
Etienne De LA BOETIE (1530 – 1563)
Etienne JODELLE (1532 – 1573)
Jean Antoine De BAÏF (1532 – 1589)




À SUIVRE..
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Flamme
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Flamme


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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptySam 6 Juin - 9:07

Très très intéressant André, on pourra venir se ressourcer sur cette arrivée de la poésie de temps en temps. Grand merci.
bis
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André Laugier

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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptySam 6 Juin - 10:23

Flamme a écrit:
Très très intéressant André, on pourra venir se ressourcer sur cette arrivée de la poésie de temps en temps. Grand merci.
bis  

Bonjour FLAMME,

La poésie à plus de dix siècles d'existence. Un petit résumé des quelques époques les plus marquantes m'a paru être de nature à intéresser les véritables poètes qui, en plus de l'écriture de leurs propres œuvres, ont à cœur d'en connaître un peu de son histoire et ses principaux auteurs : nos illustres prédécesseurs.

J'espère que quelques uns des membres du forum viendront y jeter un coup d'œil, même si la plupart connaissent les époques de la Poésie et leurs poètes. À découvrir donc, ou à redécouvrir.

UN GRAND MERCI pour ta lecture, FLAMME.

Je te souhaite de passer un excellent week-end ensoleillé.

DE GROS bibi2

CARPE DIEM

andre

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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptySam 6 Juin - 22:08


LES SIECLES DE LA POESIE (4)
Du Baroque à la Préciosité
1572 - 1650


On connaît l'origine du mot "Baroque". Il désignait d'abord une perle irrégulière. Cela signifie que le "baroque" est un échec, une carence : l'artiste baroque serait celui qui est incapable d'atteindre à l'harmonie et à la régularité classiques. Nous avons donc une conception foncièrement négative du baroque. Le "Baroque", qui éblouit par la confusion des apparences, doit se contenter d'une "clarté relative" : ce pourraient être des ruses, ou du moins des partis pris rhétoriques destinés à bousculer les sensibilités et à les entraîner.

À l'univers du Moyen Âge et de la Renaissance succède l'infini. La terre n'est plus le centre du monde. La science moderne peut terroriser. Une œuvre baroque ne sera donc pas composée d'éléments qui se laissent isoler, mais traversée d'un mouvement général. La clarté n'y est que relative, et peut-être incertaine. On pourrait dire que maints poèmes de SAINT-AMANT, de BOISROBERT, par exemple, donnent une impression "d'inachèvement". Certes, nous serions tenté de chercher du baroque dans "l'Hiver" d'AGRIPPA D'AUBIGN2 ou dans les "Théorèmes" de la CEPPEDE.

La période littéraire du "Baroque à la Préciosité" se moule, en fait, sur une longue étendue de temps historique, s'étalant des guerres de Religion à la Fronde. Cette tranche d'Histoire est marquée par l'instabilité, par un manque évident d'équilibre ou l'homme, donc le poète, se cherche en se regardant d'un œil nouveau, ayant du mal à se reconnaître dans un monde soumis à tous les troubles, héritière de la "Renaissance", dont les acquis restent pourtant vivaces ; l'époque semble glisser vers un certain chaos dont la mort serait la seule issue.

Mais cette époque connaît aussi son contraire, à l'œuvre de l'affermissement du pouvoir et dans la volonté de certains poètes de donner sens au chaos, sorte de force centripète qui tend à limiter les effets de l'éclatement. On ne peut isoler le contexte historique de la production littéraire, ou inversement ; et de fait, le "classicisme" annoncé par MALHERBE, prend racine au moment où l'Etat s'efforce de faire régner l'ordre en conjurant les forces contraires. Le "Baroque", autant que le "Classique", sont des pôles d'attraction, et les œuvres de tant d'auteurs, mis tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, participent le plus souvent des deux, avec toutes les nuances possibles.

On peut aussi considérer le "Baroque" comme l'expression d'une sensibilité qui se retrouve à toutes les époques ; une telle conception devait apporter au "Baroque" de nombreux avatars :
Le "Flamboyant" (Baroque gothique), le style "Rococo", le "Romantisme", ou encore le "Symbolisme".

Il faut bien admettre, pourtant, l'existence d'un "âge baroque" qui s'étale, en France, du dernier quart du XVIe siècle à la moitié du XVIIe. Si la "Préciosité", au temps d'un MALHERBE vieillissant et de son disciple RACAN, ou encore CORNEILLE, à l'aube de sa gloire, ainsi que Jean CHAPELAIN, Tristan L'HERMITE, Georges de SCUDERY, et bien d'autres, procède du "Baroque", si le "Précieux" peut apparaître comme une tentation, ils ne se confondent pas, cependant. La "Préciosité" correspond à l'expression d'une minorité aristocratique qui n'a pas la profondeur existentielle et métaphysique du "Baroque" d'un SPONDE ou d'un d'AUBIGNE. Elle est, avant tout, l'effet d'un divertissement de mondains, d'où son aspect de jeu de société. Jean ROUSSET a d'ailleurs parfaitement défini cette différence en écrivant : "La Préciosité est la pointe mondaine du Baroque".

Quelques poètes célèbres de cette époque :

Amadis JAMYN ( 1538 - 1592 )
Guillaume Du BARTAS ( 1544 - 1590)
Philippe DESPORTES ( 1546 – 1606 )
Agrippa d'AUBIGNE ( 1552 – 1630 )
Jean BERTAUT ( 1552 – 1611)
Jean De SPONDE ( 1557 – 1595 )
Honoré d'URFE (1567 – 1625 )
Jean-Baptiste CHASSIGNET ( 1570 – 1635 )
Mathurin REGNIER (1573 – 1613 )
Théophile De VIAU ( 1590 – 1626 )
Antoine De SAINT-AMANT ( 1594 – 1661 )
Pierre De MARBEUF ( vers 1596 – après 1635 )
Vincent VOITURE ( 1597 - 1646)
Pierre CORNEILLE ( 1606 – 1684 )


LES SIECLES DE LA POESIE V
La réaction des classiques
1605 – 1685


Avec l'avènement d'Henry IV et l'affermissement de son règne dans les premières années du XVIIe siècle, s'ouvre l'ère de la centralisation monarchique. Corrélativement, l'activité culturelle, malgré la persistance de quelques cercles provinciaux, tend à se concentrer dans les hôtels aristocratiques de la capitale. On peut dire que la vague des salons précieux consacre cette évolution.

"Enfin MALHERBE vint !" Un vrai cri de triomphe et de soulagement, rétrospectif, poussé par BOILEAU, célèbre l'avènement d'une esthétique classique en poésie, même si l'on doit considérer qu'à cette époque on ne partage plus tout à fait cette vision manichéenne de l'histoire littéraire exprimée par l" le législateur du Parnasse".

À ce moment, en effet, MALHERBE apparaît très isolé au milieu du foisonnement baroque qui caractérise l'époque. Il a une volonté farouche et indéniable à vouloir réformer, épurer même, la poésie. Mais les résultats tardent, et il n'exerce que très progressivement son influence. En fait, la doctrine de MALHERBE est simple : elle obéit à des constances techniques, dans le sens d'une plus grande rigueur de la versification, pour une plus grande clarté de l'expression et d'une plus profonde simplicité de l'inspiration, auxquelles la poésie classique se pliera, et restera fidèle, avec une exemplaire fermeté.

En quelque sorte MALHERBE veut régulariser le rythme de la strophe et du vers ; c'est lui qui établit la nécessité de la césure à l'hémistiche ; mais il réglemente, également, les procédés du rejet et de l'enjambement. Il est très soucieux de la musicalité verbale ; demande des rimes pures et riches, proscrit à l'intérieur du vers les hiatus ou les successions disgracieuses de sonorités. Ses exigences techniques lui valent le surnom "d'arrangeur de syllabes".

En combattant ainsi les facilités et les artifices des versificateurs mondains, à l'image d'un DESPORTES, par exemple, c'est aussi la "morale de l'art" qu'il défend. Il est le premier, également, à proclamer que la "poésie est un métier", et non une vaticination inspirée dont se réclamaient ses prédécesseurs de la Pléiade. Il fait appel à plus de modestie et de rigueur poétique. En fait, il pense que ce que perd la poésie en mystère et en éclat, elle doit le gagner en clarté et en netteté. Pour lui, la langue est un moyen d'expression dédié au pur et au simple à la fois, et débarrassée de tout galimatias érudit, comme de tout néologisme arbitraire. Il est l'ennemi de la poésie qui se nourrit aux pompes de la mythologie et aux subtilités faciles et maniéristes de la politesse mondaine.

Ainsi, naissent les principes essentiels du classicisme poétique sous l'influence d'un homme qui, loin de se poser en génie, met au contraire l'accent sur sa fierté à restreindre son mérite. En rompant avec le culte de l'Antiquité, en se souciant de donner aux formes poétiques la rigueur "architecturale des grands monuments", il a posé non seulement les fondements d'une nouvelle esthétique, mais érigé un modèle d'exigence et de perfection toujours actuels.

BAUDELAIRE a dit de lui qu'il admirait ses vers "carrés de mélodie". Quant au contemporain Francis PONGE, il a souligné que chez MALHERBE "chaque parole à sa dimension juste". Un Maître, en quelque sorte, dont l'ensemble des poètes à unanimement dit : "ce que MALHERBE écrit dure éternellement". Cette évolution culturelle et institutionnelle conduit peu à peu les élites intellectuelles du règne de LOUIS XIII à codifier les valeurs naissantes de simplicité, de clarté et d'élégance sur lesquelles va reposer l'esthétique classique.

Avec la fondation de l'Académie Française, en 1634, cette esthétique reçoit, en quelque sorte, une consécration officielle, et les académiciens de l'époque se proposent de rédiger non seulement un dictionnaire et une grammaire, mais une rhétorique et une poétique. LOUIS XIV confirme, pour sa part, ce système en offrant une pension royale pour les écrivains. Cette profusion créatrice et civilisatrice a donné, en même temps, naissance à un idéal moral et social d'être humain : celui de "l'honnête homme" (plutôt rêvé que réalisé et pratiqué), mais significatif de l'esprit du classicisme. MOLIERE, si longtemps et si souvent encore critiqué pour la "maladresse" de ses vers, pour ses "fautes" de grammaire et de goût (j'y reviendrai par la suite) a pris le meilleur, peut-être, des règles classiques, outre que la principale règle est de "plaire".

Enfin vint BOILEAU, un des derniers poètes et théoricien d'une esthétique qui, au fil du temps, malgré ses défenseurs, avait tendance à décliner. Il est sans aucun doute celui qui a appliqué avec le plus de rigueur les leçons malherbiennes, enfermant dans le cadre uniforme de l'alexandrin, aussi bien l'humour un peu compassé des "satires" que le lyrisme modéré des "épîtres". BOILEAU ne doit pas être considéré comme le seul responsable du dépérissement accéléré qui a frappé la poésie après lui. L'évolution des idées, du goût, le poids des grands modèles tels que CORNEILLE, RACINE, LA FONTAINE, constituent des facteurs déterminants pour ternir pendant un siècle l'image de la poésie et réduire sa place et son rôle.

Les dernières années voient un témoin ultime comme LA BRUYERE décrire les craquements de la façade grandiose qu'avait édifiée le classicisme à la gloire d'un pays et de son souverain.

Quelques poètes célèbres de cette époque :

François De MALHERBE ( 1555 – 1628 )
François MEYNARD ( 1582 – 1646 )
Honorat De BUEIL De RACAN ( 1589 – 1670 )
MOLIERE ( 1622 – 1673 )
Jean De La FONTAINE ( 1621 – 1695)
Jean RACINE ( 1639 – 1699 )
Nicolas BOILEAU ( 1636 – 1711 )
Laurent DRELINCOURT ( 1626 – 1680 )
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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyLun 8 Juin - 12:02


LES SIECLES DE LA POÉSIE (VI)
Le siècle des Lumières
1685 – 1789


Le siècle des Lumières a été, pour la poésie française, celui d'une longue éclipse. Elle traverse une crise profonde, née de l'opposition des Anciens et des Modernes ; elle se termine sur d'autres doutes, ceux du GILBERT des satires qui remet en question la notion même de la république des lettres.

En 1778, BOUFFLERS écrit à Madame de SABRAN : "Nous osons faire des vers, et VOLTAIRE est mort". Cette phrase, en elle seule, exprime le deuil et l'incertitude à l'occasion de la disparition d'un grand homme. Mais elle fait surtout écho à la question lancinante qui traverse tout le "siècle des Lumières" : Comment osons-nous encore écrire des vers ? L'interrogation vient de loin. La MOTTE, dont les "Odes" (1707), écrites dans un style qui se veut simple, et les "Fables nouvelles" (1719), se démarquant expressément de l'héritage de La FONTAINE, sont les premiers véritables recueils poétiques des Lumières, est accusé de vouloir supprimer le vers. Certes, il bouscule le protocole établi du Parnasse, opposant à l'absolutisme littéraire, aux conventions de bon aloi, un esprit frondeur, tout en proposant l'idée révolutionnaire d'une tragédie en "prose".

De là, bien entendu, à juger la poésie en péril, il n'y a qu'un pas, franchi par d'aucuns, alors que BATTEUX le rappelle quelques années plus tard, le vers ne fait pas la poésie, même si tout le monde doit convenir : "qu'un poème sans versification ne serait pas un poème."

En quelque sorte Prose et vers seraient voués à devenir un "hermaphrodite" formel. La première crise, en date, de la poésie du siècle des Lumières, paraît vouloir détrôner le vers. Elle oblige, en quelque sorte, à repousser la poésie en soi, abolissant cette acceptation confortable d'une équation absolue entre poésie et vers.

Une approche empirique permet d'ébaucher une théorie du vers. MARMONTEL écrit : "Dans les lettres et dans les arts, les "règles" sont les leçons de l'expérience, le résultat de l'observation sur ce qui doit produire l'effet qu'on se propose".

À cette époque, trois abbés tentent de définir la poésie. Pour CLERCEAU, l'inversion est la tournure poétique par excellence. TERRASSON recherche, en marge de ses travaux sur "l'Iliade", les "règles" d'une poétique qui obéirait à la raison, tandis que BAHEUX propose d'effectuer une recherche scientifique : "Imitions les vrais physiciens qui amassent des expériences, et fondent ensuite sur elles un système qui les réduit en principe".

Le grand risque, bien entendu, est de prendre ce genre de remarques au pied de la lettre et de convertir la poésie en une sorte de mécanique. On perçoit bien que la rime ne fait pas la poésie ; seul un problème de définition se pose. La poésie aurait pour domaine le vraissemblable, et à la prose reviendrait le vrai. L'alexandrin est alors disloqué par BERTIN, ROUCHER ou encore FONTANES, qui brouillent l'hémistiche et manient l'enjambement avec dextérité, dans une poétique nouvelle et ses tentatives d'affranchissement du vers. Libre choix des modèles et des références, en quelque sorte. Un grand début d'idées s'instaure.

La vogue croissante sacrifie l'idéal poétique au goût des divertissements de circonstance et de commande. Le salon de Madame de LAMBERT, le mieux fréquenté par la société mondaine et cultivée de Paris dans les années 1720, encourage les initiatives, les compétitions sur les exigences de l'esprit, l'habileté manifeste de la technique au mystère de l'art en s'intéressant à l'exploration risquée des arcanes de l'âme. Bref, une démarche stérilisante. Cependant, la poésie réelle n'égalait pas encore la poésie rêvée. Etrangement, c'est par le biais de la poésie descriptive que la "renaissance" va enfin s'opérer. "Les Promenades et Rêveries en peinture", comme la "Promenade Vernet" de DIDEROT, la "Poétique des ruines" offrent aux poètes des "images" et des "sentiments" pour enrichir leurs travaux souvent encore soumis à une trame didactique éculée.

"Les Saisons" de SAINT LAMBERT, "Les Fastes" de LEMIERRE, "Les Mois" de ROUCHER, ou encore "Les Jardins" de DELILLE, ne brillent certes pas par l'invention ni par l'originalité de la composition, mais en égrenant selon une méthode gourmée le chapelet des plaisirs et des jours au sein de la nature, ces auteurs trouvent ainsi une perle d'inspiration, dessinent un tableau pittoresque, animent une scène, une idylle. L'amour transi, élégiaque, renaît aussi à cette époque où le libertinage jette ses derniers feux, avec LACLOS et SADE.

Quant à André CHENIER, qui illumine cette fin de siècle de son génie, la révolution aura en ceci de bon pour sa gloire poétique qu'elle l'a consacré, en le mettant à mort, comme le premier des Romantiques. C'est toute la poésie française qui semble avoir été régénérée. Aussi paraîtra-t-il mieux à sa place avec ses disciples du siècle suivant, qui l'ont reconnu comme leur "inventeur". Avec lui, la véritable "restauration poétique" commence…

Quelques poètes célèbres de cette époque :

Charles PERRAULT (1628 – 1703)
Guillaume de CHAULIEU (1639 – 1720)
FONTENELLE (1657 – 1757)
Jean-Baptiste ROUSSEAU (1671 – 1741)
Alexis PIRON (1689 – 1773)
VOLTAIRE (1694 – 1778)
Jean-Jacques ROUSSEAU (1712 – 1778)
Denis DIDEROT (1713 – 1784)
Jean-François de SAINT- LAMBERT (1716 – 1803)
Jean-Antoine ROUCHER (1745 – 1794)
Nicolas-Germain LEONARD (1744 – 1793)
FLORIAN ( 1755 – 1794)
PARNY ( 1753 – 1814)


LES SIECLES DE LA POÉSIE (VII)

Le Romantisme
1789 – 1848


les romantiques, à partir du XVIIIe siècle - alors que le statut de la poésie reste au centre du débat entre eux et les classiques, qui continuent à penser à l'intériorité du poète qui doit obéir à une belle nature qui s'éloigne de la réalité quotidienne pour magnifier un ordre et une idéalité, - se présentent comme ceux qui, " au lieu d'une lyre à sept cordes de convention, utilisent les fibres même du cœur de l'homme", comme l'a écrit LAMARTINE dans sa Préface des Méditations Poétiques

L'emblème traditionnel de la mesure et du rythme s'efface ; le cœur doit s'exprimer sans la médiation d'aucune tradition, d'aucune convention. Est-il besoin de dire que cette présentation est d'autant plus polémique que LAMARTINE respecte beaucoup la forme qui était celle de ses prédécesseurs du XVIIIe siècle ? En fait, les poètes de l'époque se réclament d'une exigence intérieure, d'une spiritualité de l'être humain que les temps de la Restauration idéologique entendent souvent dans un strict sens religieux. L'évolution vers cette "modernité" correspond, en fait, au remplacement de l'oralité par l'écriture. Les assonances et la rime constituaient jusqu'alors des moyens mnémotechniques, des sortes de marques qui rythmaient la mémoire et l'échange verbal.

La poésie était alors d'abord chanson. Le cri de la nymphe amoureuse représente la revanche, chez les Romantiques, de la nature sur la fausse beauté ; car, pour eux, la beauté ne se trouve pas dans l'idéalisation, elle est l'exaltation du corps et du désir. CHENIER est d'abord, par ses ambitions philsophiques et didactiques, un poète de "son" siècle.

Dans "L'invention" de son Art poétique" il prononce la célèbre formule : –"Sur des pensers nouveaux faisons des vers antiques". Ceci doit être interprété comme une adhésion à l'idée du progrès intellectuel, tout en respectant le sens de la tradition formelle. Il est le poète même du néo-classicisme. Mais ses grands poèmes philosophiques qu'il a seulement ébauchés, dans "Hermes", par exemple, ou encore dans "L'Amérique" et qui, d'aventure, risquaient d'être des impasses, ont heureusement cédé la place, pour l'admiration de la postérité, et, surtout, de la génération romantique, au lyrisme des "Elégies" et des "Odes". La poésie trouve, enfin, un ton personnel. Mais les circonstances vont se charger, pour son bonheur et pour sa gloire, de susciter en elle des accents qui vont faire vibrer les formes convenues et mesurées dans lesquelles est enfermé son lyrisme. Ce n'est pas dans le prolongement d'une tradition exsangue, mais dans la diaspora des hommes et des idées, que fermente la future vigueur de la poésie.

L'esprit religieux revient en force. On sait l'importance politique et culturelle du "Génie du christianisme" (1802), apologie de la religion comme source de la poésie et de l'art, exaltation de la Nature et de la Création. NAPOLEON autorise de toute sa puissance cet esprit religieux à s'ériger de nouveau en idéologie officielle. Ce romantisme est indéniablement européen. L'Italie inspirera aussi bien BEYLE que LAMARTINE ou MUSSET. L'Espagne inspirera HUGO et GAUTIER, tandis que NERVAL retrouve dans la culture de la poésie allemande, le sens du mystère et le charme des traditions légendaires auxquels son âme aspirait.

Cette conversion culturelle va de pair avec la formation psychologique nouvelle qu'on appelle alors : "le mal du siècle", exacerbation du culte du Moi dont ROUSSEAU avait donné l'exemple. Les romantiques, sous la forme privilégiée de la poésie lyrique, ont développé et acquis une expérience individualisée, dont la seule sincérité garantit la qualité.

" – Ah ! frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie !" a dit MUSSET, montrant que le romantisme a produit "sa" révolution poétique plus par insistance que par invention. La vérité profonde de la sensibilité personnelle, le drame de l'individu incompris dans le monde et abandonné à son destin, avaient déjà eu pour figure exemplaire le ROUSSEAU des "Confessions".

Et HUGO, plus tard, se vantera d'avoir "mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire" et "foulé le bon goût de l'ancien français".

Mieux encore que CHATEAUBRIAND et que LAMARTINE, VIGNY représente ce "romantisme" "de droite", conservateur ou réactionnaire, métaphysicien et désespéré, qui s'opposa d'abord à un "romantisme" dit de "gauche", attiré par les idées libérales.

Mais le plus romantique, peut-être, de la génération, jusqu'à la complaisance caricaturale parfois, demeure MUSSET, car il existe un MUSSET à la fois pittoresque et plaisant, ou critique et pertinent, celui D'une soirée perdue, par exemple. Chez lui, le désespoir n'est qu'une pose ; il est le témoignage du déchirement de toute une génération. Comme LAMARTINE et VIGNY, MUSSET sera condamné à se survivre, après le retour en force des partisans du "classique", dans les années 1840.

C'est à Gérard DE NERVAL que revient de clore cette description du mouvement romantique. Il a retrouvé l'art de la forme dense, constellée d'images d'une poésie tout en profondeur, dont il a vécu simultanément les extrêmes jusqu'à la folie. Si son tragique destin scelle d'ironie l'ambition faustienne de son entreprise poétique, son œuvre demeure la manifestation la plus brillante de l'esthétique romantique.

Quelques poètes célèbres de cette époque :

André CHENIER (1762 – 1794)
Marceline DESBORGES VALMORE (1786 – 1859)
Alphonse DE LA MARTINE (1790 – 1869)
Alfred DE VIGNY (1797 – 1863)
Alfred DE MUSSET (1810- 1857)
Petrus BOREL ( 1809 – 1884)
Maurice DE GUERIN (1810 – 1839)
Xavier FORNERET (1809 – 1884)
Victor HUGO (1802 – 1885)
Gérard DE NERVAL (1808 – 1855)
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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyLun 8 Juin - 16:41

Une lecture passionnante !
L'évolution de la poésie en phase avec l'Histoire tout court.
Voilà qui aide à comprendre les différents mouvements artistiques au fil des siècles.

Je me souviens que c'est ce genre de lecture à propos de la philosophie replacée dans le contexte historique, qui m'a fait redécouvrir et aimer passionnément cette matière, alors que je l'avais trouvée plutôt rébarbative en classe de terminale.

Merci André, un régal de te lire !

Salut amical
Amarante



PS. Dans le cadre des jeux que tu proposes régulièrement autour de la prosodie, je me suis amusée à réécrire deux poèmes anciens en français moderne. J'aimerais les poster mais ne sais pas excatement dans quelle rubrique. Peux-tu me conseiller à ce sujet ?



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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 9 Juin - 10:25

La suite nous fait revivre nos lectures de la renaissance et le déroulement de la belle poésie !
Très agréable de mieux connaitre la belle aventure des siècles de poésie !
Merci André de nous avoir mâché et résumé ce parcours !
bis bibi2
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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 9 Juin - 12:12

Flamme a écrit:
La suite nous fait revivre nos lectures de la renaissance et le déroulement de la belle poésie !
Très agréable de mieux connaitre la belle aventure des siècles de poésie !
Merci André de nous avoir mâché et résumé ce parcours !
bis bibi2


Bonjour FLAMME,

La plupart du temps, ces articles didactiques sont assez longs et renvoient à des notes complémentaires, ce qui en rend la lecture assez fastidieuse.

J'ai désiré qu'il en soit autrement, en rendant cette lecture non seulement agréable et condensée, mais aussi en limitant l'exégèse à l'essentiel. Ajouter les noms de quelques poètes émérites qui ont marqué chacune de ces époques, permet de mieux les situer et de favoriser les recherches (ou les lectures) de leurs œuvres.

J'ai fait de mon mieux, sachant que rien n'est tout à fait parfait, tout en espérant que quelques membres intéressés par l'Histoire de la Poésie, viendront lire une partie ou l'ensemble de cette compilation.

MERCI pour tes encouragements, FLAMME et DE CHALEUREUX bibi2

Excellente journée.

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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 9 Juin - 12:33

Amarante a écrit:
Une lecture passionnante !
L'évolution de la poésie en phase avec l'Histoire tout court.
Voilà qui aide à comprendre les différents mouvements artistiques au fil des siècles.

Je me souviens que c'est ce genre de lecture à propos de la philosophie replacée dans le contexte historique, qui m'a fait redécouvrir et  aimer passionnément cette matière, alors que je l'avais trouvée plutôt rébarbative en classe de terminale.

Merci André, un régal de te lire !

Salut amical
Amarante



PS. Dans le cadre des jeux que tu proposes régulièrement autour de la prosodie, je me suis amusée à réécrire deux poèmes anciens en français moderne. J'aimerais les poster mais ne sais pas exactement dans quelle rubrique. Peux-tu me conseiller à ce sujet ?



Bonjour AMARANTE,

C'est une réelle satisfaction de recevoir une réponse aussi favorable et encourageante de ses pairs. Le sujet poétique est tellement vaste, qu'à moins de développer une étude sur de tes nombreuses pages dont l'intérêt de lecture serait aléatoire, j'ai préféré condenser chaque chapitre pour ne conserver que ce qui me paraissait indispensable.

Dans un souci d'aérer les articles sans trop les tronquer ni les rendre rébarbatifs, je me suis repris à plusieurs fois afin d'essaye d'offrir un condensé d'historique sans qu'en souffrent les principales informations.

Ton appréciation me laisser penser que je ne m'en suis pas trop mal sorti. Aussi, je te remercie vivement pour tes impressions, AMARANTE.

En ce qui concerne tes poèmes réécrits en français moderne, je pense que le meilleur salon pour les inclure est tout simplement : "VOS POÈMES". Il demeure l'endroit le plus consulté.

Je ne suis pas administrateur, mais je pense que FRIPOU ou FLAMME te suggèreraient la même chose.

En attendant le plaisir de découvrir ton nouveau travail poétique, je t'adresse, mes plus CHALEUREUX bisclig

Douce journée à toi.

CARPE DIEM

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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 9 Juin - 12:36



LES SIECLES DE LA POÉSIE (VIII)

Les Grand Initiateurs
(1848 - 1885)

Avec l'échec de la Révolution de 1848 qui sonne le glas des espérances messianique du romantisme politique, la génération suivante se voua à l'art pur, c'est-à-dire à l'art pour l'art. Son premier initiateur fut, sans conteste, Théophile GAUTIER, romantique par son goût de couleur locale et épris de rigueur formelle et de beauté plastique. Il opéra une conversion définitive avec son recueil majeur : "Emaux et Camées", en 1852.

BAUDELAIRE salue en lui le "parfait magicien ès lettres françaises". Il fut véritablement le premier à mettre un terme aux épanchements verbaux et sentimentaux du lyrisme romantique. Son poème "l'Art" est le premier manifeste à la nouvelle esthétique.

BAUDELAIRE (1821-1867) sera le grand témoin de cette exclusion de l'esprit par la matière. Poète essentiellement maudit par la société bourgeoise à raison même de son génie. Son souci de la forme, dont il va rechercher les secrets jusque chez les auteurs aussi anciens que MALHERBE, le garde de toute complaisance envers les effusions immédiates de son cœur mis à nu. Ses symboles imagés sont un parfait équilibre entre la sensualité et l'intellectualisme.

-"L'imagination seule contient la poésie" déclare-t-il.

Classique par le souci de la forme, romantique par la personnalisation de la sensibilité, BAUDELAIRE est pourtant bel et bien le premier poète moderne, celui qui a su rompre avec la thématique édulcorée de la tradition, cette idéalisation de la nature, exaltation de l'amour sentimental, à l'éternité immédiate du présent pur.

LECONTE DE LISLE, lui, est le plus doctrinaire et le plus méthodique aussi dans cette entreprise pour établir une esthétique radicalement et poétiquement nouvelle. Il dit adieu définitivement au lyrisme égocentrique du "romantisme". Comme GAUTIER, il se voue au culte de la beauté mais, influencé par l'idéologie positiviste de son époque ; il s'appuie, pour l'exalter, sur une documentation et une réflexion scientifique. Il se tourne vers les mythologies primitives ou orientales ; Poèmes Barbares) qu'il parcourt en un vaste mouvement syncrétique.

Théodore de BANVILLE est lui plus helléniste et médiéviste. Il s'attache moins aux images qu'aux formes, sculpturales et verbales. Il explore les diverses possibilités des formes poétiques. Il ouvre ainsi la voie par ses exercices de style, à la libération du vers qui sera menée à bien par VERLAINE, et par les Symbolistes.

Enfin, HÉRÉDIA, le plus jeune de ces trois chefs de file, est celui qui a illustré avec le plus d'éclat, l'idéal d'impersonnalité de l'Ecole Parnassienne": "(Les Trophées)".

Parnassien, VERLAINE ne l'est que pour la forme, dans ses tout premiers poèmes, et sa personnalité tourmentée l'éloigne bientôt du dogme d'impassibilité de ce mouvement. Son lyrisme douloureux l'apparenterait davantage à BAUDELAIRE. La poésie de VERLAINE est d'abord musique, vibration du Verbe, frémissement du rythme.

- "Je suis l'Empire à la fin de la décadence", disait-il.

Il ne faut oublier la présence constante, dans ce second demi-siècle de Victor HUGO, pendant et après son exil. Transformé par l'exil en homme qui songe, campé devant les gouffres de l'Océan et de la Mort, il est un "voyant" et, de BAUDELAIRE à RIMBAUD, son influence est reconnaissable sur les Grands Initiateurs de la poésie moderne.

RIMBAUD, le contemporain prodigieux de LAUTREAMONT, à une dette à l'égard de la poésie de HUGO. Ses premiers poèmes sont, avant tout, de brillants exercices de style, hommages implicites d'un auteur adolescent au "vieux maître".

Arthur RIMBAUD est l'initiateur de l'épopée du Verbe. Il désire créer une langue : - "Cette langue sera l'âme pour l'âme résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant", disait-il.

"Une Saison en Enfer" et les "Illuminations" sont l'illustration incomparable de ce génie créateur devant lequel le mythe trop complaisamment entretenu et affiché du héro déchu doit s'effacer. Son rythme traduit avec une infinie variété l'expérience démiurgique du "JE" à la recherche de l'Autre", car la marche en avant de RIMBAUD ne s'est pas arrêtée avec la destinées de l'homme, puisqu'elle guide encore les aventures merveilleuses de la poésie moderne.

Quelques poètes célèbres de cette époque :

Théophile GAUTIER ( 1811 - 1872)
Charles BAUDELAIRE (1821 - 1867)
Charles LECONTE DE LISLE (1818 - 1894)
Théodore DE BANVILLE (1823 - 1891)
José-Maria DE HEREDIA ( 1842 - 1905)
Victor HUGO ( 1802 - 1885)
Paul VERLAINE (1844 - 1896)
Tristan CORBIERE (1845 - 1875)
Germain NOUVEAU ( 1851 - 1920)
Isidore DUCASSE (dit : LAUTREAMONT) (1846 - 1870)
Arthur RIMBAUD ( 1854 - 1891)

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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 9 Juin - 14:06

André a raison Amarante, il est préférable de les mettre dans VOS POÈMES pour en profiter surement !
Si tu veux mettre un mot avant pour nous expliquer ton idée,n'hésite pas !
C'est un plaisir de voir toute la passion que tu portes à la poésie !
Grand merci de nous la partager.
amitie3
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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 9 Juin - 14:14

Je lis sans aucune difficulté ce cheminement de la poésie et cela grâce à toi André, les auteurs arrivent sur ce beau chemin en nous offrant leurs titres et leurs pensées pour cette belle discipline !
Nous suivons leurs idées en comprenant mieux leur état d'esprit !
Encore merci; une belle promenade que nous faisons ensemble !
bis calinchat
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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 9 Juin - 19:32


Alors, complètement rassuré, je peux sans aucune appréhension continuer la démarche.

merci2 FLAMME

Douce soirée à vous deux et GROS bibi2 de nous 3.

PS - Nous avons eu un gros orage sur Marseille il y a environ une heure, et le ciel s'obscurcit de plus à plus, à nouveau. Je pense qu'il ne va pas tarder à y avoir un nouvel orage.

Quel temps fait-il à Bordeaux ?

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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMer 10 Juin - 12:26

LES SIECLES DE LA POÉSIE

DE LA DÉCADENCE À LA MODERNITÉ (IX)
1885 – 1910


Dans le domaine des "idées générales" le positivisme, philosophie dominante en France dans les décennies précédentes, se voit opposer un non retour du spiritualisme et du mysticisme chrétiens dans les élites intellectuelles, avec de nombreuses conversions chez les écrivains et les poètes. Les ouvrages du philosophe BERGSON, par exemple, "Essai sur les données immédiates de la conscience" (1889), ainsi que "Matière et Mémoire"(1906), prônent la supériorité intuitive sur la réflexion rationnelle. Le développement des sciences et des techniques s'appuie, à cette époque, sur les découvertes importantes qui vont non seulement transformer le paysage industriel, la vie urbaine, mais aussi les modes de transport et de communication. Un plus grand confort en quelque sorte, dont la civilisation subit une véritable mutation dont nous recevrons l'héritage au XXe et au début du XXIe siècles.

Dans un tel climat d'effervescence, les deux dernières décennies du siècle voient naître un mouvement dont les propos et les contours sont assez mal définis, en réaction à la fois contre le naturalisme, le positivisme et le matérialisme. La jeune génération revendique l'étiquette du "décadisme" et, un peu plus tard, du "symbolisme". Elle se présente comme un collectif, héritière tardive du romantisme. Presque tous, en effet, se réclament de NERVAL, de GAUTIER, de BANVILLE, mais surtout de BAUDELAIRE, et se regroupent autour de Stéphane MALLARMÉ qui les accueille dans son appartement de la rue de Rome, à Paris, tous les mardis. Ils sont ainsi une bonne douzaine de poètes, mais aussi de peintres de la nouvelle génération. Dans une moindre mesure, Paul VERLAINE fait aussi figure de chef de file. Son fameux : "Je suis l'Empire à la fin de la décadence", définit le climat nouveau qui s'instaure. Tous ces artistes refusent une société, voire une civilisation que le progrès scientifique et technique enlaidit et dégrade à leurs yeux. En réaction contre ce monde, ils veulent "substituer le rêve de la réalité à la réalité même". (HUYSMANS)

Naît ainsi un farouche individualisme en rapport, il est vrai, avec certaines thèses anarchiques. Si beaucoup nourrissent un mépris profond pour le vulgaire en affirmant avec ostentation leur élitisme, d'autres se montrent plus "révolutionnaires" en stigmatisant autant que possible la religion. Les idées-fortes des "libertaires" sont aussi dans l'air du temps.

Un peu comme BAUDELAIRE, les poètes symbolistes cherchent à déceler, au-delà de l'apparence du monde sensible, l'essence même des êtres et des choses. Ils se montrent particulièrement attentifs aux relations analogiques entre la "sonorité des mots", les "couleurs" et les "parfums". Ainsi pensent-ils accéder secrètement à cette harmonie qui existe entre la Nature et l'Homme. Mais, à cette époque on est aussi très versé dans l'occultisme et le spiritisme.

Les cabarets et les revues fleurissent et ont un rôle de première importance dans ce mouvement de fin de siècle. À Montmartre comme au Quartier Latin, se répand une nouvelle bohème. Le salon de Nina de VILLARD accueille Léon BLOY, Charles CROS, Leconte de LISLE, Catulle MENDÈS ou encore MALLARMÉ.

Ailleurs, naissent des réunions, sérieuses ou bouffonnes, comme celles des "Hydropathes", fondées par Émile GOUDEAU, en 1878, dont Laurent TAIHADE donna une touche très…Gasconne. Émile GOUDEAU fut très lié à Rodolphe SALIS, le patron équivoque du célèbre "Chat Noir" (dont j'ai eu l'occasion de parler dans un article consacré à ce cabaret).

Malgré leur existence éphémère, la plupart de ces groupes ou ces lieux de rencontres furent, comme les "Zutistes" de Charles CROS, un ferment de création ou l'humour, la fable express et la dérision n'excluaient pas l'inquiétude. Il est à noter qu'une génération entière devait recueillir les pensées de MALLARMÉ et puiser en elles son audace. Ses disciples récitaient leurs vers et attendaient l'approbation ou la critique du Maître. Comme je l'ai mentionné plus haut, le spiritisme était de mode. Son rôle n'est pas à négliger dans la poésie symboliste.

- "Tout vrai poète est un Initié", rappelle Charles MORICE. La lecture des grimoires éveille en lui d'étranges secrets dont il avait toujours eu la connaissance virtuelle.

C'est donc la quête de l'insondable, la recherche du mystère, l'exploration du "centre mystérieux de la pensée" (GANGUIN) à laquelle participa un poète de renom tel qu'Henri de RÉGNIER. Toutefois, peut-être, y avait-il danger dans la confusion possible entre la voyance du poète, l'écriture automatique, telles que RIMBAUD les avaient entendues, et la boule de cristal, entre un travail intérieur visant à la connaissance de soi et du monde, et les sciences occultes, vague religiosité mystique.

En 1885, il y avait, certes, des décadents et des symbolistes, mais davantage de décadents et peu de symbolistes. On parlait de "symbole", mais le mot générique de "symboliste" n'avait pas encore été créé. Ce n'est que le 10 avril 1886 qu'Anatole BAJU fit paraître dans "Le Figaro" son "Manifeste décadent", dans lequel il écrivait notamment : - "L'avenir n'est pas au décadisme".

Le 18 septembre de la même année, dans le même "Figaro", Jean MORÉAS publia son "Manifeste du Symbolisme", un texte assez prétentieux, volontairement obscur, reflet de l'opportunisme de son auteur.

Le 10 janvier 1987, Saint Georges de BOUHÉLIER, publiait, toujours dans le même journal, son "Manifeste de l'Ecole Naturaliste" où le cosmopolitisme du symbolisme était vertement attaqué. La xénophobie et le nationalisme furent plus nets encore dans l'Humanisme, école fondée par Fernand GREGH, dont le manifeste parut, toujours dans "Le Figaro", en décembre 1902. – "Nous voulons une poésie qui dise l'homme, et tout homme, avec ses sentiments et ses idées, et non seulement ses sensations, ici plus plastiques, là plus musicales", écrira GREGH.

À partir de 1905, le "symbolisme" sombrera en "décadence". La poésie s'ouvrit sur "la vie".

Dans "Le Figaro" daté du 20 février 1909, MARINETTI proclamait dans son "Manuel du Futurisme" : - "Nous renions nos maîtres symbolistes, derniers amants de la lune".

Quelques poètes célèbres de cette époque :

Stéphane MALLARMÉ (1842-1898)
Charles CROS (1842-1888)
Joris-Karl HUYSMANS (1848-1907)
Laurent TAILHADE (1854-1919)
Gustave KAHN (1859-1936)
Jules LAFORGUE (1860-1887)
Saint-Pol ROUX (1861-1940)
Henri de RÉGNIER (1864-1936)
Francis JAMMES (1868-1938)
Alfred JARRY (1873-1907)
Raymond ROUSSEL (1877-1933)


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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyLun 29 Juin - 19:39


LES SIECLES DE LA POÉSIE (IX)

LE MODERNISME (X) - 1
1909 – 1924

À partir de la crise du Symbolisme apparue en 1895, il faudra attendre plus de dix ans pour qu'une nouvelle génération trouve et impose une véritable voie ainsi qu'une vision nouvelles à la poésie. Ceci est caractéristique aux balbutiements des petites écoles qui éclosent et disparaissent presque aussitôt. Au centre de cette confusion de l'esprit revient souvent l'appel assez naïf à "la vie". Or, la vie, telle que la concevaient les jeunes poètes de l'époque, s'oppose au rêve tel qu'il fut abondamment illustré par les symbolistes. Quelques noms émergèrent, dans cet imbroglio, tels que ceux de Saint-Georges de Bouhelier, Ferdinand Grergh, mais on ne savait pas bien vers quoi devaient déboucher leurs revendications tapageuses, confuses, s'appuyant sur des concepts aussi variés que "l'univers, les individus, la société, la nature, l'art humain" ou encore le "Génie national".

Mais ces jeunes poètes du moment sont la préfiguration de ce que cette nouvelle génération veut à présent "substituer au rêve de la réalité en la réalité même". Après avoir de très longues années refusé d'ouvrir les yeux sur le monde, enlaidi et dégradé, à leur idée, par les techniques nouvelles, les poètes vont, soudainement, s'en émerveiller, comme semblant sortir d'un long songe. La réalité qui tout à coup s'offre à eux, va les plonger dans une frénésie totale, une sorte de ferveur quantitativement proportionnelle à la durée et à l'intensité du prétendu sommeil de leurs aînés.

On chante les prouesses du monde moderne. Autrement dit, ce qui préside, au fond, à la disposition d'esprit de ce temps, à l'humeur de l'époque, et qui est bien la surprise. Ce réveil brutal va produire un choc immense. En effet, en 1909, toujours dans le très accueillant "Figaro" paraît "Le manifeste futuriste" de E. T Marinetti, où l'ont peut lire, notamment :

[…]"Nous voulons chanter l'amour du danger, l'habitude de l'énergie et de la témérité. Les éléments essentiels de notre poésie seront le courage, l'audace et la révolte…[…] nous sommes sur le promontoire extrême des siècles…[…] nous voulons glorifier la guerre – seule hygiène du monde – le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme. Nous voulons démolir les musées, les bibliothèques, combattre le moralisme, le féminisme et toutes les lâchetés opportunistes et utilitaires…"[…]

Nous l'aurons compris, il s'agissait, désormais, pour les poètes de chanter les merveilles du monde industriel et technique qui venait de naître. Même Henri de Régnier ne saura s'insérer à ce siècle, lui pourtant en avance sur son époque et qui déclarait : "Le meilleur moyen de savoir ce que veulent les poètes de demain est encore de savoir ce qu'ils reprochent à la poésie d'hier…[…] ils ne veulent pas chanter l'homme en ses symboles, ils veulent l'exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments…"

Mais les poètes qui avaient cru voir dans la guerre le moyen de faire définitivement table rase du vieux monde, piétinaient dans la mitraille et le sang. Ces inconditionnels de la modernité se réveillèrent mal du choc provoqué par la rencontre brutale d'une réalité qu'ils avaient faussement estimée. Loin d'être une ère qui s'ouvre, c'est un monde qui s'écroule ! La plupart de ces artistes ayant survécu à la Grande Guerre, ne s'en remettent pas. Il suffit d'évoquer la grande figure d'Apollinaire qui, ayant cru déceler dans la guerre, de la poésie, fut trépané, et mourut deux jours avant l'armistice, ou bien encore Cendrars qui fut mutilé, ou encore de Marinetti coulant à pic sous le signe du compromis et de l'engagement avec le fascisme.

À la génération des poètes nés dans les années 1880, de Marinetti à Reverdy succéda une génération qui n'a rien connu de la vie avant la guerre, cette guerre qui fut pour eux un bien sale contact, mais sut agir comme un véritable révélateur. Ces jeunes poètes qui n'avaient pas chanté la guerre furent saisis par la profonde absurdité des valeurs qui s'écroulèrent dans la boucherie des nations.

Le "Dadaïsme" fut l'aboutissement de l'état d'esprit d'individus désespérés par la destruction des hommes et du monde, et ne croyant plus à rien de stable ni de permanent. Et, tandis que Dada évoluait de son côté en se dégageant des influences du cubisme et du futurisme, à Paris, le groupe formé initialement par Aragon, Philippe Soupault et André Breton autour de leur revue appelée par esprit de dérision "Littérature", était animé de la même révolte, et devait accueillir, en 1920, Tristan Tzara, que sa réputation avait largement précédée.

Quelques poètes célèbres de cette époque :

Filippo Tomaso MARINETTI (1876-1944)
Max JACOB (1876-1944)
Victor SEGALEN ( 1878-1919)
Guillaume APOLLINAIRE (1880-1918)
Valéry LARBAUD (1881-1957)
Blaise CENDRARS (1887-1961)
Pierre REVERDY (1889-1960)
Jean COCTEAU (1889-1963)
Tristan TZARA (1896-1963)




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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 30 Juin - 8:39

Comme on dit tout ce qui est nouveau est beau...et les poètes qui se réveillent pour adorer le monde industriel, la technique et allant jusqu'à trouver que la guerre est la seule hygiène du monde !
Dès qu'elle est venue en 1914, ils ont compris l'horreur de ce qu'ils glorifiaient ! Les fausses idées meurent au contact de la réalité !

Toujours très intéressant de nous parler de ce cheminement de la poésie durant notre passé.
Grand merci André, c'est fort gentil à toi de nous déposer ces lectures pour mieux connaitre toutes les façons de voir les tendances de nos anciens poètes.
bis à vous 3.
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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 30 Juin - 11:14

Flamme a écrit:
Comme on dit tout ce qui est nouveau est beau...et les poètes qui se réveillent pour adorer le monde industriel, la technique et allant jusqu'à trouver que la guerre est la seule hygiène du monde !
Dès qu'elle est venue en 1914, ils ont compris l'horreur de ce qu'ils glorifiaient ! Les fausses idées meurent au contact de la réalité !

Toujours très intéressant de nous parler de ce cheminement de la poésie durant notre passé.
Grand merci André, c'est fort gentil à toi de nous déposer  ces lectures pour mieux connaitre toutes les façons de voir les tendances de nos anciens poètes.
bis à vous 3.


Bonjour FLAMME,

Il s'agit d'un condensé, suffisamment explicite, je crois, pour comprendre les différentes époques, et pas trop conséquent pour devenir vite fastidieux. Il faudrait presque l'importance d'un livre pour chaque période.

J'ai fait en sorte d'aller à l'essentiel pour conserver une lecture plaisante et non figée.

UN GRAND MERCI, FLAMME.

DE CHALEUREUX  bibi2

CARPE DIEM


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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyMar 30 Juin - 11:18


LE NÉO-CLASSIQUE (XI) - 2
1891 – 1945

En septembre 1891, et en réaction contre le symbolisme, Jean Moréas crée l'École romane. Il convient de rappeler qu'à cette époque la poésie française est en crise ; le poème en prose ayant bousculé de façon significative le lyrisme traditionnel, juste la même année où meurt Rimbaud, pour ne rien arranger à la chose.

Mallarmé, lui, est au faîte de sa gloire, tandis qu'Apollinaire et Marinetti sont à l'œuvre dans l'avancée vers la modernité. Mais la poésie n'en est pas pour autant engagée sur une voie unique, bien au contraire, car, à cette aube du XXe siècle, se manifestent trois poètes, et non des moindres, qui vont mettre leur expérience commune au service d'un néo-classicisme qu'ils désirent maintenir. Il s'agit de Paul Valéry, Paul Claudel et Charles Péguy. Ils sont tous trois désireux de respecter les règles traditionnelles de la versification française, telles qu'instituées par les grands Initiateurs : métrique, césure, rythme, et rapport des sonorités. Certes ces règles seront un peu assouplies et nuancées par nos trois poètes.

Valéry affirmait qu'ayant rejeté "non seulement les lettres mais encore la philosophie presque tout entière", il essayait de se limiter à ses propriétés réelles… Mais qu'il était "tout aussi respectueux de son désir infini de netteté".. Il avait le mérite de fixer les idées. "La bêtise n'est pas mon fort", écrivait-il dans les premières lignes de son livre : "La soirée avec Monsieur Teste". Admirable litote, en vérité, pour ce prince de l'intelligence que fut le poète et philosophe Paul Valéry. Pourtant, on a pu parler d'un échec chez Valéry : celui de n'avoir jamais su se "fixer", précisément, sur l'œuvre à accomplir.

À tenter de concilier classicisme et lyrisme, Valéry est ainsi parvenu à ce qu'on pourrait appeler un lyrisme abstrait, un peu comparable, en poésie, à ce que l'on nomme de nos jours, en peinture, l'abstraction lyrique.

À l'égal de Valéry, Paul Claudel a été influencé par Mallarmé ; mais surtout par Rimbaud. On retrouve dans son œuvre, cette tentation obsédante à essayer d'élucider le monde dans sa totalité en le réconciliant à l'esprit. Il n'hésitait pas à déclarer : "La poésie est l'effet d'un certain besoin de faire, de réaliser avec les mots l'idée qu'on a eue de quelque chose." Pour lui, si la parole entre en action, c'est de façon discontinue ; elle progresse selon un flux et un reflux, selon des battements et des ruptures, avec des temps forts et des temps faibles. La poésie de Claudel trouve toute sa dimension et son éloquence avec : "Les Cinq Grandes Odes" (publiées en 1911). Claudel peut-il être qualifié de néo-classique, lui qui fut l'Inventeur, selon ses propres termes, du Verset qui n'a ni rime, ni mètre, et qui écrivit, surtout, en prose ?

Dans une certaine mesure, assurément. Il serait, cependant, plus adéquat de voir en lui un baroque, une sorte de pré-classique ayant mis au point un "mode d'expression" aussi singulier que peuvent l'être le poème en prose rimbaldien, le verset de Saint-John Perse ou encore celui de Péguy. Qu'il ait ou non de descendance, Paul Claudel continue néanmoins à peser d'un certain poids dans la poésie française.

Quant à Charles Péguy, né deux ans après Valéry et cinq ans après Claudel, il est donc leur exact contemporain. Il ne connaît ni leur longévité ni leurs honneurs puisqu'il sera tué d'une balle en plein front aux premiers jours de la Grande guerre, âgé d'à peine quarante et un ans.

Péguy a été l'homme du combat chrétien, pour sa foi du socialisme, pour la dignité humaine, et de l'intellectuel humanisme pour la justice et la vérité. Il fut le principal animateur des "Cahiers de la quinzaine" auxquels participeront ses amis Romain Rolland, Anatole France et Daniel Halévy, entre autres, durant les années 1900 à 1914, autrement dit jusqu'au début de la première guerre mondiale. Pour lui, le monde à toujours été corrompu, et c'est en véritable croisé, mêlant tour à tour foi chrétienne et foi socialiste, que Péguy accomplira, jusqu'à son dernier souffle, le destin qu'il s'était choisi : vouloir rendre le monde meilleur et plus équitable pour tous.

Son œuvre mêle charnel et spirituel dans une quête mystique de l'absolu. Sa devise aurait pu être : Terre, Patrie, Foi... Il écrivit beaucoup de poèmes consacrés à Jeanne d'Arc. Issu d'un milieu modeste, il fut élevé dans des conditions matérielles difficiles. Il a laissé davantage d'œuvres en prose qu'en poésie. Il était également essayiste et critique.

Quelques poètes célèbres de cette époque :

Paul VALERY (1871-1945)
Paul CLAUDEL (1868-1955)
Charles PÉGUY (1873-1914)



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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyVen 3 Juil - 19:20


LE SURRÉALISME (XI) - 3
1924 – 1969

Le Surréalisme littéraire et poétique, contrairement à ce que l'on serait facilement tenté de croire, n'est pas issu de Dada, mais de bien plus loin. Il faut, pour lui trouver une origine, remonter au moins jusqu'au Romantisme allemand pour se cantonner à un panorama purement littéraire, et sans doute bien en-deçà dans l'histoire, peut-être même à ce qui préside à la genèse de l'humanité, à savoir la langue, puisque le langage a été donné à l'homme pour qu'il en fasse un langage "surréaliste" d'après la réflexion qui en est faite par André Breton.

Benjamen Peret a, pour sa part, écrit dans un de ses ouvrages : "S'il est indiscutable que l'invention du langage, produit automatique de besoin de mutuelle communication des hommes, tend d'abord à satisfaire ce besoin de relation humaine, il n'en est pas moins vrai que les hommes empruntent pour s'exprimer une forme toute poétique dès qu'il sont réussi, d'une manière purement inconsciente, à organiser leur langage, à l'adapter à leurs nécessités les plus pressantes et ont senti toutes les possibilités qu'il recèle. En un lot, aussitôt satisfait, le besoin primordial auquel il correspond, le langage devient poésie".

Sans Dada, quoi qu'il en soit, le Surréalisme eût été sans doute différent. Du moins on peut le penser. Ce Surréalisme, avant d'inspirer les poètes à qui il servit de tremplin pour exorciser les provocations gratuites et parfois négatives, infléchi par l'arrivée de Tzara désirant dépasser ce nihilisme qui portait en lui-même sa propre condamnation, malgré qu'André Breton dans ses "Entretiens" y voyait une certaine violence héroïque nécessaire à un renouvellement des moyens qui s'imposaient, a revêtu essentiellement le caractère d'une expérience sur le langage. Ce fut le procès de Maurice Barrès, organisé par les Dadaïstes sur l'initiative de Breton, et contre l'avis de Tzara, le 13 mai 1921, qui entraîna le fin de Dada faisant apparaître un sens éthique à la révolte : il s'agissait de faire le "procès" d'un homme jugé responsable de "trahison à la sûreté de l'esprit.

Irréductible et incorruptible théoricien du Surréalisme, André Breton lui est resté fidèle jusqu'à sa mort survenue le 28 septembre 1966. Il y a chez lui, comme une traduction surréaliste, c'est-à-dire essentiellement onirique, des thèmes romantiques, baudelairiens ou symbolistes. Mais la révolte surréaliste entreprise par Tzara a sans doute libéré le lyrisme en autorisant une écriture plus libre, plus lisse, et, finalement, plus simple. De cette liberté du langage, du cœur et de l'imagination, il n'est pas d'exemple plus pur que la poésie d'Eluard véritable porte parole de la tendresse précaire et pathétique. Ses poèmes : "Dormeur", "L'amoureuse" ou encore "Armure de Proie" en sont de parfaites illustrations. Rares sont les domaines de la vie culturelle qui aient échappé à l'activisme passionné du Surréalisme qui domine l'histoire de la sensibilité du XXème siècle et de ce début de XXIème siècle. Appel aux puissances de la vie inconsciente, de l'imagination et du rêve, identification de la science avec la poésie, de la littérature avec la vie. Il s'agit, en fait, d'une psychanalyse envisagée dans son pouvoir critique plus que thérapeutique. Un ésotérisme pratiqué sans transcendance, un matérialisme contesté par le hasard objectif. Les Surréalistes désirèrent explorer l'inconscient, la folie, les états hallucinatoire. Ils ne méprisent pas le spiritisme, étudient les formes médiumniques. Dans le "Manifeste" de 1924, le Surréalisme est défini comme "un automatisme psychique pour par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soir par écrit, le fonctionnement réel de la pensée". Peut-on, dans ces conditions, et au regard de ces critères, définir le Surréalisme comme une philosophie ? Je pense qu'à l'exception, peut-être, de Gérard Legrand, les Surréalistes n'ont pas été, et ne sont pas des philosophes au sens classique de ce mot. Il existe dans la pensées des Surréalistes de nombreuses contradictions : le merveilleux est à la fois vécu et contemplé, le désespoir demeure source d'espérance, tout comme la folie n'exclut pas la lucidité. On pourrait donc leur reprocher d'avoir accepté ces contradictions sans essayer de les résoudre sur le plan conceptuel. Ils vivent tous ces états portant ainsi le témoignage de toutes les exigences contradictoires de l'homme, ne les expliquant pas et ne les comprenant pas au sens philosophique de ces mots. Sans doute pourrait-on trouver une explication hégélienne aux oppositions intérieures au Surréalisme. Mais le propos dépasserait le simple cadre de cette étude sur "les siècles de la poésie", et s'en écarterait par l'aspect purement métaphysique. Alors que Hegel dénonce la pauvreté radicale de l'immédiat et de ce dont l'évidence est seulement sentie, le surréalisme procède à un perpétuel retour à l'en-deçà, à l'expérience immédiate.

Il peut apparaître paradoxal que les poètes qui se rassemblèrent sous l'étiquette du Surréalisme, tels que Soupault, Breton, Aragon, Eluard, Péret, Baron, Crevel, Desnos, ou encore Limbour, Morise et autres Naville et Vitrac, n'eurent pas, en s'engageant dans ce qui allait devenir le "Surréalisme", le désir de fonder une "nouvelle école". Leurs préoccupations, somme toute, étaient de nature extra-littéraires. Il ne s'agissait pas de faire du "Beau", mais de viser avant tout à la "Connaissance". C'est sans doute la raison pour laquelle il n'y a pas de canons surréalistes, pas plus que de "style surréaliste", au sens où l'on peut parler de "style parnassien" ou "symboliste". La poésie surréaliste, pour parfaitement situable qu'elle soit, ne constitue pas, dans le vaste monde de la poésie, un domaine réservé. La poésie surréaliste n'est pas d'essence différente de celle de toute poésie authentique.

Quelques poètes célèbres de cette époque :

Paul ÉLUARD (1895-1952)
André BRETON (1896-1966)
Antonin ARTAUD (1896-1948)
Louis ARAGON (1897-1982)
Benjamin PÉRET (1899-1959)
Robert DESNOS (1900-1945)
Jacques PRÉVERT (1900-1977)
Michel LEIRIS (1901-1990)
René CHAR (1907-1988)
René DAUMAL (1908-1944)
André Pieyre De MANDIARGUES ( 1909-1991)
Aimé CÉSAIRE (né en 1912)
Roger CAILLOIS (1913-1978)
Joyce MANSOUR (1928-1987)
Jean-Pierre DUPREY (1930-1959)


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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptySam 4 Juil - 9:40


DU SURRÉALISME À NOS JOURS

Avec ce volet nous abordons la dernière partie de ces onze siècles de la Poésie. Si le surréalisme disparût quasiment avec la mort de son principal chef de file, en la personne d'André Breton, ayant constitué un mouvement qui s'est étendu sur un peu plus d'une quarantaine d'années, il est bon de rappeler qu'il est né d'un constat : l'écher du Rationalisme et d'un acquis scientifique emprunté à la psychanalyse, entraînant les poètes à essayer de démontrer l'existence du surréel. Ces écrivains se sont efforcés de démontrer le rôle majeur que l'on pouvait tirer de l'exploration du subconscient et par le moyen de l'écriture automatique.

L'éclat récent de ce mouvement littéraire et poétique a donné naissance à une nouvelle poésie, dès le milieu du XXe siècle. Tels un Jean Jouve, qui récuse la pratique de cette "écriture automatique", préférant mêler à un érotisme tourmenté : violence et amour dans un effort intense et désespéré pour élever l'être humain, charnel et misérable, à la spiritualité ; ou encore un Francis Ponge faisant des choses les objets de ses pensées, le tout teinté d'une visée assez provocatrice. Il utilise des images primitives, des vérités originelles, miroirs de notre société sans fards. Se voulant rompre avec la tradition lyrique et psychologique qui, selon lui, correspond à un humanisme étriqué et obsolète, il redécouvrira "la" poésie par le détour de la prose, et la beauté, par le biais de l'humour, du merveilleux, dans une application la plus neutre et la plus exacte possible, par "l'objet". Il convient de citer Léon-Paul Fargue qui mena, dès son adolescence, une vie de bohème, et fréquenta, très jeune, les "mardi" de Mallarmé. Un incorrigible noctambule, habitué de Montmartre, et qui fut frappé d'hémiplégie, en 1943.

Saint-Joseph Perse, tout comme Jules Supervielle ou encore Henri Michaux furent des poètes voyageurs, des sortes de surréalistes dans l'atmosphère ; leur quête spirituelle dans ce "merveilleux familier", à la fois intemporel et intimement personnel, les éloignant de toute identification collective. Ils arpentèrent les couloirs à la recherche de la vérité existentielle de toute l'espèce humaine.

Après cet éclatement moderne de la poésie, commencé avec Marinetti, Apollinaire et Dada, poursuivi par le surréalisme, et tandis que le monde entrait insidieusement en guerre, en 1939, beaucoup de ces poètes en payèrent le prix fort. Max Jacob, Desnos, Fondane, Saint-Pol Roux, Jean Cassou, André Frénaud, Robert Mallet, Jean Grosjean, et beaucoup d'autres, y perdront la vie, souffriront dans leur chair et iront en déportation.

Voilà donc, au seuil de la seconde guerre mondiale, des poètes de tous horizons, de tous bords, qui vont commencer à s'organiser pour garder la parole et répandre leurs idées. De nombreuses revues se créent, telles "Les poètes casqués", "Les cahiers du Sud", de Jean Ballard, à Marseille, ou encore "Messages" de Jean Lescure, pour le Nord. Ces publications engagées, tout au long des hostilités, seront de véritables tremplins, des tribunes importantes où la voix des poètes maintiendra le cap de l'honneur et de la dignité nationale. Il en résulte une activité poétique intense, s'orientant dans des directions les plus diverses. Elle résulte davantage d'expériences et d'itinéraires individuels que de véritables écoles littéraires, ou de courants structurés.

Jean Cassou, en 1944, gravement blessé par les Allemands, recevra sur son lit d'hôpital, et des mains du général de Gaulle, les insignes de Compagnon de la Libération, tandis qu'André Frènaud s'engagera activement dans la Résistance aux côtés de Paul Éluard.
Dans la poésie de ces écrivains sont exprimés toute la détresse, les déchirements et les interrogations de l'homme dans un siècle confronté au péril atomique. Alain Bosquet publiera son premier recueil de poèmes : "La vie est clandestine" (1945). Jean Tardieu, poète et dramaturge, publie, entre 1939 et 1961, de nombreux ouvrages, tout comme Raymond Queneau, dans un registre de poésie ludique et corrosive, mêlant forme classique et absolue liberté du langage.

Avec le retour de la paix, ce qui avait pu réunir des poètes de sensibilités différentes ou proches au nom d'un idéal et de sensibilités différentes ou proches, au nom d'un idéal et d'un projet communs, perdait du même coup sa raison d'être. Chacun, de ceux qui avaient survécus à la tourmente, reprit son chemin d'homme et de poète.

Aujourd'hui, la poésie continue d'avancer, selon des trajectoires multiples, à égale partie entre les partisans du "classique" et de ses règles établies par les grands Initiateurs, et la poésie "libérée", voire "ultra-libérée", à mi-chemin de la prose poétique. Les notions de "groupe" ou de "mouvement" semblent avoir vécu. La poésie, depuis ces dernières années, se caractérise par une certaine humilité. Elle ne propose plus de changer la vie, comme le rêvaient Rimbaud et les surréalistes. Elle est une autre façon de dire le monde. Tant que des êtres feront de leur langue le véritable lieu de culte de leur existence, la poésie subsistera : celle de toutes les époques.

Quelques poètes célèbres de cette époque, jusqu'à nos jours :

Oscar Vladislas De LUBICZ-MILOSZ (1877-1939)
Léon-Paul FARGUE (1876-1947)
Saint-John PERSE (1887-1975)
Jules SUPERVEILLE (1884-1960)
Pierre Jean JOUVE (1887-1976)
Henri MICHAUX (18999-1984)
Francis PONGE (1899-1988)
ARAGON (1897-1982)
Jean CASSOU (1897-1986)
Jean TARDIEU (1903-
Raymond QUENEAU (1903-1976)
André FRÉNAUD (né en 1907)
Patrice de la TOUR du PIN (1911-1975)
Max-Pol FOUCHET (1913-1981
Jean ROUSSELOT (né en 1913)
Luc BÉRIMONT (1915-1983)
Ronert MALLET (né en 1915)
Pierre EMMANUEL (1916-1984)
Alain BOSQUET (né en 1919)
René-Guy CADOU (1920-1951)


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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyDim 12 Juil - 15:14

Que d'idées soutenues et changées durant ces siècles !!!!
Je ne trouve pas que l'on peut parler de poème quand les vers ne riment pas, ce sont de belles proses, certes avec des accents poétiques si cela est agréable à lire avec quelques jolies métaphores...mais de donner le nom de poème quand il n'y a ni forme suivie, ni rimes, est pour moi inconcevable !
Bien des écrits libres de toutes contraintes se disent des poèmes par leurs auteurs...je regrette mais je souligne que ce sont des proses, et souvent hélas, nullement poétique !!!
Combien de soit-disant poète en mettant 3 ou 4 mots les uns après les autres se considèrent poètes et en pètent d’orgueil !!! Pffffffff
Bon, j'arrête mon discours car les poètes sont très rares...on le constate dans les forums...quand on a quelques membres qui touchent par leur création, on peut en être heureux !

Merci André pour ce travail soigné et recherché pour nous donner une idée concise, et abordable, de tout le cheminement de la poésie jusqu'à nos jours !
bis petitbis
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André Laugier

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MessageSujet: Re: Les siècles de la poésie (Étude)   Les siècles de la poésie (Étude) EmptyLun 13 Juil - 12:44

Flamme a écrit:
Que d'idées soutenues et changées durant ces siècles !!!!
Je ne trouve pas que l'on peut parler de poème quand les vers ne riment pas, ce sont de belles proses, certes avec des accents poétiques si cela est agréable à lire avec quelques jolies métaphores...mais de donner le nom de poème quand il n'y a ni forme suivie, ni rimes, est pour moi inconcevable !
Bien des écrits libres de toutes contraintes se disent des poèmes par leurs auteurs...je regrette mais je souligne que ce sont des proses,  et souvent hélas, nullement poétique !!!
Combien de soit-disant poète en mettant 3 ou 4 mots les uns après les autres se considèrent poètes et en pètent d’orgueil !!! Pffffffff
Bon, j'arrête mon discours car les poètes sont très rares...on le constate dans les forums...quand on a quelques membres qui touchent par leur création, on peut en être heureux !

Merci André pour ce travail soigné et recherché pour nous donner une idée concise, et abordable, de tout le cheminement de la poésie jusqu'à nos jours !
bis  petitbis


Eh oui ! c'est là où le bât blesse... et souvent ça fait mal. Il faut partir du principe qu'il n'y a rien à expliquer dans un poème : on peut simplement le recevoir et recevoir l'émotion qu'il communique. La prose est faite pour les idées, la poésie pour la musique et la beauté seules. Les mots sont puissants, ils peuvent produire de belles œuvres... mais ils peuvent aussi détruire une création si l'écriture se réduit à l'état de moyen au service d'une cause qui le dépasse.

Oui, il ne s'agit pas d'assembler des mots, anarchiquement, en disant que la liberté de la poésie moderne c'est l'abolition de toute servitude pour inspirer une image ou un groupe de vers. Toujours, de la versification, il nous faut passer à la poésie. Bien des poètes modernes oublient l'essentiel : la culture. Or, les règles codifiées, après bien des tâtonnements, par nos aînés, font partie de cette culture.

Heureusement qu'il existe encore de véritables poètes qui ne se laissent pas ensorceler par la trompeuse attirance des apparences ou par une écriture approximative en se qualifiant comme la "new wave" d'une génération révolutionnant une poésie qui reste souvent, malheureusement, figée dans le puzzle et l'incompréhensible.  Comme disait Gilles SORGEL : "Soyons simples, clairs et concis : restons lisibles ! Laissons la trompeuse attirance d'une recherche de linguistique froide et figée aux intellectuels d'avant-garde qui se torturent et se minent l'esprit, tout en se croyant l'élite d'aujourd'hui, alors que demain, sans remords, les oubliera".

DE GROS  bibi2 FLAMME.

Excellente journée.
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