PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
L'UNANIMISME
Il s’agit d’une doctrine poétique née d’une école littéraire essentiellement représentée par Jules Romains et Georges Chenneviève.
L’unanimisme se caractérise par un système assez complexe, redéfinissant tout autrement les rimes masculines et les rimes féminines, retrouvant l’assonance avec des rimes mixtes, rimant par augmentation ou par diminution, grâce au subtil emploi des finales muettes. Les poèmes couverts par cette désignation présentent des innovations techniques dans leur versification, comme il vient d’être souligné.
Jules Romains publia de nombreux recueils d’une grande qualité poétique évoquant la rue, le théâtre, l’église, les soldats, cherchant à susciter un esprit commun à des milliers d’individus, jusqu’aux dangereux envoûtements des régimes totalitaires. Il y avait dans son unanimisme un sentiment d’appartenance à un grand tout qui, pour être une masse humaine, n’en touchait pas moins à une mystique à une espèce de mystère profane plus ou moins proche du sacré.
Il est difficile de mesurer l’influence de l’unanimisme sur la poésie du XXe siècle, mais il marque, dès avant Apollinaire et Cendrars, un essai de renouvellement de la poésie, dans l’esprit et dans la forme. Parmi tous les mouvements en … isme de l’époque. Il reste l’un des plus importants, sans doute grâce à la poésie de son créateur. Des poètes aussi différents que Pierre-Jean Jouve et Louis Aragon lui doivent certainement quelque chose.
Qu’est-ce qui transfigure ainsi le boulevard ?
L’allure des passants n’est presque pas physique ;
Ce ne sont plus des mouvements, ce sont des rythmes,
Et je n’ai plus besoin de mes yeux pour les voir.
L’air qu’on respire a comme un goût mental,
Les hommes
Ressemblent aux idées qui longent un esprit.
D’eux à moi, rien ne cesse d’être intérieur ;
Rien ne m’est étranger de leur joue à ma joue,
Et l’espace nous lie en pensant avec nous.
Jules Romain. In « La Vie unanime ». 1908.
L’intuition de Jules Romains correspondait à la sensibilité de l’époque. Dès la fin du XIXe siècle, Émile Verhaeren avait esquissé ce sentiment d’appartenance à un vaste mouvement collectif, en des œuvres puissantes et visionnaires, annonçant déjà, jusque dans le vocabulaire comme dans la sensation, l’unanisme de Jules Romains :
LA FOULE
En ces villes d’ombre et d’ébène,
D’où s’élèvent des yeux prodigieux ;
En ce villes où se démènent,
Avec leurs chants, leurs cris et leurs blasphèmes,
À grande houle, les foules !
…
Tout calcul tombe et se supprime,
Le cœur s’élance ou vers la gloire ou vers le crime ;
Et tout à coup je m’apparais celui
Qui s’est, hors de soi-même, enfui
Vers le sauvage appel des forces unanimes.
Émile Verhaeren. In « Les Visages de la vie. ». 1899.
.