André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Le vers trisyllabique (Prosodie) Sam 21 Fév - 12:54 | |
| LEXIQUE POÉTIQUE
LES VERS TRISYLLABIQUES Les vers "trissylabique" (formé de trois syllabes, comme l'indique son nom) a été utilisé dès le Moyen Âge, notamment par Guillaume de MACHAUT, puis par Clément MAROT et les poètes de la Renaissance, le plus souvent en le mélangeant à d'autres mètres plus longs, en des poèmes dont certains sont restés célèbres :
AVRIL ... Avril, c'est ta douce main, Qui du sein De la nature desserre Une moisson de senteurs, Et de fleurs, Embaumant l'air et la terre. ...
Rémy BELLEAU
Cet emploi en mètres mélangés donne un caractère léger et gracieux au poème, que les vers courts rimes ensemble ou non :
L'oiseau passe Dans l'espace Où l'amour vient l'enflammer ; Si les roses Sont des choses Faites exprès pour charmer, Le ciel est fait pour aimer. ...
Victor HUGO
Employé seul, le "trisyllabe" est d'un maintien plus délicat. Le retour rapide de la rime risque de lui conférer un caractère mécanique ; en outre, la nécessité de la correction syntaxique peut entraîner incohérences et banalités. Clément MAROT avait cependant écrit deux épîtres en vers trisyllabiques en "rimes suivies" :
Ami jure, Je te jure Que désir Non loisir J'ai d'écrire. Or de dire Que tes vers Me sont verts, Durs ou aigres Ou trop maigres, Qui l'a dit A médit.
Clément MAROT
Ce mètre n'a jamais été abandonné, même employé seul. Au XXe siècle encore, Maurice FOMBEURE ou Bernard LORRAINE l'ont utilisé. Le retour rapide de la rime risque non seulement de donner une impression de martèlement, mais il peut aussi entraîner quelque bizarrerie dans le sens du texte.
Sortilège ! Tu verras Le ciel gras Qui s'abrège,
Nous assiège D'un ramas De frimas.
Paul, il neige ! Eh bien Paul, Vois le sol,
La terrasse Va changeant Cette crasse
En argent.
Auguste VACQUERIE
Ce sonnet allongé eu beaucoup de succès et suscita un pastiche de Théodore de BANVILLE , lui aussi en vers trisyllabiques.
Victor HUGO a employé plusieurs fois le trisyllabe, avec virtuosité. Dans les années 1828-1830, il semble s'être complu à utiliser des vers courts, soit en combinaisons, soit seuls :
LE PRINCE FAINÉANT
Guy, mon père, N'use point À rien faire Son pourpoint. Pas de fête Qu'il n'apprête, Casque en tête, Dague au poing. ...
Victor HUGO
Il n'avait pas publié ce poème à cette époque. Par contre, au même moment, il écrivit puis publia [u]deux cent cinquante-six vers trisyllabiques[/i] employés seuls, d'une seule coulée, dans une "ballade" dont la musique de SAINT-SAËNS accrut encore la célébrité à la fin du siècle :
LE PAS D'ARME DU ROI JEAN ... Nous qui sommes De par Dieu, Gentilshommes De haut lieu, Il faut faire Bruit sur terre, Et la guerre N'est qu'un jeu.
Ma vieille âme Enrageait ; Car ma lame Qui rongeait Cette rouille Qui la souille En quenouille Se changeait. ...
Victor HUGO
On a l'impression que pour Victor HUGO, ce mètre court et martelé par le retour de la rime donne une coloration ancienne au poème. Il va l'utiliser, d'ailleurs, dans l'opéra "La Esmeralda" que Louise BERTIN tire de "Notre-Dame de Paris" (1831). Elle n'était pas sans talent. On trouve dans le livret de l'opéra de nombreux passages en vers de trois syllabes, comme la chanson de Quasimodo :
Mon Dieu ! j'aime Hors moi-même Tout ici ! L'air qui passe Et qui chasse Mon souci ! L'hirondelle Si fidèle Aux vieux toits ! Les chapelles Sous les ailes De la croix ! ...
Victor HUGO
Malgré l'incroyable virtuosité de ce maître du vers, l'emploi du trisyllabe n'allait pas toujours sans quelque difficulté. Pendant l'écriture et la composition de l'œuvre, il l'a avoué, peut-être avec quelque coquetterie, à la musicienne de vingt-huit ans, alors qu'il en avait trente et un :
- "Il y a trois méchants petits vers que j'ai retournés de cent façons sans pouvoir en venir à bout. Vous en êtes bien mécontente, n'Est-ce pas, et moi aussi. Ce ne sont pourtant que trois petits vers de trois syllabes chacun, en tout neuf syllabes. Je vous assure que c'est bien la petite escouade de syllabes la plus revêche que j'aie rencontrée dans ma vie d'aligneur des mots". (Victor HUGO).
| |
|