RÉFLEXIONS SUR LA POÉSIE
ESSAI
Ce que la poésie ne partage pas avec les autres formes d'art, c'est sa matière :
la langue. Ce qu’on recherche dans la lecture d'une œuvre poétique, c'est une
résistance, une
épaisseur de la langue, source de difficulté. Difficulté certes, mais qui doit être elle-même source de
richesse et pas d'obscurité.
Un bon poème, un vrai poème - un poème tout court - doit posséder deux grandes qualités essentielles : il doit être
dense et
cohérent. Il serait sot de croire qu'on peut libérer la poésie de toute contrainte. La langue ne fait sens que par un système d'oppositions. Si tout peut être mis en lieu et place de tout, il n'y a plus de valeur car il n'y a plus d'opposition. C’est l'implacable leçon de la linguistique saussurienne. Un poème manquant cruellement d’
émotion, de
passion, ou utilisant des
néologismes personnels aléatoires, n’est qu’une succession de mots qui n’exciteront
aucun sentiment, sinon une
simple curiosité.
Nicolas Boileau affirmait :
"Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire viennent aisément" . Hélas, dans la poésie actuelle, ces recommandations semblent bien loin de ces règles fondamentales.
Pour le poète, comme pour le lecteur, la poésie doit rester une
confidence et un
partage, en même temps qu’une évasion des contingences du monde qu’elle rend moins lourdes à supporter. Le poète est donc un
créateur qui possède l'art de combiner les mots, les sonorités, les rythmes pour évoquer des
images, suggérer des
sensations, mais surtout des
émotions.
Combien de poèmes en sont totalement dénués, ne suscitant qu’un intérêt mitigé dans leur composition et à la lecture, où seul l’auteur peut comprendre ce qu’il a voulu dire. Il existe de nombreuses formes différentes allant du
vers libre au
sonnet ou encore à
l'ode. Peu importe l’aspect où la formule, l’important est de donner une
signification limpide, aisée et explicite au sujet dont le poème est la cible. Pour cela, il faut utiliser des
images concrètes et éviter les
concepts abstraits qui permettront de plonger le lecteur dans le monde du poème en rendant celui-ci plus "vivant".
Comme la poésie est censée être prononcée à haute voix, il faut tenir compte de
l’effet sonore qu’elle doit produire. Combien de poètes (ou d’aspirants poètes) oublient que l’art poétique est avant toute chose un "exercice" qui s’accomplit entre deux personnes : le passage de l’émotion entre un individu vers un autre. Poésie en vers ou en prose, peu importe, mais il doit y avoir
harmonie entre les mots pour qu'ils puissent se révéler l'un à l'autre, devenir ensemble, ce support indispensable qui transporte
l'émoi en un plaisir de lecture.
La poésie est un
langage intérieur, "viscéral", et c'est en même temps un langage nouveau à chaque fois. Les poètes n’ont pas inventé un nouveau langage, mais un langage
spécifique, sachant que nous parlons tous avec les mêmes mots placés, à peu de chose près, au même endroit. Alors, de grâce, il faut éviter ce qui peut engendrer la
confusion ou
l’hermétisme chez le lecteur. Se forcer à trouver des "mots insolites" ou inventer des "néologismes obscurs" peut charger la poésie d’une lourdeur qui l'éloignera de ceux pour qui la poésie est une littérature pétrifiée dans l'imperméabilité. La
linéarité poétique y perd de sa superbe et se transforme en une linguistique froide qui se fige, souvent, dans l’incompréhensible. Un poème, c’est goûter le plaisir des mots et le sens des phrases en se laissant emporter dans le doux envoûtement de la magie et de la musicalité du verbe.
ANDRÉ