Un petit coin de campagne pour l'inspecteur 12

Un petit coin de campagne pour l’inspecteur 12,
Harassé de sa nuit sans sommeil, le cheveu hirsute et des poches sous les yeux, le prévenu s’affala sur la chaise tendue par l’inspecteur. Il ne cessait de gesticuler et de marmonner dans sa barbe. Il cherchait à se défiler aux questions très pointues posées par les policiers et maintenait fermement sa première déclaration. Il résistait malgré la fatigue et le harcèlement des policiers mais au bout de trois heures d’interrogatoire soutenu, pressentant qu’il n’avait plus d’issue possible, il finit par craquer et déballa toute son histoire. Ce qui le décida de sa marche arrière, c’étaient les preuves ADN présentées par l’inspecteur. Alors, acculé et les larmes aux yeux, le corps ramassé sur la chaise, les mains tremblantes, il raconta sa rencontre et sa vie avec la victime, sans vouloir cacher quoi que ce soit.
En fait elle n’était pas une Escort girl comme il l’avait affirmé précédemment mais une ancienne prostituée. Elle avait débuté dans la rue puis avait exercé dans des hôtels et des meublés sur le secteur d’Epinal. Mais elle était bien sa femme depuis un an et Soraya était effectivement leur enfant légitime. Pour cela, il n’avait pas menti.
Ils avaient officialisé leurs dix ans de vie commune l’année dernière. Cependant, son passé l’avait rattrapée. Son mac de l’époque l’avait retrouvée. Pourtant, par mesure de sécurité, ils avaient déménagé plusieurs fois pour acquérir une grande propriété sécurisée en Suisse, à Lausanne plus exactement. Il était revenu pour la remettre dans le métier mais il n’en était pas question. Elle s’était posée et avait une vie de maman ordinaire et bien rangée. S’ensuivirent alors des menaces de mort et de chantage sur la personne de leur petite fille. Il avait été son souteneur pendant plus de cinq ans et voulait la récupérer pour en tirer profit. Il venait pourtant de purger huit ans de prison pour proxénétisme aggravé sur mineurs et personnes vulnérables. Hélas, il avait besoin d’argent facile et il essayait de rabattre ses anciennes partenaires pour se renflouer. Et cet homme-là, je le connais, Monsieur l’inspecteur : c’est son beau-père ! Il s’appelle Marcel CHALON. Il est secondé par sa seconde épouse, Tiffany, ex prostituée et leur fils Daniel, rabatteur de filles dans des bars à hôtesses. J’étais au courant de ces histoires de famille et je l’avais soustrait à cette activité par amour pour elle. Nous nous étions rencontré dans un bar, un soir de solitude. Je connaissais sa profession néanmoins je suis tombé amoureux d’elle. Nous avons monté un projet de vie commune et elle abandonna la prostitution définitivement. Et vous connaissez la suite, Monsieur l’inspecteur ! Il lui a donné rendez-vous dans un bar à filles de Saint-Die pour discuter une dernière fois. Malgré mes exhortations, elle s’y est rendue seule et je ne l’ai plus revue. Pourquoi n’ai-je pas réagi et averti la police, me direz-vous ? J’avais trop peur pour Soraya, notre petite fille : il avait menacé de l’enlever contre rançon et de la tuer si nous n’obtempérions pas ! Et puis mes parents n’auraient pas compris ma situation matrimoniale : nous leur avions caché l’activité professionnelle de Carlotta par respect pour leurs profondes convictions religieuses. Déjà, ils avaient mal accepté notre union interconfessionnelle. Mais tout était rentré dans l’ordre quand ils ont compris que j’étais enfin heureux. Et ils adorent leur petite fille. Ils ont travaillé si dur pour me payer des études universitaires. Si aujourd’hui je suis ingénieur, c’est bien grâce à leur abnégation et leur amour pour moi : je n’avais pas le droit de les décevoir. Maintenant, il faut les avertir de mon malheur et je ne sais comment leur dire, d’autant que Soraya est chez eux depuis la disparition de ma femme. J’ai eu peur pour elle et j’ai préféré la soustraire aux menaces : je ne voulais pas croire que sa mère était déjà morte. J’espérais tellement qu’elle revienne ! Mais lorsque j’ai vu vos photos, j’ai compris que c’était fini et j’ai eu peur pour ma vie et celle de Soraya. J’ai préféré m’accuser pour la protéger. Je sus, hélas, que Monsieur CHALON avait mis à exécution ses menaces : il m’avait contacté pour m’avouer son crime par le menu détail, en m’accusant d’être responsable de son forfait mais je ne le crus pas jusqu’à ce que vous me soumettiez ces clichés horribles.
Tout est de ma faute : j’aurais dû avertir la police aux premières menaces reçues. Je n’ai pas su protéger ma tendre épouse comme il le fallait par fierté ou par orgueil, que sais-je. Je voulais aussi épargner ma famille car elle aurait eu honte du passé sulfureux de ma femme. Je savais que mes parents n’auraient plus accepté de nous recevoir après une telle déclaration.
Voilà, je vous ai tout dit, Monsieur l’inspecteur, sans plus rien vous cacher ! Ma douleur est si grande et mon désespoir infini : qu’allons-nous devenir sans Carlotta maintenant ? Et comment le dire à Soraya : elle est si jeune et tellement fragile…
Lucienne le 05.03.2016