LE ROMANTISME FRANÇAIS
ESSAI
"Sur des pensers nouveaux, faisons des vers antiques", écrivait André CHENIER. On comprend toute l'incidence de cette forme de pensée sur le romantisme français, mouvement que l'Allemagne inaugura en Europe. Le XVIIIème siècle est, certes, pour elle, une époque de grande maturation intellectuelle, mais, ne l'oublions pas, sous influence française.
L'Aufklärung qui tente de promouvoir le règne de la "raison" contre les forces sensibles subjectives, n'étant rien d'autre que la traduction germanique de
"l'esprit des lumières" français, et où quelques écrivains de l'Allemagne bourgeoise, assez exaltés, refusent farouchement de se plier aux urgences oppressives du temps, se réfugiant dans un individualisme contre l'ordre établi et conformiste, soutenus, en cette idéologie, par l'admiration qu'ils portent à SHAKESPEARE et à ROUSSEAU, entre autres, proclamant haut et fort la supériorité du sentiment sur l'intellect.
On peut citer, parmi ces auteurs démarqués que l'on appelait les "Maîtres de Weimar" : GOETHE, très apprécié de LAMARTINE , notamment avec son "Werther" ; SCHILLER, fortement influencé par les idées rousseauistes ; HERDER, et bien d'autres. Pour eux, la Révolution française est perçue comme une aventure romantique.
Mais le romantisme français marque ses faiblesses face au mouvement allemand, sans doute parce qu'il n'est pas nourri par les philosophes romantiques de l'envergure d'un FICHTE, d'un SCHELLING (disciples "indisciplinés" de KANT), ainsi que d'un HEGEL, SCHOPENHAUER ou encore KIERKEGAARD, philosophes de la profondeur qui tous ont exercé, comme KANT, une incroyable influence sur la pensée intellectuelle, mais aussi religieuse du XIXème siècle.
Il fallut attendre l'arrivée de Madame de STAËL, qui fut la première, en France, à employer le nom de
"romantisme". NAPOLEON est réfractaire, comme on le sait, aux écrivains qui tels que BERNARDIN de SAINT PIERRE ou encore LAMARTINE font appel à la liberté de l'esprit. Il place la littérature sous haute surveillance afin de réprimer tout anticonformisme.
C'est à cette époque que LAMARTINE découvre les textes philosophiques du VIIIème siècle. ROUSSEAU agit sur lui comme un philtre révélateur. En 1802, survient au moment où, suite au Concordat, où l'on renoue avec ses racines chrétiennes et avec le gothique, une source nouvelle de poésie inspirée de la Bible, avec sa profusion d'images et de paraboles et de symbolique. Les auteurs ont soif de mysticisme, de sacré. C'est l'époque ou Théophile GAUTIER considère CHATEAUBRIAND comme l'aïeul du "romantisme" en France. Madame de STAËL ainsi que CHATEAUBRIAND renouvellent les pensées et le langage, tout en bouleversant les cœurs. C'est, en fait, un style direct, efficace dit
"attique", inspiré des MONTESQUIEU et VOLTAIRE. Cette effervescence est, malgré tout, prisonnière, en France, de la tradition "classique", et de nombreux romantiques français renient leurs maîtres, tout en restant esclaves de la formation rhétorique que ceux-ci leur ont inculquée.
George R. HAVENS écrira, plus tard :
"L'ordre classique et la logique persistent dans le romantisme français. Le sens de la composition et de la forme bien balancées demeure toujours puissant". Le romantisme, tout en restant soumis à la rhétorique de base, n'a plus peur des excès de pensées et de sentiments, et les initiatives d'une imagination qui se libère des carcans et des frénésies d'un "Moi" débordant de sève avec ses passions, sa mélancolie, ses larmes et ses appels de sens. Un vrai lyrisme, une sublime musique du Verbe. On s'éloigne du jardin un peu étriqué que VOLTAIRE demandait de faire fructifier sans se poser de questions.
La grande interrogation que se posait implicitement le "romantisme" trouve réponse dans l'inquiétude métaphysique qui fait la grandeur de l'homme. Il faudra, cependant, attendre la fameuse "Préface de Cromwell", en 1827, et la "Bataille d'Hernani", en 1830, pour que le romantisme français, triomphant des résistances, s'assure une solide assise. D'un point de vue formel, les premiers romantiques ont été assujettis à la "forme classique", à son dogmatisme.
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Sources :
"Précis de Littérature de l'Union européenne". Magnard. 1992.
Georges R. Havens : "Romanticisme in France". P.M.L.A. 1940.
"Paul Bénichou : "Le sacre de l'écrivain". Corti.1968. .