LE TALENT
ESSAI
Qu'est-ce que le Talent et, plus largement, faire état de ce qu'il sous-entend, dans notre société actuelle ? Aussi, je commencerai, fidèle à mes habitudes, par une citation qui résume à peu près ce que nous pensons tous, je veux dire les "gens de goût".
-
"Tous ces gens qui n'ont pas de talent, que deviendraient-ils sans tous ces gens qui n'ont pas de goût ?" (Gilbert Cesbron).Et puis, il y a tous ceux, mécènes orgueilleux des talents médiocres qui les recherchent, et qui sont les secrets ennemis des talents distingués qui les négligent.
Ce qui peut paraître insupportable est bien le fait que certains artistes, poètes et musiciens se rendent compte à leurs dépens qu'au fond, le succès ne soit qu'une affaire d'argent, de méthodes de marketing, de recettes commerciales. On préfèrerait, sans doute, que le succès s'attache avant tout au "talent" ou, du moins, qu'il préserve une sorte "d'intégrité" de l'œuvre, ou de l'artiste lui-même.
Le problème, dans tout cela, est appartenant moi-même au milieu du spectacle, c'est de constater que beaucoup d'artistes se "grillent", ne s'embarrassant pas de telles préoccupations morales et se prêtant sans réserve au lois du marché. Tendu entre l'attirance pour le marché, lequel semble constituer le seul espace susceptible de réaliser le succès, ou de consacrer le "talent", et la répugnance envers les pratiques mercantiles jugées indignes de l'œuvre ou de ce qu'est l'art, voilà l'artiste confronté et travaillé par sa conscience morale, bien mal à l'aise.
On se souviendra, peut-être, de ce chanteur à succès revendiquant devant un parterre constitué d'industriels du disque, de fonctionnaires de la culture et de représentants des médias, sa différence :
-
"Je suis ici, je suis en apparence l'un des vôtres, mais ce n'est qu'apparence car, en réalité, nous ne sommes pas du même monde". Attitude touchante parce que paradoxale : je dois au marché une partie de mon succès, mais je critique la manière dont ce marché fonctionne. C'est là, sans doute, reconnaître l'abîme qui sépare l'activité intime de la création, le moment de l'art proprement dit, de la prise en charge de l'œuvre par le marché, mettant en branle tous ses rouages : production, promotion, distribution, diffusion.
Le talent se caractérise, à mon sens, et dans sa forme la plus pure, par l'action positive de catalyseurs intra personnels, autrement dit : la santé, la personnalité, la volonté, les motivations, l'expérience. Mais il dépend, pour être diffusé, du milieu, des proches, des ressources, des accointances, et de la chance ; ce qui crée des disparités et empêche certains individus talentueux et doués, de faire partager leur culture. Permettre à chacun d'avoir accès aux médias pour libérer son imagination créatrice, échapper aux règles du marché, pouvoir s'exalter, serait l'acte le plus méritoire et le plus exemplaire sentiment de sécurité et de reconnaissance attribué à un artiste. Car, chaque artiste talentueux, quelle que soit sa discipline, mériterait, dans la compétence, l'estime de soi "situationnelle", consistant à savoir qu'il est utile à quelque chose, qu'il enrichit un patrimoine, afin de pouvoir bénéficier de la reconnaissance du public.
Le génie de tout homme est l'originalité exemplaire de son talent. S'il ne parvient à le porter à la connaissance des autres, non seulement il ne pourra jamais être jugé par ses contemporains. Il faut bien le reconnaître, ce privilège tient à la beauté, à la noblesse, mais il est confronté non plus au rang de la vertu, mais au sentiment que l'argent est devenu le triomphe de l'art du sous-plat et de la médiocrité.
ANDRÉ