Au hasard des mots
J'étais hier soir, d'humeur pensive, vide d'émotion, vide d'envie d'écrire. En feuilletant le coin, j'ai trouvé chez Fripou une collection de mots tels un canevas, à broder sans support, juste quelques mots jetés sur le papier. Ils me sautent au visage et me font un aveu :
- Veux-tu nous adopter, nous faire chanter, raconter une histoire, nous serons les héros.
- Vous me lancez un défi, je vais le relever mais suis-je à la hauteur de ce que vous demandez ? Attendons demain. Bonne nuit, les petits. (Tiens, Nounours et Le Marchand de sable qui refont surface. Manque plus que Nicolas et Pimprenelle...)
Bon je vais me coucher et qui sait ce qu'au réveil je vais inventer.
Ce matin, je me dis que je peux écrire quelque chose de possiblement beau, une histoire, un conte. Cinq épisodes pour laisser parler les mots, les poser sur la toile, en faire un scénario.
Eh bien me voilà au pied de ma feuille blanche. Les mots sont sagement alignés attendant que je les lance dans la mêlée. Je vais tailler mes crayons pour qu'ils courent sans crainte sur la page. Je vais laisser mon imagination s'emparer des mots choisis et …
Que se passe-t-il ? Les mots se sont regroupés, mis en rond et je sens qu'ils préparent quelque chose. Je tends l'oreille mais je ne capte rien. Ils murmurent à voix si basse que même « Super Jaimie » n'entendrait pas malgré son oreille bio ionique ! Le groupe se sépare et l'un d'eux s'avance vers moi. Il a l'air sérieux et déterminé. Le crayon levé, j'attends. Il se dresse devant moi et me dit tout de go :
- Fripou nous a choisis au hasard. Nous voulons que ton histoire soit un conte de Noël. Ce sera notre revendication première, la seconde que l'histoire soit belle mais écrite en vers.
- Ben, voyons. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer ? Ce sera tout ou vous y mettez encore un peu plus de piment ?
- Du piment, et pourquoi pas ? C'est nous qui déciderons si ton histoire nous convient et si tu dois poursuivre ton chemin. Allez au boulot, Mamie, et sans tarder.
Mamie, mamie, Pfff ! Enfin...Ils n'ont pas dit « Mémé » … Ouf parce qu'alors là c'était le coup de vieux assassin !
Et me voilà prisonnière des mots et bizarrement, j'aime çà! Que va-t-il en ressortir ?
Voyons, voyons.
Il va falloir qu'avec ces mots choisis au hasard je produise une aventure qui leur plaise, dans laquelle ils se sentiront bien placés, bien utilisés, heureux de se mêler les uns les autres en une farandole colorée.
Je fais faire quelques étirements à mes doigts avant de me lancer dans la bataille, je nettoie mon clavier. Evitons qu'un peu de poussière ne s'y glisse qui pourrait freiner sa vitesse.
C'est parti....
L'histoire se dessine à l'aulne de ces mots
Offerts à ma muse qui cherchait aventure
Elle voulait chanter, dans un nouveau crédo
Danser sur le clavier, fignoler la tenure.
***
Conte de Noël
1er épisode
Dans l'univers feutré où le vent et la neige
Soufflent et tourbillonnent entre les troncs rugueux
Les oiseaux s'endorment au nid qui les protège
Plumes ébouriffées, ils se serrent frileux.
Près de la cheminée qui joue au serpentin
Les trois petites fées s'amusent avec la lune
Croquant à belles dents dans son rayon satin
Et frissonnent de joie quand il atteint la dune.
La porte du logis et ses rideaux fermés
D'un père, d'une mère cachent mal la douleur
Penchés sur les albums des souvenirs passés
Ils tournent les pages des moments de bonheur.
Ils sourient en silence et sèchent quelques larmes
En voyant sous leurs yeux le minois ébloui
De la poupée jolie, le bonheur de leurs âmes
Envolée sans mots dire, dans le givre une nuit.
2ème épisode
Et le jour se leva noyé dans la grisaille
Masquant le bois de chênes et l'herbe du chemin.
Le père partit très tôt, empruntant une draille
Le menant par les champs aux portes du moulin.
Au lointain il voyait, les grandes ailes blanches
Qui chantait dans le vent un doux chant de Noël
Son ami le meunier installé sur une planche
Préparant le café, c'était un rituel.
La mère de son côté alla traire la vache
Qui meuglait doucement dans l'étable chauffée
Et le front appuyé contre la peau si blanche
Pressait en cadence les pis gonflés de lait.
Elle s'évadait alors vers de lointains rivages
Oubliant cette ferme, son décor, son travail
Un cadeau de la vie, un espoir de voyages
Pour retrouver enfin, du repos le portail..
3ème épisode
Elle s'était enfuie par un matin glacé
Sans laisser un seul mot, éclairant sa misère
Sa soif d'évasion, besoin de liberté
Son désir d'apprendre ce monde et son mystère.
Ce soir, le lampadaire éclairait la façade
La piste aux étoiles, brillant de mille feux
Sortant d'un nuage, de glissade en glissade
Lola, de son sommet redescendait des cieux.
Ce petit être triste assis à son miroir
Songeait aux vacances, la neige sur les pentes
Elle les dévalait, dans la fraîcheur du soir
Les raquettes aux pieds, doux instants de détente.
Fugitive sa vie qui parfois la poursuit
Où se brise son cœur, dans l'immense crevasse
Ses rêves engloutis, la douleur qui la suit
Visages du passé, et la joie des vacances.
Elle voit ses parents, entend encor leurs mots
Les chants de la mère, la voix grave du père
La chaleur de l'âtre, du cheval les grelots.
La vie était facile et si simple et légère.
Elle se couche alors et sur son oreiller
Arrivent les regrets et puis coulent ses larmes
Elle veut s'expliquer avec sincérité
Retrouver la tendresse et apaiser les drames.
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Bon, je vais faire une petite pause.
Dites-moi, les mots, êtes-vous satisfaits de ce que je vous fais raconter ? Est-ce-que l'histoire dont vous vous mêlez, vous convient ?
Oui, oui, nous sommes ravis et nous nous régalons dans ton récit, dirent les premiers
Nous, nous attendons de voir à quelle sauce tu vas nous lier.
Avez-vous compris l'histoire dont vous faîtes le récit ?
Une mère et un père qui pleure leur fille. Elle est morte ?
Non, juste enfuie de la maison
D'accord, nous voyons où tu nous conduis. Un conte de Noël avec son miracle...
N'en dites pas plus, il ne faut pas dévoiler la suite pour garder le suspens. Allez, j'y retourne.
4 ème épisode
Les trois petites fées sur le toit de la ferme
Chuchotaient doucement mettant au point un plan.
Pour cela il fallait trouver quelqu'un qui aime
Les belles histoires, leurs rebondissements.
Un envol vers les cieux, remplissant leur devoir
Usant des nuages, des tourbillons de neige
Rejoignant dans la nue, le traîneau de l'espoir
Les rennes dociles pour un tour de manège.
En ce hameau perdu, le cirque ce matin,
Poussé par la tempête y faisait une escale.
Loin des grandes routes, caché dans le lointain
Lola, larmes aux yeux, le trouvait très spécial
Sur le lac tout gelé glissaient de jeunes enfants
Les joues rougies du froid, la joie sur leurs visages.
Elle ferma ses grands yeux revivant doux moments
Dans cet endroit joli qui était son village.
Elle voyait le sapin près de la cheminée
Ses chaussures alignés attendant les cadeaux
Droits sortis de la hotte en cette nuit bleutée
Pour les enfants sages, ils seraient les plus beaux.
En ce jour de fête, le rideau se levait
Chacun venant ici pour un instant de rêve
Lola, sur son perchoir tout là haut regardait
Cette assemblée joyeuse qui s'offrait une trêve.
La jolie Lola regardait autour d'elle, émerveillée et surprise. Par quelque miracle, le petit cirque dans lequel elle vivait depuis plusieurs années avait-il atterri ici, précisément dans ce petit village, son village ? Aucune explication ne parvenait à la satisfaire. Tout ce dont elle se souvenait, c'est de cette immense masse de neige qui avait semblé les poursuivre, les contraignant, au grand désespoir du directeur à emprunter la première route trouvée. Le petit convoi avait finalement stoppé sur la place du village et comme par magie, la langue de neige avait aussitôt disparu. Les artistes réunis décidèrent alors de monter le chapiteau et de prendre quelque repos avant de repartir. Il était tard et chacun regagna sa roulotte. Les animaux qui s'étaient agités durant le trajet forcé, s'étaient calmés. Le silence régnait maintenant. Seul le troublait le bruit feutré de la neige tombant sur les arbres et les maisons alentour.
Jolie Lola s'engagea sur le chemin qui conduisait vers le bois. Elle retrouvait ses habitudes d'enfant qu'elle croyait oubliées. Enfouies tout au fond d'elle, elles refaisaient surface. Le cœur battant elle avançait vers cette petite maison nichée au fond de son jardin, elle apercevait la fumée s'échappant de la cheminée en volutes légères, elle voyait la fenêtre doucement éclairée par la danse des flammes dans la cheminée, elle sentait de loin la douce chaleur répandue dans la pièce, elle imaginait ses parents assis dans leur fauteuil, les yeux fixant les étincelles et écoutant la chanson des bûches léchées par le feu.
Comment ai-je pu m'éloigner de vous ? Pourquoi cette folle envie de voir le monde ? Pourquoi ne vous ai-je jamais donné de mes nouvelles ?
Toutes ces questions se bousculaient dans sa tête et soudain elle s'arrêta. Qu'allaient dire ses parents en la voyant ? Quelle serait leur réaction ? Serait-elle la bienvenue ? Une toute dernière et la plus angoissante : étaient-ils toujours en vie ?
5éme épisode
Sur le bord du trottoir où la lumière
Tremble dans les flocons, Lola stoppe soudain
La peur et la crainte ferme la frontière
De son besoin d'aller vers de nouveaux matins.
Une guirlande au loin brille dans la nuit
Accroche son regard et doucement scintille
Au bout de la ruelle, une étoile qui luit
L'invitant à marcher, retrouver sa famille
Elle s'approche des vitres, observe le décor
Ils sont là tous les deux, près de la cheminée
Ils disent en prière, l'espoir qui brûle encor
Pour que revienne enfin, leur fille bien aimée.
Cachées dans la crèche, caressant l'âne gris
Les trois petites fées sourient malicieuses.
Si longtemps muette la cloche retentit
S’égrènent pour eux deux, des notes curieuses.
L'église et son clocher, dans la nuit de Noël
Lancent dans l'air glacé un chapelet sonore
Il raconte que ce soir, la veillée sera belle
Et que le rêve enfin va prendre son essor.
Lorsque s'ouvre la porte et que les yeux se parlent
Inutiles les mots, l'amour est toujours là
Les bras s'ouvrent tout grands, toutes les larmes coulent
Le temps et l'espérance ont gagné le combat.
« Mes parents je vous aime, je ne partirai pas
Ma vie est près de vous, bien au chaud dans vos bras.»
Tout là-haut dans la nue, les rennes et leur traîneau
Emportent les trois fées, ravies de leur cadeau.