PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
LA GRANDE BALLADE
Article complémentaire à celui de KATIA, sur le même sujet.
Elle est basée sur trois dizains de décasyllabes, suivis en principe par un quintil, telle que la célèbre ballade de VILLON, "La Ballade des Pendus".
Elle est composée de trente cinq vers sur quatre rimes, et elle est divisée en trois strophes de dix vers et d'un envoi de cinq. De ce fait, elle est moins difficile que la "PETITE BALLADE", les rimes étant mieux réparties. Là, aussi, je l'ai mise en français d'aujourd'hui ; mais certains termes n'ont pas d'équivalent dans notre langue actuelle).
LA BALLADE DES PENDUS.
Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La Renaissance, marquant la fin du Moyen-Âge, puis le Classicisme triomphant furent deux époques fatales à la "ballade", comme aux formes fixes anciennes, toutes supplantées par un nouveau venu : le "sonnet". La "Ballade" faisait partie pour les poètes du XVIe siècle de ces "épiceries qui corrompent le goût de notre langue" (Joachim du BELLAY, dans "Défense et illustration de la langue française, 1549).
Un siècle plus tard, on a encore un écho de cette défaveur dans la célèbre scène de MOLIÈRE opposant Trissotin à Vadius, les deux poètes bouffons représentant avec une outrance injuste mais efficace, deux précieux : l'abbé Cotin et Gilles Ménage. Vadius vient de proposer de lire sa ballade. Trissotin réplique :
...
La ballade, à mon goût, est une chose fade.
Ce n'en est plus la mode, elle sent le vieux temps.
...
MOLIÈRE, Les Femmes savantes, 1672. Vers 1006-1007.
Pourtant, le mot "BALLADE" portait encore suffisamment de prestige poétique pour être réutilisé et revitalisé dès le début du XIXe siècle dans un autre sens, ne désignant plus une forme, mais une tonalité générale. Plusieurs années plus tard, en effet, la ballade médiévale réapparut dans les recueils de Paul VERLAINE, Théodore de BANVILLE, Germain NOUVEAU, Laurent TAILHADE, Charles CROS, et j'en passe...
Charles CROS écrivit une "Ballade du dernier amour", tandis que VERLAINE en composait de nombreuses, dont : "Ballade à propos de deux ormeaux qu'on lui avait dérobés" (Amours, 1888).