André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: L'ACCUMULATION (Prosodie) Dim 5 Juil - 21:34 | |
| PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
L'ACCUMULATION L'accumulation est une forme d'énumération par démultiplication de syntagmes de nature et de fonctions semblables. Ce procédé littéraire convient parfaitement à l'écriture de la poésie dont le rythme, les sonorités et les images sont ainsi renforcées. On l'appelle aussi une "parastase". Autrement dit, elle sert de mise en relief afin de développer une idée en la complétant et/ou en la précisant par ajouts successifs.
Exemple : "Le temps roule, se dresse, recule, repart, s'interpose; s'empile comme un jeu de cartes, se bat, se distribue, se contredit, se retourne, vit." Ph Sollers.
Cet extrait, de Pierre GRINGORE (1511) en est un parfait exemple :
Sots lunatiques, sots étourdis, sots sages, Sots de ville, de châteaux, de villages, Sots rassotés, sots niais, sots subtils, Sots amoureux, sots privés, sots sauvages, Sots vieux, nouveaux et sots de tous âges, Sots barbares, étrangers et gentils, Sots raisonnables, sots pervers, sots rétifs ; Votre Prince, sans nulles intervalles, Le Mardi gras jouera ses jeux aux Halles.
L'accumulation a été particulièrement utilisée dans les sonnets par les poètes de la Renaissance. C'est ainsi que Ronsard s'adresse aux différents aspects de la nature afin qu'ils témoignent de son amour pour Cassandre, achevant son poème sur ces vers :
... Je vous suppli*, ciel, air, vents, monts et plaines, Taillis, forêts, rivages et fontaines, Antres, prés, fleurs, dites-le-lui pour moi.
* Apocope du "e" devant une consonne.
Ce procédé est très en vogue de nos jours, chez les poètes. Jacques PRÉVERT, dans son célèbre poème "Inventaire" l'a popularisé. Il s'agit, en fait, d'une longue "accumulation" plus ou moins hétéroclite ponctuée par le passage de quelques ratons laveurs :
Une pierre deux maisons trois ruines quatre fossoyeurs un jardin des fleurs
un raton laveur
Une douzaine d'huîtres un citron un pain un rayon de soleil une lame de fond six musiciens une porte avec son paillasson un monsieur décoré de la légion d'honneur
un autre raton laveur
...
L'accululation jointe à l'énumération, (avec laquelle il faut se garder de la confondre) permet de traduire métaphoriquement et allusivement une multiplicité de réalités subjectives, de sensations, tout en les intégrant dans un même mouvement d'appréhension (unité profonde sous la diversité ou disparité apparente) :
Te voilà, remontée au firmament sublime, Échappée aux grands cieux comme la grive aux bois, Et, flamme, aile, hymne, odeur, replongée dans l'abîme Des rayons, des amours, des parfums et des voix !
Victor HUGO in "Les Contemplations" VI "Au bord de l'Infini".
N'oublions pas que le poète est essentiellement, selon la pertinente expression de G. BACHELARD, un "rêveur de mots". L'accumulation énumérative devient alors une fabuleuse ressource poétique. De tout temps, nommer et énumérer pour le poète, a constitué un des moyens privilégiés pour éprouver et pour faire partager aux autres toute la richesse d'un environnement qui suscite en lui un émerveillement permanent. Il ne peut donc rester indifférent au mystère des appellations, à cette superbe alliance si souvent harmonieuse entre les signifiants et leurs signifiés qui semble accréditer la théorie du cratylisme, qui n'est autre que le graphisme des mots, le sens finissant par signifier la substance sonore.
Tout mot valorisé est, selon le mot de VALÉRY une sorte de "songe bref" : il ramasse tout le déroulement obscur d'un réseau complexe d'associations..
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