LE SIGNIFIANT ET LE SIGNIFIÉ
En linguistique, le terme de
signifiant appartient à la terminologie de F. de SAUSSURE. Ce mot correspond à une "
image acoustique", ou encore un "
son articulé". Autrement dit, il est la part du signe qui peut devenir sensible. Si l'on retient seulement le caractère spécifique de la suite de
phonèmes appelés
signifiant, on peut dire que ce
signifiant représente l'aspect
phonologique de la suite des sons qui constituent l'aspect matériel du signe.
En poésie, surtout, l'accent est mis sur cette "
image acoustique", contrairement à ce qui se passe dans le "discours" courant où le
contenu de l'expression, c'est-à-dire le
signifié est prioritaire. Les réseaux de relations qui s'établissent entre les
"signifiants" grâce à
l'assonance, à la rime, aux consonnes, ou encore à la
paronomase, aux allitérations, ainsi qu'aux différentes formes de répétition et aux homonymies, autrement dit à tout ce qui peut bouleverser la forme syntaxique canonique, ont la particularité de retenir notre sensibilité, d'éveiller notre attention : tout ce qui peut avoir un retentissement sur la signification et la signifiance du message poétique.
Le
signifiant linguistique doit se dérouler sur une ligne de temps ; le caractère linéaire du
signifiant est une donnée fondamentale pour la langue.. Ce statut du
signifiant a fluctué avec le temps, selon les époques et les concepts en application des Grands Rhétoriqueurs. À l'époque classique, et dans la poésie traditionnelle, beaucoup plus dominées par le
signifié, c'est la rime seule qui a permis d'associer des mots par le
signifiant, en fin de vers, ou parfois à la césure. MALLARMÉ, dans sa "
Crise des vers", a su isoler la pureté symbolique de
l'image acoustique".
En poésie moderne, cette notion a contribué à orienter le poète sur de nouvelles voies ; la rime y est souvent absente, mais le statut du
signifiant est démultiplié par quantité d'autres modes de liaison qui, eux, ne sont pas liés à une place fixe : jeu avec des mots proches par le son, comme la
paronomase, ou par des habitudes linguistiques (clichés ou syntagmes figés), sans oublier les
parallélismes des constructions grammaticales, etc. On peut dire que le rôle principal du
signifiant contribue à former les détails de la trame textuelle. Rencontrant des associations fondées sur le sens précis, ils établissent des "
images ou des expressions dont l'effet de surprise est au service de la densité verbale.
On constate que le signe linguistique est à la fois
arbitraire et
nécessaire. Pour bien comprendre cela, il n'est sans doute pas inutile de donner un petit exemple. Dans la conscience d'un sujet parlant français, le
signifiant "
bœuf" , c'est-à-dire
l'image acoustique du groupe de sons qui détermine ce mot, évoque nécessairement le concept de
"bœuf", et ce concept déclenche automatiquement
l'image acoustique :
"böf". Autrement dit, le
signifiant est la traduction phonique du concept ; le
signifié, quant à lui, est la contrepartie mentale du
signifiant (É. BENVENISTE)
Mais comme il n'existe aucun lien nécessaire entre le
bœuf, élément de la réalité, et le signe qui l'évoque en français, en anglais ou dans tout autre langue, on parle alors de caractère
contingent (au point de vue philosophique),
conventionnel (socialement), ou
arbitraire du signe. La poésie demeure un
jeu de mots et vise à susciter des interprétations inédites et des impressions nouvelles qui surgissent mystérieusement du matériau linguistique lui-même. C'est toute l'ambition de ceux que l'on appelle
"poètes du signifiant", par opposition aux
"poètes du signifié". L'ambiguïté du signe implique qu'on puisse à son gré le travers comme une vitre et poursuivre à travers lui la chose signifiée, ou tourner son regard vers la réalité et le considérer comme
objet. L'homme qui parle est au-delà des mots, près de l'objet ; le poète, lui, est en deçà. Pour celui-là, ce sont des
conventions utiles, des
outils qui s'usent peu à peu et qu'on finit par jeter quand ils ne peuvent plus servir ; pour le second, ce sont des
choses naturelles qui croissent naturellement, tout comme les plantes et les arbres.
ANDRÉ
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Sources : "La linguistique", de Jean Perrot. (Presses universitaires de France.)
"Dictionnaire de la Poésie française", de Jacques Charpentreau. (Fayard. 2006)
"Rhétorique et argumentation", de Jean-Jacques Robrieux. (Nathan Université. 2000)
"Dictionnaire de linguistique" de Jean Dubois – Mathée Giacomo – Louis Guespin. (Larousse.2001)