Un enfant est né.
Quel beau bébé, quel bonheur !
Il ressemble à son Père disent-ils !
Oh non ! Il ressemble à sa Mère !
Regardez ses yeux en amande !...
N’entendent-ils pas tous ces gens, une petite voix qui tente de les mettre d’accord ?
Croyez-moi, dans quelques années, il ressemblera autant aux deux qu’au monde entier.
Il aura en effet, les mêmes trais fatigués, tirés.
Il aura en effet, le même front, soucieux, ridé ;
La même mâchoire, tendue crispée,
Le même regard triste ou irrité.
Votre bébé bien rose et rieur aujourd’hui, je le vois demain déjà adulte … pas vous ?
Dans cette merveilleuse vie pleine de beautés que l’on ne peut toucher,
Pleine de soleil qui n’a pas le temps de nous réchauffer.
Cette belle vie calme et sereine, mais uniquement réservée aux bébés nés dans un berceau de pierres précieuses et qui deviendront ces adultes qui possèdent un Louis d’Or en guise de pupille, un coffre fort en guise de cœur et beaucoup de temps pour apprécier le travail des autres.
Lui, ce nouveau né, aura le droit d’apprécier la nuit brumeuse des fonds métropolitains, cette bête que l’on appelle métro. Celle qui le mènera dans une grande maison pleine de gens très accueillants.
Il pourra pointer pour entrer, pointer pour sortir.
Il y aura beaucoup de commandants et très peu d’amis.
Là, il aura le droit d’obéir et d’avoir un peu d’argent, de quoi vivoter s’il a été bien sage.
Il dira alors : merci Monsieur ! Avec son petit sourire timide.
Il s’en ira tout content avec ses quatre sous, en courant vers son épouse.
Il prendra le temps de compter … un temps très court … pour acheter un petit jouet à son enfant ; car lui aussi aura un enfant !
Les êtres humains sont bien trop égoïstes, lorsqu’ils ont bien souffert, il ne voudraient pas rester les seuls. Il faut que d’autres sachent pour apprendre et comprendre !
Alors on fait un gosse et l’on dit : Quel beau bébé ! Il ressemble à sa Mère !
Que celui qui est heureux lève le doigt que je le traite de menteur !
C’est faux ! Il faut savoir discerner : on peut être heureux une heure, mais ce n’est pas le bonheur ; c’est un peu de bonheur.
Comme on peut être malheureux une heure, c’est seulement un peu de malheur.
Qui dit être heureux fait semblant de l’être.
Celui qui dit oui, je le suis, est un menteur ou un imbécile !
(Repris dans ma vieille boîte à secrets, j’avais alors 16 ans)
