L'inspecteur à la ferme 8

L’inspecteur à la ferme 8,
Puis il téléphona au Procureur de la République pour lui expliquer par le menu où en était son enquête. Ce dernier n’avait pas l’air content du tout et il le pressa de faire intervenir un psycho-criminologue pour interroger les deux présumés coupables. Il avait déjà la population sur le dos : Pontarlier était connu pour ses liquoreux et ce trafic d’alcool à grande échelle risquait de porter préjudice aux amateurs nombreux et aux touristes. L’inspecteur se mit presque au garde à vous et raccrocha le combiné avec les promesses et discours d’usage. Pour sûr, il lui semblait marcher sur des œufs. Il devait absolument trouver le chaînon manquant de cette affaire qui se compliquait terriblement. Il convoqua un psychologue criminologiste sur le champ ainsi qu’un avocat pour dix heures : cela lui laissait le temps de peaufiner ses renseignements et de mettre en œuvre une stratégie pour l’interrogatoire. Il appela aussi ses collègues informaticiens pour savoir ce qu’ils avaient trouvé d’intéressant sur le disque dur de Sylvain Moutier. Ils n’avaient pas entièrement fini leur boulot mais ce qu’ils avaient découvert pouvait faire avancer l’enquête : un plan détaillé de l’exploitation agricole, de ses dépendances et de ses champs avec force détail et photos à l’appui ainsi qu’une vue du pressoir et de son activité illicite avec des dates, des adresses, des noms, des numéros de téléphones, des plaques d’immatriculations étrangères… Cela voutait-il dire qu’il était impliqué dans leur trafic ou qu’il en était seulement témoin et victime ? Et la jeune fille dans ce fatras, qu’y venait-elle faire ? En tout cas, fort de ces renseignements, l’inspecteur avait un chef d’accusation contre les prévenus : trafic d’alcool illicite et contrebande. Restait à prouver le meurtre, ses hommes étant sur le terrain avec un détecteur de métaux pour trouver la douille éjectée.
A présent, il était l’heure de recevoir le criminologue et de lui expliquer par le menu les faits et aboutissants de l’enquête en cours. Aujourd’hui, la psychologie est le maître mot de toute audition. De nombreuses études montraient que les prévenus étaient plus disposés à parler, pas à avouer, mais à parler, à donner des informations s’ils avaient en face d’eux des policiers attentifs, à l’écoute, empathiques et qui ne les jugeaient pas. On s’était rendu compte que ce savoir-être était en fait plus important que le savoir-faire. D’où la nécessité de préparer soigneusement l’interrogatoire en dressant le profil du prévenu. Dans toute audition, le policier se devait de rester objectif. L’objectivité, l’impartialité, le professionnalisme et la connaissance du dossier étaient primordiaux. Pour l’enquêteur, sa principale tâche était d’être au fait de tous les éléments du dossier, que ce fut pour un suspect, une victime ou un témoin. La connaissance des personnes, de leur situation, de leur environnement était la base de son dossier. L’inspecteur se devait de rechercher la vérité et non les aveux. Les preuves scientifiques suffiraient pour les inculper ou non.
Ceci étant, il était dix heures et c’était le moment crucial pour l’interrogatoire. L’avocat commis d’office était présent, comme la loi l’exigeait. Ils commencèrent par le fils, celui qui semblait le plus fragile, tout du moins le plus disert. Il s’appelait Georges Maurel, il avait trente-cinq ans, il avait quitté l’école à quatorze ans pour aider son père à la ferme, n’avait pas de vie sentimentale officielle, il avait perdu sa mère à l’âge de six ans… Mais il restait laconique dans ses réponses et quelque peu sur la défensive. Cependant il avait le choix de garder le silence en garde à vue. Alors l’inspecteur essaya de jouer sur les cordes sensibles de son enfance, son adolescence, les filles qu’il aurait pu côtoyer, les liens qui l’unissaient à sa mère disparue trop tôt, ses passions, ses copains, sa vie à la ferme, …
Lucienne le 16.02.2016