L'inspecteur à la ferme 10

L’inspecteur à la ferme 10,
Il le fit ramener en cellule en faisant très attention à ce qu’il ne croise pas son père : il fallait éviter toutes paroles entre eux ou quelques signes de connivence que ce soient. A tous les coups, le jeune homme aurait baissé la tête comme il l’avait fait pendant des années, soumis et dépendant de ce père hargneux et autoritaire. Il s’était affaissé sur lui-même mais paraissait délivré d’un lourd secret. Seulement, il n’avait pas tout dit et le silence vis-à-vis de la jeune fille en disait plus long que s’il n’avait parlé. De toute évidence, le nœud de l’affaire se trouvait là et il lui faudrait, d’une façon comme d’une autre délier les langues.
Quand le père arriva dans le bureau, l’inspecteur se demanda par quel bout il lui faudrait le prendre il ne pensait pas que la technique utilisée pour le fils marcherait pour le père En effet, ce dernier était très taciturne et avait l’air sournois. Il s’assit le regard fuyant et la lèvre patibulaire. D’entrée de jeu, il invectiva les policiers et ne les laissa pas placer une parole. Il fallait jouer serré avec lui, sans violence mais avec beaucoup de psychologie : elle serait d’un grand secours pour faire parler cet homme bourru. L’inspecteur décida de le mettre au pied du mur et lui montra les photos en sa détention. Le vieux fermier se révulsa soudain et se mit à hurler dans le bureau. C’était un homme névrotique enclin à des crises d’hystérie et d’un naturel agressif. Mais l’inspecteur ne se laissa pas démonter pour autant par cette attitude haineuse. Il insista lourdement sur les clichés en lui mettant sous le nez et lui fit croire que le fils avait tout divulgué. Mais le vieillard ne s’en laissa pas conter. Alors l’inspecteur lui parla de sa femme, de sa vie avec elle, de son suicide. Et l’homme, soudain abattu, se mit à raconter par bribes cette vie d’avant, sa rencontre avec celle qui deviendrait son épouse, son rêve de relever la ferme familiale et ses espoirs déçus à la suite de ce décès auquel il ne s’attendait pas. Il n’avait rien vu venir et ne s’était pas aperçu de son mal-être. Il pensait que c’était une pleurnicherie de plus de sa part, sans conséquence. Elle était très fragile et n’était pas bâtie pour une vie à la ferme. C’était une citadine et elle ne se fit jamais à ce métier de fermière, loin de la ville, de sa famille, de ses amis, tous les jours levée à cinq heures pour s’occuper des bêtes, les pieds dans la boue des cochons et la bouse des vaches. Une vie si dure que celle de paysan et qui ne lui convint pas. Et il s’en voulut de l’y avoir forcée mais il y avait un fils à élever et une exploitation à faire tourner. Sans compter que les affaires périclitaient et qu’au point de vue matériel, il n’était plus aux normes. Il se battait encore pour son vaurien de fils qui ne pensait qu’à aller s’amuser dans les bals du village, à lui ramener des gourgandines à la ferme, à vouloir plus que nécessaire, à rechigner au travail de la terre… C’est la raison pour laquelle il avait embauché ce jeune stagiaire en agronomie dont le financement était en parti subventionné par la région. Mais l’inspecteur savait tout ça : il voulait en venir aux faits : ce n’était plus le moment de tergiverser. Le fermier avait été quelque peu remué et le policier s’infiltra dans la brèche avant qu’il ne reprenne ses esprits : il fallait le prendre à chaud. Il lui remontra les photos de la jeune fille, ajouta celle du fusil, du portable retrouvé chez eux, du vieux pressoir en activité et de la victime : l’homme était dans ses derniers retranchements et il savait qu’il avait perdu la partie. Il demanda à faire une pause-café avant de dévoiler leur histoire…
Lucienne le 17.02.2016