L'inspecteur à la ferme 5

L’inspecteur à la ferme 5,
Mais l’inspecteur n’était pas au bout de ses surprises. En fouillant dans le tiroir d’une vieille commode, il y trouva quelques photos récentes d’après la date inscrite au verso. Elles représentaient le fils du fermier avec une jeune fille. Elle était assez grande, mince de corpulence, elle avait l’air d’avoir du caractère mais ses traits paraissaient doux, le visage un peu arrondi, les sourcils bien dessinés, un front haut quelque peu caché par une grande mèche de cheveux blonds, des yeux clairs à priori, vêtue d’un sweat et d’un jean. Elle avait l’air de poser et n’affichait pas un franc sourire. On aurait dit un cliché de professionnel pour un album de famille, le genre de photographie que l’on fait plus par obligation que pour le plaisir. Qui était-elle par rapport aux fermiers et pourquoi n’en avoir pas parlé : était-ce un secret de famille comme il en existe tout plein dans les campagnes ? Il se dirigea vers le fils avec les photos en main et lui demanda des explications. Il avait devant lui un homme défait, les épaules tombantes, le regard fuyant, le visage soudain pâle et les mains fébriles. A n’en pas douter, cet homme était pris de panique et ne savait plus que dire ni expliquer quoique ce soit. Alors l’inspecteur se tourna vers le père mais il fut plus muet qu’une tombe. L’inspecteur fut décontenancé de ces réactions en chaîne mais il saurait faire parler ces photos. Il les placarderait dans les réseaux sociaux, dans le village, chez les commerçants, lancerait même un avis de recherche s’il le fallait. Peut-être était-elle liée à ce meurtre sordide. Mais que faisait donc cette jolie fille d’une vingtaine d’années dans la vie de ces vachers crasseux et analphabètes de surcroît : elle ne correspondait pas au profil type d’une future fermière. A l’évidence, elle ne faisait pas partie du même monde. Et puis il y avait ce portable tout neuf qui le titillait. Que venait-il faire dans leurs affaires et à qui appartenant-il ? L’inspecteur se remémora rapidement la visite de l’appentis de Sylvain Moutier et tout le matériel informatique à l’état neuf qu’il y avait trouvé. Se pouvait-il que ce téléphone lui appartint aussi ? Comment s’était-il retrouvé en leur possession ? Il restait là pensif quand les techniciens de la police scientifiques l’appelèrent. Ils avaient trouvé d’infimes traces de sang dans une pièce contiguë à la cuisine et un vieux fusil de chasse calibre vingt caché sur le chapeau d’une antique armoire normande. L’inspecteur commençait à respirer : enfin des éléments très intéressants pour faire avancer son enquête. Pendant que les hommes poursuivaient leur recherche d’indices, il se tourna vers les fermiers avec en main les preuves accablantes mises rapidement sous scellés. Les deux hommes restèrent stoïques : ils étaient devenus blêmes mais aucun des deux ne prononça un mot. Il téléphona alors au juge d’instruction pour un mandat d’amener pour les fermiers et un mandat de recherche pour la jeune fille. Il attendit l’accord de ses supérieurs pour mettre en route la machine judiciaire. Ces deux lascars dormiraient en cellule ce soir : ils étaient soumis à une garde à vue de vingt-quatre heures et plus si nécessaire. En espérant que cette mise à l’épreuve saurait les dérider quelque peu. Ils passeront au préalable une visité médicale et auront droit à un avocat commis d’office. Des plats leur seront servis aux heures des repas et ils feront l’objet d’une fouille systématique afin de s’assurer qu’ils ne détiennent pas d’objets dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui.
Pendant que les techniciens continuaient à chercher des indices dans la maison et les pièces attenantes, l’inspecteur fit surveiller de près les présumés innocents par ses hommes. Il voulait faire un petit tour au vieux pressoir. Il ne savait pas ce qu’il allait y trouver mais c’était la seule chose dont le fils avait parlé : un trafic d’alcool. Il n’était pas interdit de fabriquer de la piquette pour son besoin quotidien. Mais il était interdit de vendre de l’absinthe, cette fameuse fée verte interdite depuis 1915. Cependant, il savait très bien que dans les campagnes reculées, elle se fabriquait toujours sous le couvert. Là aussi, il avait dépêché une équipe de scientifiques pour y voir de plus près. Il voulait en avoir le cœur net et ne voulait pas passer à côté de preuves éventuelles. Il était tellement facile d’accuser un mort. Et il ne fut pas déçu. Ces hommes avaient trouvé des caisses entières de bouteilles pleines d’alcool, pas encore estampillées ni bouchonnées. Ils lui confirmèrent que c’était bien du génépi presque prêt à être livré mais à qui ? En tous cas, il y en avait pour de l’argent : trois cent bouteilles attendaient de partir et le pressoir était encore plein d’armoise et d’alcool à quatre-vingt-dix degrés pour le macérât. : C’était une mine d’or qu’il avait trouvé. Restait à savoir qui des fermiers ou de Sylvain Moutier trafiquaient cet alcool et pour l’expédier vers quel pays. Se pouvait-il qu’ils aient démantelé un trafic d’alcool à haut niveau ?…
Lucienne le 14.02.2016