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LES CHEMINS DE HASARD
AU PAYS DE NULLE PART
Ce que nous pensons être le hasard n'est sans doute que la concrétisation d'un rêve inavoué, d'un espoir ou d'une rencontre manquée ailleurs.
La vie revient sur ses pas et nous pensons hasard.
Je marche sagement au chemin quotidien, ne cueillant plus les fleurs que la vie m'offrent encore. Leurs parfums ne grisent plus mon âme assoupie dans la torpeur de son décor. J'avance lentement vers mon dernier carrefour pas encore sûre du choix des derniers instants.
Devant moi s'ouvre une forêt de jours. Quelques timides rayons de soleil traversent sa sombritude. Juste de quoi éclairer un bout du sentier, juste un petit bout du chemin perdu dans les broussailles du présent. Dans mon dos je sens se refermer les portes du passé. Elles claquent dans le vent des regrets qui se lève rageur et bruyant.
Dans son souffle des voix murmurent des paroles presque inaudibles. J'en perçois des bribes :
"Qu'as-tu fait de ta jeunesse ? Qu'as-tu fait de tes amours ? Pourquoi oublies-tu tout ce qui t'a faite telle que tu es, pourquoi te laisser enfermer aux murs de solitude, pourquoi t'arrêter au bord de la vie ? "
Pourquoi ? Parce que je n'ai plus envie de me battre, parce que la vie m'a volé mon passé, broyé mon présent, anéanti mon futur. Parce que je paye cher mes mauvais choix. Parce que je suis la prisonnière de mes devoirs. Mais qui ne commet jamais d'erreurs? Qui ne se trompe jamais de route ?
Doit-on sa vie entière être responsable d'un instant d'inattention ? Doit-on toute sa vie subir les erreurs des autres et en assumer les terribles conséquences ?
C'est ma vie au jour le jour. Mais il est trop tard pour m'en éloigner.
Alors je rejoins mes chemins de hasard dans mon pays de Nulle Part. Et je m'évade sur les ailes de mes rêves inventés, espérés, oubliés. Mon pays de Nulle Part est celui de tous ces espoirs inassouvis, égarés dans le quotidien ronronnant ou encore fracassés sur le mur des habitudes et sa routine.
J'aime à m'y retrouver le plus souvent possible. Une bulle pour moi seule. Je l'ai inventée et je l'entretiens avec tout l'amour qui reste au fond de mon cœur.
J'ai semé au bord de mes fossés les fleurs qui parfumaient mes hiers, planté des arbres où mûrissent mes regrets, des buissons de souvenirs qui jalonnent mes demains. Je respire de ci, delà des effluves de l'enfance. Comme elle était douce et insouciante. Comme mon ciel était bleu et les vagues de la mer soyeuses sous mes pieds.
Je m'isole au pays de Nulle Part. Je m'invente une vie en rose et en douceur. J'y trouve le repos, la sérénité du cœur, l'apaisement de l'âme. Personne ne vient troubler mon espace irréel, suspendu entre rêve et réalité. Je m'y ressource pour pouvoir avancer, pas après pas, jour après jour, vers la fin du chemin de ma vie.
Au sommet de la falaise de mon temps, je lance aux mouettes moqueuses les cailloux du chemin parcouru. Elles vont les engloutir dans l'océan Incompréhension. Dans les abysses profonds des gestes inutiles, des retours en arrière impossibles.
C'est mon pays de Nulle part, mon havre de paix, mon auxiliaire de vie.