II
Ainsi tu gémissais, poète, ami des chênes,
Toi qui gardes encor le culte des vieux jours.
Tu vois l'homme altéré sans ombre et sans fontaines ;
Va ! l'antique Cybèle enfantera toujours !
Lève-toi ! c'est assez pleurer sur ce qui tombe ;
La lyre doit savoir prédire et consoler ;
Quand l'esprit te conduit sur le bord d'une tombe,
De vie et d'avenir c'est pour nous y parler.
Crains-tu de voir tarir la sève universelle,
Parce qu'un chêne est mort et qu'il était géant ?
Ô poète ! âme ardente en qui l'amour ruisselle,
Organe de la vie, as-tu peur du néant ?
Va ! l'oeil qui nous réchauffe a plus d'un jour à luire ;
Le grand semeur a bien des graines à semer.
La nature n'est pas lasse encor de produire :
Car, ton coeur le sait bien, Dieu n'est pas las d'aimer.
Tandis que tu gémis sur cet arbre en ruines,
Mille germes là-bas, déposés en secret,
Sous le regard de Dieu, veillent dans ces collines,
Tout prêts à s'élancer en vivante forêt.
Nos fils pourront aimer et rêver sous leurs dômes ;
Le poète adorer la nature et chanter :
Dans l'ombreux labyrinthe où tu vois des fantômes,
Un idéal plus pur viendra les visiter.
Croissez sur nos débris, croissez, forêts nouvelles !
Sur vos jeunes bourgeons nous verserons nos pleurs ;
D'avance je vous vois, plus fortes et plus belles,
Faire un plus doux ombrage à des hôtes meilleurs.
Vous n'abriterez plus de sanglants sacrifices ;
L'âge emporte les dieux ennemis de la paix.
Aux chants, aux jeux sacrés, vos séjours sont propices ;
Votre mousse aux loisirs offre des lits épais.
Ne penche plus ton front sur les choses qui meurent ;
Tourne au levant tes yeux, ton coeur à l'avenir.
Les arbres sont tombés, mais les germes demeurent ;
Tends sur ceux qui naîtront tes bras pour les bénir.
Poète aux longs regards, vois les races futures,
Vois ces bois merveilleux à l'horizon éclos ;
Dans ton sein prophétique écoute les murmures ,
Écoute ! au lieu d'un bruit de fer et de sanglots,
Sur des coteaux baignés par des clartés sereines,
Où des peuples joyeux semblent se reposer,
Sous les chênes émus, les hêtres et les frênes,
On dirait qu'on entend un immense baiser.