LA POÉSIE EST MUSICALE
ESSAI.
La poésie, à ses origines, a souvent été rapprochée de la musique, au point de se confondre, dans l'Antiquité grecque, puisque la poésie lyrique désignait à la fois la poésie et le chant. Au Moyen Âge, de nombreuses formes poétiques, telles que la
chanson de toile[i] (évoquant des amours malheureuses), la [i]ballade ou encore le
rondeau, suggéraient un accompagnement musical, et que les poètes ont été des paroliers d'interprètes célèbres.
Par son étymologie même, le
lyrisme, expression passionnée de sentiments personnels, tristes ou heureux, est en rapport étroit avec l'idée de musique et de chant. Nous ne devons pas oublier qu'il est forgé sur le mot "
lyre" qui, dans l'Antiquité, désignait les poèmes chantés, comme les
"Odes", par exemple.
Quant à la
chanson de geste (ou poème épique), troubadours et jongleurs l'illustrèrent sur un accompagnement musical. Même au XXe siècle, des poètes célèbres ont été des paroliers à succès.
Jacques PREVERT a composé des poèmes qui sont presque naturellement devenus des chansons populaires, dont le fameux : "
Barbara", pour ne citer que lui, a été interprété par
Serge REGGIANI. Mais on pourrait citer aussi
Boris VIAN, passionné de jazz et excellent trompettiste. C'est qu'en jouant autant sur les mots, la poésie aspire à devenir musique, à suggérer les mouvements de l'âme les plus secrets. Par les effets sonores de la rime et par le rythme des sons, la poésie EST musique ; son harmonie imitative consiste à faire coïncider le sens des mots avec leur sonorité. Et, en cela, la rime est un autre moyen d'exploiter les ressources phonétiques des mots, car elle est autant faite pour l'œil que pour l'oreille. Elle crée un thème sonore, de la même façon dont on parle en musique d'un
thème mélodique.
Pour de nombreux poètes, notamment chez les "
symbolistes", la musique est l'essence même de la poésie. Elle assure, en outre, l'unité du poème, du fait que la rime se caractérise par le retour, à la fin de deux ou plusieurs vers, de la même syllabe, donc du même son. En musique, on parle d'un
rythme de base ou d'un
leitmotiv.
Il suffit d'ailleurs de relever les instruments auxquels les poètes se réfèrent : violons, mandolines, luths, haut-bois :
"Du luth et du pinceau j'ébatterai ma vie"… (Joachim du Bellay)
"La viole qui frôle encor sa frêle main
Charme sa solitude et sa mélancolie"… (José Maria de Heredia)
"O, suprême clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges"… (P. Rimbaud)
BAUDELAIRE associe, par exemple, le
"vert paradis des amours enfantines" avec :
Les violons vibrant derrières les collines
dans les
Fleurs du mal, alors que
VERLAINE évoque, de son côté :
"Les sanglots longs
Des violons
De l'automne"
dans ses "
poèmes saturniens".
Le jeu des sonorités, à l'intérieur du vers, est déterminé par les
assonances (répétitions de voyelles) et les
allitérations (répétition des consonnes). Une tentative a bien été faite pour créer une poésie entièrement fondée sur l'esthétique des sons ; il s'agit du
lettrisme. Mais ce mouvement des premiers
Dadaïstes connût un échec, montrant bien que le jeu des sonorités a quand même des limites au-delà desquelles on peut se poser la question s'il y a encore poésie.
Ce qui frappe, quand on s'intéresse au problème du "
symbolisme" des sons linguistiques, c'est la permanence de la réflexion sur le sujet. Les sons peuvent se charger de sens en jouant sur la différence entre voyelles et consonnes car ils constituent une échelle des sons vocaliques. Mais attention de ne pas chercher ainsi à "corriger" volontairement la langue, en changeant les mots : faisons-les entrer, bien au contraire, dans l'organisation sonore des vers.
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Bibliographie des ouvrages consultés :
La versification de Michèle Aquien.
Presses Universitaires de France. 1990.La poésie au XIXe et au XXe siècle. de Didier Sevreau.
Editions Hatier. 2000La poésie de Jean-Louis Joubert.
Editions Armand Colin. 1998.