LE COIN POÉTIQUE DE FRIPOU
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 Le cabaret du "CHAT NOIR" (Article)

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AuteurMessage
André Laugier

André Laugier


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MessageSujet: Le cabaret du "CHAT NOIR" (Article)   Le cabaret du "CHAT NOIR"  (Article) EmptyMer 15 Juil - 19:36

LE CHAT NOIR

Si je vous dis : « Chat Noir », à quoi cela vous fait-il penser ? Non, il ne s’agit pas de mon matou d’appartement, pas plus qu’une allusion à une malchance quelconque traduite souvent, sous l’appellation argotique de « scoumoune ».

Ce qui ne fut, au départ, en 1880 qu’un simple lieu de haltes privées, dans un local d’environ 4 mètres sur 4, encombré de vieilles tables, de chaises d’époque, de brocs de cuivres ternis, de tapisseries poussiéreuses, puis servant de dépôt à un comptoir imposant chargé de bouteilles de toutes sortes, de verres, auxquels virent s’ajouter des toiles plus ou moins réussies de jeunes peintres en mal de reconnaissance, et venant s’entasser parmi cet amis d’objets les plus hétéroclites dans un désordre indescriptible, changea peu à peu de visage, sous l’impulsion d’un jeune homme impétueux, Rodolphe SALIS, âgé alors de vingt-neuf ans. Il avait fréquenté les Beaux-Arts mais, pressentant qu’il n’atteindrait jamais la renommée il lui vint une idée lumineuse quand il s’intéressa à la bâtisse.

Grâce à un mariage réussi avec une superbe femme qui possédait quelques économies de famille, il décida d’acquérir les lieux afin d’ouvrir un débit de boissons. Avec l’aide financière et les connaissances acquises auprès de son père, distillateur assez pourvu et reconnu auprès d’une large clientèle coutumière de son savoir et de ses bons alcools, il se lança dans l’aventure.

Le vieux local se situait tout près de l’Elysée-Montmartre, très exactement au 84, boulevard Rochechouart. A l’origine un ancien bureau.

Trouver le nom d’une enseigne, pour le jeune SALIS, qui s’octroyait désormais le titre pompeux de « gentilhomme cabaretier », ne fut pas une chose facile. Il hésita longtemps entre les vocables ampoulés tels que « Le Grand Pélican », « l’Aigle d’Or », « Le Royal Bacchus », « Dionysos », et bien d’autres. Grand admirateur d’Edgar POE, il eut la révélation d’un panneau évocateur, symbolisant à la fois le mystère, tantôt bénéfique, tantôt malsain, se rattachant au félin, tout en suggérant les caractères capricieux et capiteux de la féminité.

Il avait enfin choisi. Le nom porterait celui de : « Chat Noir ». Une rencontre fortuite avec Emile GOUDEAU, employé de ministère, et auteur de livres à succès, au Cabaret de la « Grande Pinte », à la rue des Martyrs (de l’alcool ?) à son dîner d’ouverture, allait sceller le destin du « Chat Noir », et décider du déplacement irréversible des poètes du quartier Latin vers Montmartre.

GOUDEAU, prenant ses assises et s’établissant en maître des lieux au « Chat Noir » l’aventure devint publique, créant un élan spontané et populaire, l’homme étant connu par la création, en 1878, de son fameux « Club des Hydropathes » où se regroupaient les « Décadents ». Il devint, rapidement, rédacteur en chef de l’hebdomadaire portant le même nom que l’enseigne du Cabaret. Inventif, polémiste remarquable, délirant aussi, bien que mélancolique, imprévisible et grave, son association avec SALIS montra qu’ils étaient capables, à eux deux, d’accueillir aussi bien les gouapes que les souverains, les maîtres que la tourbe.

Une dynamique se développe. Hydropathes, Fumistes, Hisurtes, Décadents, Amorphes et Incohérents venaient de franchir définitivement la Seine dans le sillage de ces deux compères autoritaires et parodiques.

Le journal du « Chat Noir » connaît 688 numéros, et s’étale sur la période du 14 janvier 1882 au 30 mars 1895. Avec des succès divers. Une seconde série, en un format différent, connaît, quant à elle, 122 fascicules, du 6 avril 1895 au 4 septembre 1897. Elle cesse en pleine gloire. Ses auteurs préférant se consacrer, entièrement, au cabaret.

Au cabaret « Le Chat Noir » le talent, d’où qu’il vienne, est accueilli à portes ouvertes. Le public s’amuse, aime ou déteste, mais ne reste indifférent. Tout l’art consiste à séduire le plus de monde possible. On y déclame des poèmes, des contes, des nouvelles, des essais. On commente les chroniques littéraires du moment. Tout est repris dans les dernières parutions de l’organe du « Club ». Le sommaire est alléchant, éclectique, varié, contrasté, le tout dans une verve drolatique, sucrée et amère à la fois.

Au fur et à mesure que les années passent, de nombreux écrivains et poètes viennent rejoindre le « Chat Noir ». Pour ne citer que les plus connus : Clément PRIVE, Alphonse ALLAIS, VERLAINE, MORIAS, Maurice ROLLINAT, Jean RICHEPIN, Charles CROS, Jean RICHEPIN, Germain NOUVEAU, Villiers de L’ISLE-ADAM, Albert SAMAIN, Stéphane MALLARME, Théodore de BANVILLE. Ils contribuèrent à donner un essor mondain et une inspiration littéraire élevée aux derniers numéros du journal, tandis que la fréquentation de l’endroit favorise le rassemblement de l’élite de la rhétorique à la recherche d’un idéal littéraire libéré des contraintes de tout préjugé et des dogmes ciblés.

SALIS parvient à agrandir son domaine, en chassant par des moyens assez sordides, un artisan horloger qui tenait une échoppe mitoyenne. Après avoir vainement résisté, l’horloger jeta l’éponge et rendit son bail.

Une seule et mince cloison à abattre et SALIS l’expropriateur pu enfin savourer sa dérisoire victoire, disposant, à présent, d’un vaste espace consacré aux Serviteurs de Calliope, d' Erato et de Polymnie, dans un environnement fleurant bon l’absinthe et la fumée de tabac.

Le cabaret du « Chat Noir », devant le succès grandissant, et ne pouvant plus contenir la foule des auteurs et des admirateurs, déménagera du boulevard Rochechouart pour d’établir, désormais, rue de Laval. Cela eut lieu en 1885, au mois de juin.

Plusieurs salles ont été savamment baptisées : salle François VILLON, Le CABARET, salle des Gardes (bar-fumoir), la salle des Colonies, la Bibliothèque Secrète, la salle privée des Armures, la salle des Rédactions[/i], etc… L’Hostellerie du « Chat Noir » accueillait chanteurs, parodistes, poètes, historiens, philosophes, écrivains. Cette véritable institution, durant plus de quinze ans, profita à tous ceux qui, en cette période « d’anarchie littéraire », comme le fit remarquer Jules LEMAITRE, s’inscrivirent dans la lignée de l’alchimie folle, légère et déjantée du verbe. Elle profitait autant au lancement qu’à la consécration de carrières fulgurantes, qu’à la fossilisation soudaine de talents mineurs ou incompris.

L’alcool et l’ambiance, la magie des lieux, une gaie anarchie de styles et d’idées, un bouleversement de la pensée, la libération d’un langage, une mode flattée, lourde ou fleurie !
Le « Chat Noir », c’est un peu et tout ça à la fois. Certainement une tendance salutaire qui a permis de pérenniser dans leur fonction de poètes émérites des écrivains devenus incontournables, dans un esprit parfois révolutionnaire pour l’époque, mais dont l’émulation, la concurrence et le prosélytisme, ainsi que souvent la rivalité et le zèle ont laissé une trace indélébile de génie.

Le fait que cette époque ait survécu à l’épreuve du temps montre que le souvenir ne s’efface pas en nos mémoires, tant les faits ont contribué à faire germer dans l’esprit de grands hommes et penseurs, une philosophie qui n’a fait que se conforter dans les méandres du temps.
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