L'inspecteur reprend du service 9

L’inspecteur reprend du service 9,
Dès qu’il les vit, il sentit qu’il aurait du fil à retordre avec eux. Ils avaient été menottés et étaient serrés de près par les forces de l’ordre. Ils étaient séparés pour qu’ils ne puissent communiquer, assis chacun sur une chaise du salon, têtes fières et orgueilleuses, le regard mauvais et le rictus aux lèvres : 'ils ne s’en laisseraient pas conter et l’inspecteur devrait user de subterfuges pour les faire parler. Mais il en avait vu d’autres et il se devait de tout savoir sur cette affaire peu banale. Pendant l’interrogation, le couple adopta une attitude fuyante voire opposa d’abrupts refus d’obtempérer, déjouant ses plans, l’obligeant à changer de stratégie.  Il lui fallait les maintenir éloignés l’un de l’autre afin que les époux crapuleux ne puissent se concerter d’un regard ou d’un dodelinement de tête.  Il décida alors de les amener au commissariat de police manu militari dans deux véhicules différents. Il espérait ainsi les ébranler et pourquoi pas, leur faire perdre leur belle arrogance et leur mutisme forcené.
Les ordres ainsi donnés à ses hommes de main, l’inspecteur retourna à l’appentis du jardinier : ce dernier allait beaucoup mieux et il discutait avec le médecin légiste. Il avait repris confiance et belles couleurs. Son regard était clair et ses gestes élégants. Il avait l’air navré de tout ce remue-ménage à cause de lui mais accueillit l’inspecteur avec un grand sourire et une poignée de main franche et généreuse. Il demanda des nouvelles de Mademoiselle de Serreville et s’acquerra de sa santé. Ainsi rassuré, il raconta son histoire digne des plus noirs polars de l’avant-guerre.
"C’était il y a presque six mois, un soir d’été. Je vaquais à mes occupations ordinaires quand une voiture déboula en trombe dans la propriété. Je n’eus pas le temps de souffler que je fus pris à partie par deux personnes, un homme et une femme, une arme blanche dans les mains ainsi que des poings américains et ils commencèrent à me tabasser sans raison apparente. Ils cherchaient la propriétaire de la maison pour récupérer, d’après leurs dires, leurs biens familiaux. Ils disaient s’appeler de Serreville et se voulaient cousins germains de la jeune femme, mais Mademoiselle Florence ne m’avait jamais parlé d’eux auparavant. J’ai voulu m’interposer et leur interdire l’accès de la demeure quand ceux-ci me ligotèrent et me bâillonnèrent prestement avant de m’abandonner dans mon appentis où vous m’avez trouvé. Je n’ai pas eu le temps d’avertir le majordome de cette arrivée intempestive. Ils ont mis à sac mon logis pour chercher la correspondance que j’avais avec ma propriétaire et m’ont laissé enfermé pendant des mois. Ils venaient deux fois par jour pour me sustenter, m’interroger sur la jeune femme et intercepter ses courriers. Ils m’obligeaient à dormir toute la journée en me faisant respirer de fortes doses de chloroforme.
Voilà, Monsieur l’inspecteur, je vous ai tout dit : j’espère que vous les avez arrêtés et qu’il n’est rien arrivé de fâcheux à Monsieur Lee, le majordome. C’est un maître d’hôtel excellent, très discret et qui n’a pas son pareil pour tenir cette maison".
L’inspecteur se sentit soudain mal à l’aise : comment lui expliquer que monsieur Lee avait été assassiné et enterré à quelques mètres de son habitation ? Il le rassura sur le sort de sa jeune propriétaire et lui promit qu’il la verrait dès qu’il sera remis complètement. Il semblait encore un peu faible et avait besoin de convalescence. Le médecin appela le cabinet de psychologie pour le soutenir et lui faire oublier, autant que faire se peut, les angoisses de ce calvaire enduré si longtemps.
Le policier en savait plus sur cette affaire : ces personnages redoutables avaient jeté leur dévolu sur cette magnifique propriété sous prétexte de liens familiaux. Ils en avaient séquestré le jardinier et éliminé le majordome : pourquoi un et pas l’autre ? Que c’était-il donc passé dans cette maison pour en arriver là ? Avaient-ils projeté aussi la disparition de Florence de Serreville ?  Que comptaient-ils faire de cette maison et son grand parc qui ne leur appartenaient pas ? Ils avaient déjà refourgué les beaux meubles et les tableaux aux chineurs du coin… Se pouvaient-ils qu’ils cherchaient à la vendre au plus offrant ? Le notaire était-il complice de cette frauduleuse transaction ? Pour quelle raison avaient-ils laissé partir Mademoiselle de Serreville lors de sa visite, sans la mettre hors état de leur nuire ?…
Lucienne le 06.02.2016