L'inspecteur reprend du service 3

L’inspecteur reprend du service 3,
Il se dirigea donc vers la porte d’un pas alerte et, une fois n’est pas coutume, se prit de nouveau les pieds dans le vieux tapis usé qui lui servait de paillasson. Il se retrouva projeté par terre, presque sous son bureau quand la porte s’ouvrit précipitamment : le vieux détective n’était pas dans sa meilleure forme pour recevoir. Il était colère, mais il garda son flegme naturel, se releva d’un coup de reins, replaça d’un geste vif ses mèches rebelles et épousseta rapidement ses vêtements froissés.
Il afficha un sourire de circonstance pour saluer la visiteuse qui se retenait de pouffer de rire.
C’était une jeune femme très belle et de haute lignée, du moins au premier regard. Elle portait un tailleur griffé de chez Chanel, un sac à main estampillé Louis Vuitton, des bijoux discrets mais de grande valeur et un parfum à tomber par terre : une fragrance de Dior émanait d’elle à chacun de ses mouvements.
Elle se présenta comme étant mademoiselle Florence de Serreville, qu’elle passa son enfance entre un château médiéval en Lorraine et une maison ancienne à Lekueder dans le pays Basque et qu’elle s’était tournée vers la danse classique dès son plus jeune âge. Elle était partie aux Amériques pour y faire carrière, mais un accident à la jambe mit fin à toute activité chorégraphique. Elle était donc revenue en France dans le domaine familial. Et qu’elle ne fut pas sa surprise d’en trouver de nouveaux propriétaires, des gens qu’elles ne connaissaient pas et qui la reçurent très sèchement, voire avec condescendance.
Dans la maison, tout avait été chamboulé : les meubles Louis XV avaient disparu pour faire place à du contemporain, les portraits de ses ancêtres avaient été décrochés, remplacés par des peintures modernes, le salon ne ressemblait plus à celui de son enfance et le parc semblait laissé à l’abandon.
Ses hôtes ne semblaient pas issus de grandes familles : leur langage était assez pauvre et leur gestes très désordonné. Ils lui servirent un thé froid et insipide, qu’elle but du bout des lèvres : l’atmosphère devenait irrespirable et la conversation sans intérêts. Elle chercha néanmoins à savoir pourquoi ils étaient en ces lieux, dans une maison lui appartenant de plein droit, où était passé son personnel de maison resté sur place pour l’entretien du domaine et qu’était devenu le jardinier sensé s’occuper du parc et de ces chers rosiers durant son absence.
Mais elle ne reçut aucune réponse qui la satisfît : ces gens-là étaient obtus, grossiers et la mirent à la porte sans autre forme de procès ! Il n’était point prudent de vouloir insister, au risque de se mettre en danger.
En sortant, elle caressa machinalement les deux angelots comme elle en avait l’habitude pendant son enfance et se dirigea vers le grand portail de fer forgé, tout rouillé par le temps et le manque d’entretien. Mais où était donc passé le jardinier attaché à son domaine ? Sa présence manquait énormément à ce magnifique jardin qu’elle parcourait jadis avec bonheur, à cueillir des roses pour sa mère et à jouer à cache-cache derrière les massifs fleuris, très bellement entretenus.
Elle se retourna une dernière fois pour voir l’étendue des dégâts. Elle se promit de récupérer son bien immobilier et de le restaurer, si possible, comme dans ses souvenirs d’enfance !
Ainsi l’inspecteur ne s’était point trompé : c’était une dame de haut lignage qui avait perdu en cours de route son titre de noblesse et qui était maintenant spoliée de sa propriété.
Et les mots du courrier énigmatique lui revinrent à l’esprit : se pouvait-il qu’elle en fut l’auteure ?…
La jeune femme acheva son récit les larmes aux yeux et les mains tremblantes d’émotion. Son angoisse était palpable et l’inspecteur lui tendit un mouchoir en papier : il était si ému par son histoire, mais en même temps très soucieux…
Lucienne le 29.01.2016