André Laugier
Messages : 7157 Date d'inscription : 25/01/2015 Age : 82 Localisation : Marseille
| Sujet: Poèmes "Mardi gras" et "Carnaval" Mar 13 Fév - 13:49 | |
| Théodore de BANVILLE
Mardi gras
Aussi fou qu’un essaim de guêpes, Car il ne faut pas qu’on s’y trompe, Mardi-gras, qui mange des crêpes, Est venu, sonnant de la trompe.
Donc, mon ami Paul, et toi, Lise, Amusez-vous. Ce qu’on achève Et qu’à propos on réalise, N’est plus dans le pays du rêve.
Mais n’allez pas au bal. C’est triste. C’en est fini du Veau qui tette, Et lointain comme un guitariste, Chicard n’est plus qu’une épithète.
Donc, Lise, dont le fier corsage Cache mal un sein couleur d’ambre, Et toi, Paul, croyez un vieux sage: Faites le bal dans votre chambre.
Amants fiers de porter des chaînes, Dansez un pas naturaliste! Voyagez aux rives prochaines, Comme le veut mon fabuliste.
Je le sais bien, moi que la Muse A dressé pour son dithyrambe, En nul endroit on ne s’amuse Mieux que devant un feu qui flambe.
Pour le carnaval, trop précaire, Il faut pourtant qu’on se déguise; Si l’on veut, en Robert Macaire, Et s’il le faut, en duc de Guise.
Toi, Paul, mets ta chemise russe, Et toi, Lise aux charmantes poses, Déguise-toi, pleine d’astuce, En femme qui met des bas roses.
Et soupez! Lise, fleur humaine, Si l’on peut t’adorer comme ange, Pour imiter le fils d’Alcmène Il est essentiel qu’on mange.
Si tu veux que Paul sur tes lèvres Se livre aux plus tendres sévices, Sur une assiette de vieux Sèvres Épluche-lui des écrevisses.
Et pour mêler toutes les joies, Commande, ô guerrière jalouse, La fine terrine de foies Gras, chez Tivollier de Toulouse.
L’Éden, il faudrait que tu l’eusses, O femme du ciel émanée! Pour cela, bois du Lur Saluces Après un peu de Romanée.
O Paul, sois prévoyant! Profite Du temps où tu n’es pas obèse, Et tandis que Lise t’invite, Baise sa bouche, et la rebaise.
Car ce bonheur, que tu répètes, Vaut bien les douleurs éternelles D’entendre hurler des trompettes Et de voir des polichinelles ! _________________
Agénor ALTAROCHE (1811-1884)
LES MASQUES
C'est le grand jour des mascarades ; Le bon public prend ses ébats, Et partout sur nos promenades Il fait cortège au mardi gras. Au froid, sur la dalle fangeuse, Grippé, culbuté, suffoqué, Il a pourtant mine joyeuse Il est masqué.
Voyez ce jeune homme qui brille Dans un équipage à blason. C'est un noble fils de famille, Héritier de bonne maison. A sa glorieuse misère Pour qu'un château soit colloqué, La Cour en fait un Bélisaire... On l'a masqué.
Un tilbury se précipite... Prenez bien vos précautions ; C'est le Christ de la commandite, Et le Calvin des actions. Il éclabousse en fashionable L'actionnaire interloqué. Aujourd'hui, c'est un honorable... Il est masqué.
Ce gros joufflu, c'est le Neptune Dont les tritons baignent Paris. Il a liquidé sa fortune Dans le peignoir à juste prix. D'un A. V. qu'un cimier surmonte, Son linge est aujourd'hui marqué. Pour rire on en a fait un comte... Il est masqué.
A la Pologne qu'il torture Le czar promet paix et bonheur. Le roi de Naples à sa future De ses feux témoigne l'ardeur. Il a le pied levé, l'infime ! Et l'autre a ses canons braqués... Peuple, alerte ! Prends garde, femme ! Ils sont masqués.
« Je veux une geôle lointaine, Dit Rosamel, mais sans rigueurs. Ma prison sera douce et saine ; Sous les barreaux naîtront des fleurs. » Ah ! Si, pour ce projet sinistre, Vos votes étaient extorqués, Vous jugeriez bagne et ministre... Ils sont masqués.
On répète aux rois de la terre, Que le peuple calme, enchanté, S'endort dans son destin prospère, Et fait fi de la liberté. La part qu'il a peut lui suffire, Dans son ilotisme parqué... Ce n'est point là le peuple, sire ! On l'a masqué. __________________
Gérard COTON
VENI ETIAM... VENEZIA !
Vérone , Vicenze , Venise , Et le train s'arrêta Pour que l'âme s'irise , Près de Santa Lucia . Voici le Carnaval , Ses fêtes et ses bals , Et le cyan des canaux Peints par Canaletto . Aux âmes grises Qui trop souvent devisent , Voici donc l'heure exquise Des Roses de Venise . Ces fleurs de limon Qui sont souvent de pierre Protègent en leur sein Le coeur de Canova . Elles ravissent nos fronts Des couleurs de lumière Que ce sculpteur divin Sans cesse habilla . Va vers l'allégresse D'une bulle de Vivaldi Pour la belle comtesse Du palais Grimani . Comtesse aux pieds nus Qui pour moi est venue Danser au fil de l'eau Sur le bleu des canaux . Shakespeare y parle d'Otello , Byron du doge Mocenigo , Casanova des arches du Rialto , Moi des Chimères de Carpaccio . _________________
Alfred de MUSSET
À LA MI-CARÊME
Le carnaval s'en va, les roses vont éclore ; Sur les flancs des coteaux déjà court le gazon. Cependant du plaisir la frileuse saison Sous ses grelots légers rit et voltige encore, Tandis que, soulevant les voiles de l'aurore, Le Printemps inquiet paraît à l'horizon.
II
Du pauvre mois de mars il ne faut pas médire ; Bien que le laboureur le craigne justement, L'univers y renaît ; il est vrai que le vent, La pluie et le soleil s'y disputent l'empire. Qu'y faire ? Au temps des fleurs, le monde est un enfant ; C'est sa première larme et son premier sourire.
III
C'est dans le mois de mars que tente de s'ouvrir L'anémone sauvage aux corolles tremblantes. Les femmes et les fleurs appellent le zéphyr ; Et du fond des boudoirs les belles indolentes, Balançant mollement leurs tailles nonchalantes, Sous les vieux marronniers commencent à venir.
IV
C'est alors que les bals, plus joyeux et plus rares, Prolongent plus longtemps leurs dernières fanfares ; À ce bruit qui nous quitte, on court avec ardeur ; La valseuse se livre avec plus de langueur : Les yeux sont plus hardis, les lèvres moins avares, La lassitude enivre, et l'amour vient au coeur.
V
S'il est vrai qu'ici-bas l'adieu de ce qu'on aime Soit un si doux chagrin qu'on en voudrait mourir, C'est dans le mois de mars, c'est à la mi-carême, Qu'au sortir d'un souper un enfant du plaisir Sur la valse et l'amour devrait faire un poème, Et saluer gaiement ses dieux prêts à partir.
VI
Mais qui saura chanter tes pas pleins d'harmonie, Et tes secrets divins, du vulgaire ignorés, Belle Nymphe allemande aux brodequins dorés ? Ô Muse de la valse ! ô fleur de poésie ! Où sont, de notre temps, les buveurs d'ambroisie Dignes de s'étourdir dans tes bras adorés ?
VII
Quand, sur le Cithéron, la Bacchanale antique Des filles de Cadmus dénouait les cheveux, On laissait la beauté danser devant les dieux ; Et si quelque profane, au son de la musique, S'élançait dans les choeurs, la prêtresse impudique De son thyrse de fer frappait l'audacieux.
VIII
Il n'en est pas ainsi dans nos fêtes grossières ; Les vierges aujourd'hui se montrent moins sévères, Et se laissent toucher sans grâce et sans fierté. Nous ouvrons à qui veut nos quadrilles vulgaires ; Nous perdons le respect qu'on doit à la beauté, Et nos plaisirs bruyants font fuir la volupté.
IX
Tant que régna chez nous le menuet gothique, D'observer la mesure on se souvint encor. Nos pères la gardaient aux jours de thermidor, Lorsqu'au bruit des canons dansait la République, Lorsque la Tallien, soulevant sa tunique, Faisait de ses pieds nus claquer les anneaux d'or.
X
Autres temps, autres moeurs ; le rythme et la cadence Ont suivi les hasards et la commune loi. Pendant que l'univers, ligué contre la France, S'épuisait de fatigue à lui donner un roi, La valse d'un coup d'aile a détrôné la danse. Si quelqu'un s'en est plaint, certes, ce n'est pas moi.
XI
Je voudrais seulement, puisqu'elle est notre hôtesse, Qu'on sût mieux honorer cette jeune déesse. Je voudrais qu'à sa voix on pût régler nos pas, Ne pas voir profaner une si douce ivresse, Froisser d'un si beau sein les contours délicats, Et le premier venu l'emporter dans ses bras.
XII
C'est notre barbarie et notre indifférence Qu'il nous faut accuser ; notre esprit inconstant Se prend de fantaisie et vit de changement ; Mais le désordre même a besoin d'élégance ; Et je voudrais du moins qu'une duchesse, en France, Sût valser aussi bien qu'un bouvier allemand. _________________
Théophile GAUTIER
CARNAVAL Venise pour le bal s'habille. De paillettes tout étoilé, Scintille, fourmille et babille Le carnaval bariolé. Arlequin, nègre par son masque, Serpent par ses mille couleurs, Rosse d'une note fantasque Cassandre son souffre-douleurs. Battant de l'aile avec sa manche Comme un pingouin sur un écueil, Le blanc Pierrot, par une blanche, Passe la tête et cligne l'oeil. Le Docteur bolonais rabâche Avec la basse aux sons traînés; Polichinelle, qui se fâche, Se trouve une croche pour nez. Heurtant Trivelin qui se mouche Avec un trille extravagant, A Colombine Scaramouche Rend son éventail ou son gant Sur une cadence se glisse Un domino ne laissant voir Qu'un malin regard en coulisse Aux paupières de satin noir. Ah! fine barbe de dentelle, Que fait voler un souffle pur, Cet arpège m'a dit : C'est elle ! Malgré tes réseaux, j'en suis sûr, Et j'ai reconnu, rose et fraîche, Sous l'affreux profil de carton, Sa lèvre au fin duvet de pêche, Et la mouche de son menton. __________________
Michèle CORTI
LE CARNAVAL DE VENISE
Venise en organza, plumes et soie précieuse Habille ses folies de fastes tapageurs Sous le masque, reluit la flamme aventureuse Des beaux yeux de l'Amour, éternel voyageur.
Il volète, insouciant comme ce papillon Que de sa main gantée la belle attire à elle Mais qui s'enfuit déjà plus loin , à tire-d'aile Vers le bleu d'un regard ou l'émoi d'un frisson !
Les décors somptueux de ces fêtes profanes Et le gai tourbillon de tant de femmes fleurs Que les hommes pressants suivent avec ardeur Sont déjà révolus, leur image se fane...
Venise en organza, plumes et soie précieuse Hante mes souvenirs sur la place Saint-Marc Et j'ai le blues de toi, Belle mystérieuse Sous le masque blafard où brûlait ton regard... _________________
Théodore de BANVILLE
CARNAVAL
L’autre nuit, dans la clarté blonde, Je vis au bal de l’Opéra Un jeune homme du meilleur monde. Son oeil terne m’exaspéra.
Son habit, qu’en vain je m’excite A glorifier sans remords, Était noir comme le Cocyte Qui roule son flot chez les morts.
Il obéissait à la règle Et son prodigieux faux-col Semblait vers les cieux, comme un aigle Démesuré, prendre son vol.
Il était correct et puriste, Uni comme le fond d’un val. Cependant je lui dis: Quel triste Costume, pour le carnaval !
Le bonheur est avec les masques Et les Arlequins onduleux Venus des pays bergamasques. Ils sont jaunes, rouges et bleus.
Il est bon de montrer son râble Comme troubadour abricot, Et c’est un plaisir adorable D’être un Pierrot de calicot.
C’est une chose excitatrice De prendre un veston vermillon Pour se travestir en Jocrisse Agrémenté d’un papillon.
Comme aux époques disparues, Pour stupéfier les badauds, Il est bon d’être un Turc des rues Avec un soleil dans le dos.
Dans son allégresse éternelle Que, soûlé par des vins troublants, Quelque divin Polichinelle Déshonore ses cheveux blancs !
En de fabuleux amalgames, Brûlés d’impudiques ardeurs, On aime à voir, hommes et femmes, Tourbillonner les débardeurs,
Et la fantaisie est complice Pour qu’une Javotte aux seins lourds De ses robustes flancs emplisse Une culotte de velours.
Venu des lointaines bourgades Comme un printemps en floraison, Amour emporte ces brigades. Brigadier, vous avez raison !
A bas la sagesse vieillotte. Puisque heureusement la chair est Faible, quand le bal papillote Comme une affiche de Chéret !
Tel, raisonnable guitariste Savant comme un procès-verbal, Je parlais au jeune homme triste Qui se promenait dans le bal.
Et je lui disais: Mince comme Un caillou par l’onde aiguisé, Réponds-moi, tranquille jeune homme. Pourquoi n’es-tu pas déguisé ?
Et lui, rajustant son monocle, Me dit: Poëte qui me suis, Je suis droit comme sur un socle. Mais pour déguisé, je le suis.
En quoi? demande à Cidalise Que charme ce jeu puéril: En jeune homme qui s’analyse, Et se regarde le nombril. __________________
Théophile GAUTIER CARNAVAL DE VENISE
Tra la, tra la, la, la, la laire ! Qui ne connaît pas ce motif ? A nos mamans il a su plaire, Tendre et gai, moqueur et plaintif :
L'air du Carnaval de Venise, Sur les canaux jadis chanté Et qu'un soupir de folle brise Dans le ballet a transporté !
Il me semble, quand on le joue, Voir glisser dans son bleu sillon Une gondole avec sa proue Faite en manche de violon.
Sur une gamme chromatique, Le sein de perles ruisselant, La Vénus de l'Adriatique Sort de l'eau son corps rose et blanc.
Les dômes sur l'azur des ondes, Suivant la phrase au pur contour, S'enflent comme des gorges rondes Que soulève un soupir d'amour.
L'esquif aborde et me dépose, Jetant son amarre au pilier, Devant une façade rose, Sur le marbre d'un escalier.
Avec ses palais, ses gondoles, Ses mascarades sur la mer, Ses doux chagrins, ses gaités folles, Tout Venise vit dans cet air.
Une frêle corde qui vibre Refait sur un pizzicato, Comme autrefois joyeuse et libre, La ville de Canaletto ! __________________
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