PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
HAÏKAÏSATION
Voici un mot assez insolite qui répond, en fait, à un procédé consistant à ne conserver d'un poème (de préférence célèbre, pour qu'on puisse y faire facilement référence) que la fin des vers. Le HAÏKU ou HAÏ-KAÏ, genre poétique japonais apparu au XIe siècle, était, à l'origine, un poème de trente-et-une syllabes composées en deux strophes : l'une de trois vers de 5, 7 et 5 syllabes ; l'autre de deux vers de sept syllabes chacun. On n'utilisa plus ensuite que la première strophe
La haïkaïsation est un procédé bien français, né de l'idée de "tronçonner" un petit poème classique qui prend ainsi l'allure d'un HAÏ-KAÏ. Parmi les poètes adeptes de ce petit jeu, figure, au premier rang, Raymond QUENEAU qui s'est livré à cette amusette pleine de charme sur, notamment, des poèmes de Stéphane MALLARMÉ (devenu "phane armé").
Étant donné qu'on connaît l'original, il reste assez de sens pour que les fins des vers en conservent encore un. Au fond, comme pour le pastiche, c'est un hommage rendu à la force poétique de la rime.
Raymond QUENEAU a procédé, dans ces exercices, à quelques modifications mineures pour garder l'ossature du poème ainsi que son sens. On peut sans doute préférer l'original, mais avouons que "la chirurgie" opérée donne un résultat inattendu, très proche du HAÏKU.
Ci-dessous, un exemple, avec le poème court de Stéphane MALLARMÉ, suivi de la version "haïkaïnisante" de Raymond QUESNEAU.
Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !
Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
Stéphane MALLARMÉ
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Coup d'aile ivre,
Sous le givre,
Aujourd'hui
pas fui !
La région où vivre
Se délivre ;
L'ennui,
C'est lui.
Raymond QUENEAU
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Ce procédé est assez peu connu des poètes ; tout en restant assez marginal, il n'en demeure pas moins vrai qu'il offre quelques perspectives intéressantes de "broderies" sur des poèmes majeurs.
On appelle aussi cette "technique" : FINS DE VERS. Il ne faut changer aucun des mots retenus dans le poème d'origine, seulement la ponctuation. Ainsi, le découpage laisse apparaître un "nouveau petit poème" qui peut présenter quelque parenté avec l'original, ou laisser deviner un sens nouveau. Il est permis de donner un autre titre à l'oeuvrette.
MÉLANCOLIE
Au fond du coeur,
Mortelle
Querelle,
Injuste rigueur :
Mon âme abattue
Me tue.
D'après Pierre CORNEILLE : "Stances de Rodrigue. Le Cid.
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SÉDUCTION
La jeune fille :
Un oiseau,
Une fleur qui brille,
Un refrain nouveau.
D'après Gérard de NERVAL : "Une allée du Luxembourg. Odelettes.
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MYSTÈRES DE LA CRÉATION
Les livres
Sont ivres
Et les cieux
Par les yeux !
Se trempe
Ma lampe,
La blancheur défend
Son enfant.
D'après Stéphane MALLARMÉ : "Brise Marine"
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Le matin :
Différence
De paradis.
Le cheval :
Différence
De lait.
La statue :
Différence
D'insomnie.
D'après Alain BOSQUET : "Entre le soir et le matin".
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Puissent ces quelques exemples susciter le désir et l'inspiration pour certains d'entre vous de choisir un poème connu, et de broder, à votre convenance, une nouvelle écriture personnalisée et ludique selon votre imagination.