Le Vase
Reçois, pasteur des boucs et des chèvres frugales,
Ce vase enduit de cire, aux deux anses égales.
Avec l’odeur du bois récemment ciselé,
Le long du bord serpente un lierre entremêlé
D’hélichryse aux fruits d’or. Une main ferme et fine
A sculpté ce beau corps de femme, œuvre divine,
Qui du péplos ornée, et le front ceint de fleurs,
Se rit du vain amour des amants querelleurs.
Sur ce roc où le pied parmi les algues glisse,
Traînant un long filet vers la mer glauque et lisse,
Un pêcheur vient en hâte, et bien que vieux et lent,
Ses muscles sont gonflés d’un effort violent.
Une vigne, non loin, lourde de grappes mûres,
Ploie. Un jeune garçon, assis sous les ramures,
La garde. Deux renards arrivent de côté
Et mangent le raisin par la pampre abrité ;
Tandis que l’enfant tresse, avec deux pailles frêles
Et des brins de jonc vert, un piège à sauterelles.
Enfin, autour du vase et du socle dorien
Se déploie en tous sens l’acanthe corinthien.
J’ai reçu ce chef-d’œuvre, au prix, et non sans peine,
D’un grand fromage frais et d’une chèvre pleine.
Il est à toi, berger, dont les chants sont plus doux
Qu’une figue d’Ægile, et rendent Pan jaloux.
Charles Leconte de Lisle, Poëmes et Poésies