PETIT LEXIQUE POÉTIQUE
LE VERS BLANC
Non, il ne s'agit pas du vers du hanneton, bien dodu et de la même couleur. En langage poétique, les vers blancs sont des vers qui ne sont liés à aucun autre par la rime, mais qui sont conformes aux normes internes, métriques et rythmiques;
Dans un ensemble versifié ils sont dépourvus d'homophonies finales, et tous les vers sont appelés alors des vers blancs, ce qui est fréquent dans la poésie moderne écrite en vers libérés. Autrement dit, les vers blancs respectent une des deux composantes du vers classique, le mètre, mais n'utilisent pas la rime.
Un des premiers poètes à avoir utilisé le vers blanc fut Nicolas RAPIN, au XVie siècle. Fabre d'OLIVET, au début du XIXe siècle, a alterné vers classiques et vers blancs. On peut citer, aussi, à titre d'exemple, le comte de Saint-LEU qui a transcrit "L'Avare" de MOLIÈRE en vers blancs. Ces expériences demeurent marginales pour l'époque.
Ce n'est qu'à partir du XXe siècle qu'il a été adopté par les poètes de la tradition symboliste qui souhaitaient prendre quelque distance avec la versification traditionnelle, sans pour autant tomber dans l'anarchie guettant le vers libre et son côté fort répandu de nos jours, si bien qu'il est difficile ne ne pas assimiler les vers blancs à de la prose poétique, tant certains n'ont plus qu'une lointaine ressemblance avec sa soeur aînée : la poésie.
Voici un exemple de vers libres (je préfère, pour ma part employer le terme de vers libérés, plus approprié, adopté par Gilles SORGEL). En effet, les vers libres, à proprement parler, appartiennent au genre des vers libres classiques si chers à monsieur de La FONTAINE, où sont alternés de vers composés de différents mètres, soit des hexamètres avec des octosyllabes, soit des décasyllabes avec des tétrasyllabes ou même des trisyllabes.
C'est véritablement Gustave KAHN qui est le principal théoricien du vers libéré, il est bon de le savoir. Appartenant au mouvement symboliste, il prône en 1888, un vers qui existe "en lui-même par des allitérations de voyelles et de consonnes parentes". Mais les poètes modernes du XXIe siècle ne doivent pas en oublier pour autant que les maîtres du vers libéré n'ont, pas un instant, renié la prosodie classique. Exemple, Claude CHABOT. Ses premiers vers furent classiques, tout comme COCTEAU, ARAGON, APOLLINAIRE, et bien d'autres. Ce n'est que lorsqu'ils se sentirent maîtres de leur technique, mais uniquement à ce moment, qu'il évoluèrent., se "libérant" sans excès.
Voici un extrait de Charles VILDRAC, de son recueil "Livre d'amour", qui est un parfait exemple de vers blancs
...
Mais avant de gagner la porte
Il fixa bien dans sa mémoire
Le lieu où s'abritait leur vie ;
Il regarda bien chaque objet
Et puis aussi l'homme et la femme,
Tant il craignait au fond de lui
De ne plus jamais revenir.
...
Comme vous pourrez le constater, ce poème conserve la structure d'une métrique régulière, chaque vers étant en octosyllabe. Le système de vers blancs s'applique souvent à l'alexandrin. C'est lui qu'utilise Alain BOSQUET pour composer quelques quatre cents sonnets. Il a, en outre, supprimé les majuscules en tête de vers pour ne garder que celles en tête de phrase :
Définition du poète
Pour devenir poète, il faut être imbécile,
comme est sotte cette aube à se croire lumière,
et comme est tout à fait crétin le vieux caillou
qui prétend arrêter le cheval au galop.
Le vers blanc peut fonctionner aujourd'hui, comme le dit Jacques CHARPENTREAU dans son "Dictionnaire de la poésie française", c'est-à-dire jouer son rôle de vers semi-classique, parce que nous avons dans l'oreille, en nous, un grand nombre de vers classiques, avec mètre et rime respectés, en particulier des alexandrins. Nous compensons en partie un manque de régularité dans la scansion.
Comme tous les poètes à vocation classique je n'ai jamais trop aimé le vers blanc. Je trouve dans l'écriture de l'alexandrin blanc une sorte de côte mal taillée qui devient fastidieuse à la longue, et qui, à mon avis, n'est que l'esquisse de l'alexandrin achevé, avec la rime. Et je suis d'accord avec BANVILLE qui disait que "le vers s'écrit à partir de la rime, et ne se rime point après coup" (...).
Mais il faut reconnaître que l'importance et le caractère personnel du découpage amorcent l'orientation vers une poésie de plus en plus visuelle. MALLARMÉ avait, dès 1894, pris position en faveur du vers libéré et souligné sa "fécondité novatrice" dans sa conférence intitulée "La Musique et les Lettres" (je cite) : "Une heureuse trouvaille avec quoi paraît à peu près close la recherche d'hier, aura été le vers libre, modulation (dis-je souvent) individuelle, parce que toute âme est un nœud rythmique" (Fin de citation).