Le Capitaine Tracasse et la demoiselle 5
Pendant qu’il rêvait, du moins cauchemardait, la tempête s’était calmée. Une légère brise se leva et vint caresser son visage. On eut dit les doigts d’une fée sur la tête toute ridée d’un éléphant ! Mais cela suffit pour le réveiller et le sortir de son rêve sordide. Il se dit alors qu’il arrêterait de boire cette saleté de bibine, cela ne lui réussissait pas, pour cette fois-ci en tout cas ! Son bateau était au milieu de nulle part, en piteux état, quant à lui, ce n’était guère mieux. Néanmoins il se leva prestement et s’enquit de son équipage. Mais il trouva le désert à bord, ses hommes s’étaient volatilisés. Toutes les couchettes étaient vides et personne sur le pont. Il écarquilla les yeux puis les frotta pensant qu’il était encore endormi, mais non, rien à l’horizon, pas âme qui vive ! Et quand il s’approcha du bastingage pour voir s’ils n’étaient pas tombés à l’eau, il s’aperçut que son rafiot s’était échoué sur une île paradisiaque, du moins à première vue.
Le cadre était d’une splendeur à couper le souffle même pour un vieux routier de la mer comme lui. La mer était cristalline et d’un bleu turquoise magnifique. Il avait pied sur des miles à la ronde. La végétation était variée et luxuriante. Il était sûr et certain d’être dans une de ces îles lointaines des Tropiques. Le sable était blanc et rose, teinté de pigments rouges provenant des coraux. Cela lui rappelait les longs voyages de sa jeunesse entre la mer Egée et la mer Libyenne.
Il était admiratif de ce paysage de rêve, avec sa faune et sa flore sauvage encore épargnées par l’Homme.
Il descendit du bateau et cueillit quelques coquillages pour se sustenter, qu’il accompagna de belles algues pour la verdure. Il alla s’assoir contre un cocotier dont il fit tomber quelques fruits : un repas frugal lui était nécessaire et bienvenu ! Il avait besoin de se requinquer pour repartir dans son cauchemar et affronter le géant de la forêt. Il voulait savoir où était sa princesse et la sauver du danger.
Elle lui était devenue indispensable et il aimerait tellement l’amener dans ce sublime lagon. Elle serait sa petite sirène, sa naïade de l’océan, sa fée de la mer. Elle apprivoiserait les animaux sauvages, parlerait aux fleurs, soufflerait dans les énormes coquillages, jouerait avec les dauphins, courrait avec le vent, brillerait avec le soleil, ferait la conversation aux magnifiques aras, porterait de superbes colliers de fleurs, ferait chanter les nuages…
Bunk ! Une noix de coco volumineuse lui tomba sur la tête et l’assomma. Mauvaise idée pour lui de se reposer sous ce cocotier mais n’était-ce pas voulu pour reprendre son cauchemar et se rendre au pied du sage de la forêt ?
Et, en effet, il se retrouva projeté devant cette montagne de bois, au même endroit qu’il avait quitté à un pouce près. Il lui sembla ne jamais en être parti : rien n’avait bougé, pas même une feuille !
Il chercha un moyen de contourner l’obstacle mais ce lui fut impossible : il n’y avait aucune issue pour éviter le géant. Alors il essaya d’argumenter. Il posa délicatement son arme au pied de l’arbre pour montrer qu’il n’était pas offensif. Fatigué par son périple, il s’assit en tailleur et attendit que le sage lui fît un signe quelconque …
Lucienne le 10.12.2015