Le Capitaine Tracasse et la demoiselle 2

Le Capitaine Tracasse et la demoiselle 2
L’écumeur de mer, la mort dans l’âme, se rendormit, la bouche pâteuse. Il voulait à tout prix, rattraper son rêve. Il vivait dans une époque où les fées, les magiciens, les sorcières, les lutins et autres personnages de contes n’étaient plus prisés. La magie n’était plus !
Pourtant, Il en avait été bercé dans son enfance. Il s’en souvenait avec grand bonheur, de la peur aussi qu’il éprouvait en assistant à ces veillées, au coin de l’âtre. Il se réfugiait souvent sous les ailes protectrices de sa mère qui riait de son jeune garçon si couard.
Il était l’aîné de la fratrie de sept enfants et il se devait d’être un homme rapidement. Il fallait qu’il aide son père pour nourrir la famille et sa mère pour l’éducation des petits.
Mais, il était doux rêveur et ne voulait point grandir !
C’était toujours avec grand émoi qu’il écoutait le conte de la Princesse et de son livre magique. Et il n’avait de cesse de se la faire raconter encore et encore ! Il s’endormait le cœur heureux, avec des papillons plein les yeux.  Il rêvait de sa belle demoiselle aux yeux de biche, aux cheveux de sirène et aux doigts de fée, tournant les pages du livre merveilleux. Il voyait des lutins partout et n’était jamais le dernier à aller se coucher pour songer à sa belle.
Il se retrouvait toujours dans cette forêt magique où les arbres géants et bien feuillus se penchaient sur lui pour lui souhaiter la bienvenue. Les oiseaux l’accueillaient de leur chant mélodieux aux magnifiques stridulations. Les fleurs exhalaient leur plus suave parfum et lui caressaient le visage de leurs doux pétales de velours. Le chemin, d’ordinaire caillouteux, était pavé d’or, de diamants et de jolies perles nacrées qui s’écartaient à son passage. Dans une clairière, en rang de sorcières, des amanites tue-mouches arboraient leur belle robe rouge à points blancs et dansaient la gigue et le menuet.  Il marcha longtemps, accompagné d’une symphonie sublime, à la recherche du chêne majestueux, alcôve de sa petite princesse. Il savait la trouver toujours là, assise ou allongée sous ce grand arbre centenaire. Ce dernier semblait d'ailleurs la protéger de ses immenses branches qui se balançaient au gré du vent léger.
Elle avait une délicate peau, très blanche que le soleil, sans faire exprès, pouvait brûler. C’est qu’il était complice de cette magie, lui aussi ! Il était si coquin à jouer à cache-cache avec les beaux nuages Le boucanier restait à la regarder des heures entières, sans qu’elle ne le vit : il ne voulait pas l’effrayer. Elle était bien plus jolie que dans ses souvenirs d’enfant. Chacun de ses gestes était grâce ! Elle était d’une beauté époustouflante et le vieux flibustier en avait le cœur chaviré ! Son rire résonnait dans la forêt et l’écho se répercutait jusque dans les cieux.  Les animaux de la forêt semblaient ensorcelés, eux aussi. Les oiseaux rivalisaient de leurs sifflements les plus harmonieux pour l’entendre rire. Et les ruisseaux murmuraient leur belle complainte : c’était féérique !
Mais, le voyageur mit le pied sur une branche et l’infime craquement fit fuir la demoiselle ainsi que le joli monde de la forêt enchantée. Une tempête violente s'était levée et le mât du bateau gémissait sous les rafales, ce qui réveilla le doux rêveur !

Lucienne le 03.12.2015