Le loup et le cheval (Fable)

Le loup et le cheval


Au sortir de l’hiver, quand le printemps est là
Les loups, à ce qu’on dit, ne sont pas des plus gras.
Ayant jeûné trois mois, à moitié morts de faim,
S’ils n’ont pas de l’agneau, ils mangeraient du foin.
Un vieux loup, presque sourd, les pattes en flanelle
Sortit de la forêt près de l’Habitarelle.
Car, depuis la Noël, le pauvre vieux clampin
N’avait mangé qu’un vers et la peau d’un lapin.
Son poil ratatiné, dépourvu de couleur,
Pendait sur un poitrail maigre à vous faire peur.
S’étant plus ou moins bien extrait de sa tanière,
Il arriva, boitant, au bord de la rivière.
Il lui sembla, au loin, entrevoir dans le pré
Une bête charnue occupée à brouter…
Ayant mis ses lorgnons pour mieux voir l’animal,
Il lui parut alors que c’était un cheval,
Gras, massif et pesant, une bête superbe,
Qui, sans perdre un instant, se gavait de bonne herbe.
« Misère ! dit le loup, moi je crève de faim,
Tandis que ce bourrin, qui n’en a pas besoin,
Se remplit l’estomac à s’exploser la panse.
Dire que ce gaillard ne connait pas sa chance !
Regardez-le pourtant comme il est bien portant.
Rien qu’à le regarder, moi j’en claque des dents !
Si j’arrive tout près de cet amas de viande
Je lui saute à la gorge et je m’en fais provende.
Rien qu’avec ce repas je refais ma santé !
Voyons réfléchissons ! Que vais-je raconter ?
Je suis un rebouteux ? Non. Docteur émérite !
Diplômé de Paris, Montpellier et la suite…
Que j’ai ressuscité de nombreux morts de faim,
Amaigri sans forcer des obèses certains.
Je répare les dents, les yeux et les oreilles,
J’ai eu le Prix Nobel pour toutes ces merveilles !
Ce gros benêt me croit, se laisse examiner,
Je l’approche tout près, je lui saute au gosier.
C’est un bon plan, je crois… » » Et voici qu’il s’amène
En hélant le cheval qui broute à perdre haleine.
Dès qu’il l’a repéré, le cheval haletant,
Se retourne pour voir le nouvel arrivant.
Le loup salue bien bas, raconte son mensonge
En cachant de son mieux cette faim qui le ronge.
Le cheval, très inquiet, écoute ce roman.
On voit bien que pourtant il reste méfiant.
Quand le loup a fini de servir ses fadaises :
« Sire loup ! Merci bien ! Voyez ! Je prends mes aises !
Ma santé est parfaite et je n’ai nul besoin
D’un docteur éminent pour bien en prendre soin.
Pourtant, j’ai un souci à mon sabot arrière,
Celui du côté droit… Il y a une pierre
Qui s’est coincée dedans… » « Ah ! Voyons ! » dit le loup
Qui pense, ce faisant, pouvoir le mordre au cou.
Mais le cheval, prudent, se retourne à la hâte
Et présente au vieux loup le sabot de sa patte.
Celui-ci s’en approche, met son binocle au nez,
Et fait semblant ainsi de bien l’examiner.
Seulement le cheval comprend la mascarade,
Fracasse son dentier d’une seule ruade,
Le laisse, pantelant, ramasser les morceaux
Et s’enfuit vers son mas au quadruple galop !

Pauvres loups affamés, qui sortez de votre antre
N’ayez jamais les yeux plus gros que votre ventre.
Beaux parleurs, charlatans, pour sauver votre peau,
Évitez le cheval… et cherchez un agneau !


4/01/2020