L'inspecteur à la ferme 4

L’inspecteur à la ferme 4
Le repas terminé par un café bien chaud, l’inspecteur rejoignit son bureau. Il y fit une toilette sommaire, se changea les mocassins trempées pour des derbies montantes, se passa un coup de peigne sur les cheveux humides et alla s’installer devant son ordinateur. Il devait y entrer ses nouvelles données et les circonstances du crime. Il chercherait ainsi un homicide similaire à rapprocher au sien et peut-être y trouverait-il quelques renseignements complémentaires apparentés. Pour le moment, il n’avait pas grand-chose à se mettre sous la dent pour élaborer un scénario qui tienne la route. Il lui fallait attendre les résultats des techniciens scientifiques et de la médecine légale. Il ne pourrait pas avancer tant qu’il n’aurait pas ces informations très importantes pour la suite de son enquête. Alors il rongea son frein et après quelques recherches infructueuses, il décida de faire un petit somme sur son antique canapé pour s’éclaircir les idées. Il était épuisé de sa journée passée à marcher dans la boue. Il se pelotonna dans un petit plaid, se cala la tête avec un vieux coussin et s’endormit presque aussitôt.
C’est la sonnerie du téléphone qui le réveilla en sursaut : il avait oublié de le décrocher. Il n’avait pas beaucoup dormi, une heure tout au plus mais cela s’avérait suffisant pour qu’il soit de nouveau en pleine forme. C’était le médecin légiste qui voulait le voir : il avait fini son autopsie et il avait des révélations à lui faire.
L’inspecteur prit rapidement le chemin du laboratoire et toqua à la porte deux petits coups discrets. Le docteur vint lui ouvrir et ils passèrent directement dans la salle d’autopsie. Le corps était encore sur la table et le médecin lui expliqua par le menu ce qu’il avait trouvé : leur victime n’était pas décédée suite aux coups portés par arme blanche mais par une balle de fusil tirée dans la nuque à bout portant. Ceci changeait carrément la tournure de l’enquête. L’inspecteur remercia son collègue de ces données nouvelles et importantes. Il lui faudrait à présent attendre les résultats des techniciens de la balistique pour en savoir plus sur l’arme utilisée, la trajectoire du tir…
Il téléphona au Procureur de la République pour l’obtention d’un mandat de perquisition pour l’ensemble de la ferme y compris l’habitation des deux fermiers. Il lui fallait trouver la douille percutée et le fusil mis en cause. Il n’avait pas le choix de retourner dans la gadouille et le fumier : ils étaient les seuls témoins du drame, tout du moins les découvreurs du corps et la victime était leur employé. Il consigna les informations dans son ordinateur et se prépara à partir à la ferme. Il héla une voiture de fonction ayant au préalable remis ses mocassins vernis qui ne risquaient plus rien. Ils déboulèrent à l’exploitation, le gyrophare en marche et la sirène hurlante. Ils furent accueillis par des aboiements de chiens de chasse. Heureusement, la pluie avait cessé et un petit vent frais s’était levé. L’inspecteur salua les paysans sommairement et pénétra dans leur logis sans leur accord préalable. Il avait reçu l’aval pour la perquisition de la maison et ses nombreuses dépendances. La police scientifique était déjà sur le terrain. Ils avaient commencé leurs investigations au grand dam des propriétaires furieux. Mais l’inspecteur passa outre et demanda au personnel compétent de chercher en particulier une arme de chasse, des résidus de poudre sur les deux exploitants agricoles, éventuellement des traces de sang dans la maison étant donné que le corps avait été déplacé. Il ne fallait rien laisser au hasard : les seules informations qu’il avait à sa disposition étaient les dires des deux acolytes et ils n’avaient pas dit grand-chose. Le corps de la ferme était à l’image de l’appentis : tout en désordre et très sale. Ces deux hommes manquaient d’hygiène assurément. Comment était-ce possible de vivre au quotidien dans cette malpropreté repoussante. La table était jonchée de canettes de bière et de verres sales et opaques, la cuisine était un vrai dépotoir débordant d’ustensiles et de vaisselle crasseuse, les meubles croulaient sous la poussière et débordaient de bibelots et de papiers graisseux : un vrai repoussoir cette maison et l’inspecteur plaignit l’équipe de scientifiques qui travaillait sur place. Heureusement, ils étaient équipés de masques, de gants, de tenues vestimentaires adéquates pour ne pas souiller davantage les lieux incriminés. Soudain, l’inspecteur fut attiré par un objet hétéroclite dans ce fatras immonde : sur un vieux guéridon était posé un téléphone portable dernier modèle de Samsung Galaxy A. Tiens donc, se dit-il que fait cet appareil haut de gamme dans une ferme poisseuse où il n’y a pas même un téléviseur ni un ordinateur…
Lucienne le 14.02.2016